Le développement de la robotique, ses impacts dans la société et ses conséquences en droit : tels étaient les thèmes de l’audition publique de l’Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui s’est tenue le 10 décembre dernier.
Animées par le Député Jean-Yves Le Déaut, les trois tables rondes ont été l’occasion d’entendre le point de vue d’industriels, de professeurs de Droit, de médecins ou encore d’assureurs, autour d’une question centrale : notre droit actuel est-il suffisant pour faire face aux problématiques posées par la robotique, ou bien doit-il être adapté, pour ne pas dire transformé en profondeur ?
Ménager la robotique pour ne pas freiner l’innovation
Malgré des perspectives de développement et de progrès encore considérables, la robotique transforme déjà nos sociétés, en pénétrant de nombreux secteurs : Défense, santé, transport, éducation, service aux personnes …
Ainsi, comme l’a souligné C. Kirchner (directeur de recherche à l’INRIA), le droit, « au cœur de l’organisation des sociétés », ne peut échapper à cette révolution. La robotique pose en effet des questions nouvelles, que ce soit sur les mécanismes de responsabilité civile, ou en matière de protection des données personnelles et de la vie privée.
Le souci de protection de l’individu contre une captation/transmission de telles données à des tiers pourrait, à première vue, fonder une intervention du législateur. Toutefois, il a été rappelé plusieurs fois que le droit ne devait pas être un frein à l’innovation. M. Devauchelle (Directeur de l’innovation chez VALEO) a ainsi émis le souhait que la France reste « une terre d’expérimentation », au risque de se faire prendre de vitesse par ses concurrents.
La science doit en effet « rester libre ». Mais cela n’interdit pas de réfléchir à son utilisation, afin de protéger l’Etat de droit et les libertés individuelles[1]. Au regard de l’enjeu économique, on comprend que la définition du degré d’intervention du législateur revêtira une importance cruciale.
Vers la création d’un « droit de la robotique » ?
Outre les indéniables questions éthiques, le déploiement de la robotique conduit nécessairement à s’interroger sur l’adaptation de notre corpus législatif.
La première question est celle de la qualification juridique du robot : bien meuble, immeuble par destination, ou bien création d’une personnalité juridique particulière ? Cette dernière idée ne fait pas l’unanimité. Selon N. Nevejans[2], il s’agit d’un « faux débat », le robot n’étant « ni intelligent, ni conscient ».
Plus largement, instaurer un « droit de la robotique » permettrait, selon T. Daubs, d’intégrer la spécificité du robot dans des régimes existants (en réglant l’incidence de la présence d’un robot sur la route, et son articulation avec la loi Badinter, par exemple), de formaliser des principes éthiques de « bon usage des robots », et de normaliser leur fabrication/conception (dans un souci de sécurité).
Néanmoins, l’extrême diversité des robots, que ce soit dans leurs fonctions ou leurs usages, a été rappelée par Maître David Lutran (avocat au barreau de Paris). Véritable « caméléon juridique » selon son expression, le robot se prête mal à un cadre juridique général. Comment imposer les mêmes règles, notamment en matière de mise sur le marché, à un robot industriel et un robot médical ? La difficulté serait donc d’affiner, à chaque fois, les règles générales édictées.
Le casse-tête de la responsabilité civile
Sujet récurrent lors des débats, la « voiture autonome » est l’illustration parfaite des limites de notre droit positif. On a souvent parlé de « vide juridique » en cas d’accident, et donc de dommages causés par un robot. En effet, qui endosserait la responsabilité: l’acquéreur, l’utilisateur, le concepteur, le vendeur ?
La question est cruciale en vue de leur déploiement : personne ne les assurera tant qu’il n’y aura pas de visibilité sur les responsabilités pouvant être mises en cause[3].
Plusieurs solutions ont été envisagées: l’utilisateur pourrait conserver le contrôle du véhicule (avec possibilité de le déconnecter pour reprendre la main), et serait formé par le vendeur. Il serait donc responsable en cas de dommage[4]. Le risque est que les consommateurs se détournent de ces voitures, ne voulant pas être responsables pour quelque chose qu’ils ne maitrisent pas complètement.
C’est pourquoi d’autres solutions ont pu être envisagées : R. Champion (Directeur d’euRobotics) a ainsi proposé de dissocier les notions d’ « utilisateur » et « opérateur »: l’utilisateur d’une voiture autonome, qui ne la commande pas, ne pourrait pas être responsable d’un accident. A défaut, une idée de proportionnalité de la responsabilité pourrait être retenue (en tenant compte, par exemple, du niveau de connaissance de la robotique par l’utilisateur). Si le législateur venait à s’abstenir, les juges auraient de toute façon rapidement à connaître de ces problématiques nouvelles.
Cet article a été publié sur Décider et Entreprendre.
[1] Intervention de T. Daubs (maître de conférence à l’Université Rennes 2).
[2] Maître de conférences en droit privé à l’Université de Douai.
[3] Intervention de Stéphane Pénet, Fédération Française des Sociétés d’Assurances.
[4] Sauf défaut de formation, qui opérerait un transfert de responsabilité sur le vendeur.