Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT
En cette période où de nombreuses réformes se succèdent, les mouvements sociaux et les grèves se multiplient. Souvent considérée par les médias – et de facto par l’opinion publique – comme une grève illicite, la grève de la SNCF fait particulièrement grand bruit. Les accusations d’illicéité sont multiples : grève perlée, grève tournante, non-respect de l’obligation de service minimum… En réalité, comment définit-on une grève licite ? Faisons le point.
- Les conditions du droit de grève
La première notion essentielle à rappeler c’est que le droit de grève reste un droit constitutionnel, qui est également retranscrit dans le Code du travail (1). Selon le secteur dans lequel elle est menée, plusieurs textes législatifs viennent compléter les normes en vigueur.
Ainsi, pour le cas de la grève de la SNCF, plusieurs articles du Code du travail (2) précisent certaines obligations concernant les grèves dans le secteur public, comme notamment l’obligation de déposer un préavis de grève au moins 5 jours avant son démarrage, cette obligation n’existant pas dans le secteur privé.
De plus, la loi du 21 août 2007 portant sur le dialogue social et la continuité du service public pour les entreprises de transports terrestres, retranscrite dans le Code des transports(3), définit d’une part l’obligation, pour les salariés grévistes, d’en informer l’employeur, et d’autre part les règles en termes de successions de préavis.
La loi de 2007 a été modifiée et complétée par une loi du 19 mars 2012, qui porte notamment sur l’obligation d’information des usagers.
Un élément important à comprendre dans le cas actuel de la grève des agents de la SNCF est que les normes en vigueur sont multiples, car il faut respecter les règles classiques qui encadrent le droit de grève en général ainsi que celles spécifiques aux services publics, mais aussi celles qui concernent en particulier les transports terrestres publics.
Pour répondre aux différents critères de licéité, la grève (qu’elle soit dans le secteur privé ou public)doit respecter un certain nombre de critères. Ainsi elle doit être :
– collective, c’est-à-dire à partir de deux salariés ou agents ;
– issue d’une concertation des salariés ;
– totale, bien qu’aucune durée minimum ne soit prévue ;
– motivée par des revendications professionnelles, ce qui exclut les grèves aux revendications uniquement politiques.
Il existe deux exceptions au principe de grève «collective». Le salarié peut faire seul la grève : – si son action répond à un mouvement national; – ou s’il est le seul salarié de l’entreprise.
Le respect de ces conditions, assure l’utilisation normale du droit de grève et permet aux salariés un certain nombre de garanties, qui sont inexistantes dans le cas d’un mouvement illicite.
En effet, si lors d’une grève licite le salarié gréviste subit une retenue sur salaire, il ne peut pas être sanctionné par son employeur du fait de sa participation à la grève. Par contre, le salarié qui, pendant une grève licite, commet par exemple un acte violent constitutif d’une faute lourde, peut quant à lui être sanctionné. Les salariés, comme les syndicats sont responsables des actes abusifs commis pendant une grève.
Les salariés grévistes ont l’obligation de respecter les salariés non-grévistes, c’est pourquoi il est également interdit de bloquer l’accès à l’entreprise en guise de contestations.
Dans le cas d’une utilisation illicite du droit de grève, le salarié peut être sanctionné sans que l’employeur ait à prouver la faute lourde. Il n’est pas protégé par le droit de grève. Le syndicat qui participe à une grève illicite engage également sa responsabilité.
- La grève perlée
La grève perlée est définie de longue date par la jurisprudence comme « l’exécution du travail au ralenti ou dans des conditions volontairement défectueuses » (4).
Ce mouvement ne correspond pas à une grève licite, dont l’un des critères est la cessation totale du travail. L’employeur peut même considérer que l’exécution d’une grève perlée constitue une faute du salarié, dans la mesure où il ne respecte pas dans ce cas ses engagements contractuels.
Le salarié qui participe à un tel mouvement s’expose à une sanction disciplinaire, mais également à une retenue sur salaire (5).
La question qui revient aujourd’hui quotidiennement dans les médias est de savoir si la grève des salariés de la SNCF peut être considérée comme une grève perlée, en réalité ce n’est absolument pas le cas ! En effet, le fait que la grève soit ponctuelle sur une période de 3 mois n’enlève rien au fait que lors des journées de grève les salariés grévistes ne travaillent pas du tout et respectent donc bien l’obligation de cessation totale de travail.
- La grève tournante
La grève tournante est également interdite. Elle consiste en un échelonnement de la cessation du travail ou un roulement concerté, dont l’objectif est de ralentir le travail et de désorganiser le ou les services (6).
Il y a grève tournante lorsque les salariés commencent de façon différenciée le moment de la grève – selon l’heure de leur prise de service par exemple (7).
Une fois encore, la grève des salariés de la SNCF ne correspond pas à ces critères, dans la mesure où le préavis de grève prévoit bien un début de grève pour l’ensemble des salariés grévistes au même moment.
- L’obligation de service minimum dans le secteur public
La loi de 2007 a eu pour principal objectif de faire cohabiter au mieux droit de grève et continuité du service public dans les transports en commun. Cependant, parler de service minimum dans le cas de la SNCF est un abus de langage, et une exagération des textes en vigueur.
Pour exemple, contrairement à un hôpital public où le personnel gréviste peut être réquisitionné par la Direction pour assurer la continuité du service public, la SNCF n’est pas tenue à une obligation minimale en termes de trains roulants.
Il existe une exception à ce principe : en Ile de France où la SNCF Transilien paye une pénalité et doit dédommager les voyageurs en dessous d’1 train sur 3.
Dans les faits, la loi assure la possibilité de prévoir l’ampleur de la grève, c’est pour cela qu’elle oblige les grévistes à se déclarer 48 h avant de commencer effectivement la grève pour permettre une adaptation, bien qu’ils puissent changer d’avis jusqu’à 24 h avant. Cela a également pour but de prévenir les voyageurs, au moins 24 h avant, du nombre de départs de trains et de leurs horaires, ce qui consistue également une obligation légale.
La réquisition de cheminots en cas d’urgence est prévue par le Code générale des collectivités territoriales (8), cependant elle n’a pas eu lieu depuis la seconde guerre mondiale.
Ainsi, et n’en déplaise à ses nombreux détracteurs, le mouvement de grève mené actuellement par les syndicats dans les transports ferroviaires répond à tous les critères de licéité d’une grève !
- Vers une réforme du droit de grève ?
C’est au cœur de cette agitation et de ces nombreux questionnements que des députés ont déposé, le 11 avril dernier, un projet de loi visant à réformer le droit de grève (9).
Ce projet de réforme aurait 3 objectifs principaux :
– redéfinir les motifs de recours à la grève, dans le but de diminuer son nombre ;
– créer un referendum dans l’entreprise avant de pouvoir recourir à la grève ;
– fixer à 10 jours avant la grève la date de dépôt du préavis pour toutes les grèves.
Des objectifs qui sont donc clairs, restreindre drastiquement le droit de grève et son utilisation, une vision là tout le moins très contestable des mouvements sociaux et de leur importance dans la société actuelle…
(1) Art. L.2511-1 C.trav.
(2) Art. L.2512-1 à 5 C.trav.
(3) Loi no 2007-1224 du 21/08/2007.
(4) Cass.soc.05.03.53, no 53-01.392.
(5) Cass.soc.07/01/1988,n°84-42448.
(6) Cass.soc.04.11.79, n°78-40.271.
(7) Cass.soc.03/02/1998, n°95-21.735.
(8) Art. L. 2215-1 C.G.coll.terr.
(9) Proposition visant à encadrer le droit de grève du 11/04/2018, n°871.