Cet article provient du site du syndicat de salariés FO.
En droit de l’Union européenne, le temps de travail désigne toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. Autrement dit, tout ce qui n’est pas du temps de travail doit être qualifié de temps de repos.
Cette représentation binaire du temps de travail, à double tranchant pour la protection des salariés (ainsi des temps « intermédiaires » d’astreinte ou de garde) vient se heurter à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs itinérants, dans un litige porté devant la CJUE.
Dans l’affaire en cause, une société (Tyco) exerçait une activité d’installation et de maintenance de système de sécurité antivol. Au cours de l’année 2011, la société a fermé ses bureaux régionaux et rattaché tous ses employés au bureau central de Madrid. Concrètement, les salariés de l’entreprise se déplaçaient pour l’installation et la maintenance de ces dispositifs, dans la zone territoriale où ils étaient affectés ; mais ils n’avaient plus de lieu de travail fixe. Or, la « zone » potentielle de travail pouvait comprendre jusqu’à plusieurs provinces espagnoles. La distance entre le domicile des salariés et les lieux d’exécution des prestations de travail, pouvait excéder les 100 km et durer jusqu’à 3 heures. Un téléphone portable professionnel permettait aux salariés de communiquer à distance avec le bureau central.
Toutefois, l’entreprise ne comptabilisait pas le temps de déplacement domicile-client comme du temps de travail. Selon elle, il s’agissait de temps de repos, à ce titre non rémunéré et ne bénéficiant pas de contreparties. Seules les interventions étaient rémunérées. L’affaire, portée par le syndicat espagnol CC.OO. devant le Juge, est remontée jusqu’à la CJUE : le temps que les travailleurs consacrent à se déplacer en début et en fin de journée doit-il être considéré comme du temps de travail au sens de la directive ?
A cette question, la CJUE répond par l’affirmative. Dans cet arrêt du 10 septembre dernier, la Cour rappelle deux principes fondamentaux que pose la directive de 2003 sur le temps de travail. D’abord, l’objectif d’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique. Ensuite, les notions de temps de travail et de temps de repos sont exclusives l’une de l’autre (on sait la difficulté que posent à ce titre, et dans un autre domaine, les temps d’astreinte et de garde). Or, poursuit la Cour, les temps de trajet domicile-clients sont un instrument nécessaire à l’exécution de leurs prestations par les salariés ; et ces déplacements sont inhérents à la qualité de travailleur itinérant. Les salariés sont bien à la disposition de l’employeur pendant le déplacement, l’utilisation du téléphone en étant l’une des preuves. Durant ces temps de trajet, le salarié ne vaque donc pas librement à ses occupations : il s’agit bien de temps de travail. En droit du travail français pourtant, l’article L 3121-4 du Code du travail dispose que le temps de déplacement professionnel entre le domicile et le lieu d’exécution du contrat de travail « n’est pas un temps de travail effectif ». Seuls bénéficient de « contreparties » les déplacements exceptionnels, qui supposent un temps de trajet supérieur au temps habituel. Mais dans le cas présent, il n’existait pas de lieu de travail habituel : les salariés de l’entreprise Tyco étaient davantage assimilables à des « VRP », qui bénéficieraient en droit français d’un régime à part.
Au sens de la CJUE, le temps de trajet, lorsqu’il est inhérent à la qualité de travailleur itinérant, doit être considéré comme du temps de travail effectif, et à ce titre rémunéré ou du moins compensé. La décision n’a donc aucun impact sur ceux qui ont des temps de trajet domicile-travail, même longs, dès lors qu’ils sont fixes. Son arrêt ne doit pas laisser supposer que n’importe quel temps de trajet, téléphone portable en poche, serait considéré comme du temps de travail. Mais la décision de la CJUE a néanmoins le mérite de rappeler qu’il existe une limite juridique au pouvoir de l’employeur, que l’absence de frontières physiques (absence d’établissement), géographiques (numérisation, NTIC) au travail, ne permet pas d’abolir.
Dans le cas français, la jurisprudence pourrait évoluer, en protégeant davantage les salariés en déplacement professionnel, les travailleurs à domicile dans le secteur des soins aux personnes, les travailleurs mobiles en général.