Le Sénat gagne sa lutte contre la révolution numérique

Le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public a été adopté en première lecture par le Sénat le 26 octobre dernier. Même si le texte de loi semble être proposé dans un objectif d’open data s’agissant des données publiques, les débats au Sénat ont montré que l’accès aux données publiques et leur libre réutilisation ne fait pas partie des priorités de nombreux parlementaires. Comme BI&T l’avait déjà évoqué précédemment, l’accès libre et gratuit aux données publiques est loin d’être garanti par cette nouvelle loi. 

 

La Commission au Sénat défend son texte restrictif sur l’accès aux données publiques

Lors des débats du 26 octobre 2015, M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission au Sénat, a longuement marqué son opposition aux différents amendements déposés pour promouvoir une version plus ouverte du texte. 

 

Les sénateurs favorables aux longs accords d’exclusivité

Mme Gonthier-Maurin a tenté, par plusieurs amendements également présentés par d’autres membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’apporter des modifications à l’article 2 de la loi qui permet d’accorder un droit d’exclusivité à une personne privée ayant participé à la numérisation de documents publics. Les 3 amendements ont notamment pour but de réduire la période d’exclusivité en la faisant passer de 10 ans maximum à 5 ans. L’objectif global affirmé par les signataires du texte est de réduire la durée des accords d’exclusivité et de supprimer la dérogation permettant de prolonger l’exclusivité au-delà de 10 ans. Mme Gonthier-Maurin et ses collègues considèrent que la loi telle qu’elle est rédigée actuellement permet une privatisation du domaine public pour une durée pouvant dépasser 10 ans alors que l’objectif supposé de la loi est de permettre aux données publiques d’entrer dans l’ère de l’open data. 

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission, tout comme Mme Clotilde Valter, secrétaire d’Etat, marquent leur désaccord avec les auteurs de l’amendement. Ils justifient notamment la durée de l’exclusivité par la volonté d’amortir l’investissement lié à la numérisation des documents publics. 

 

Le Sénat maintient les dérogations aux règles de réutilisation des données publiques

Les sénateurs M. Sueur et M. Vandierendonck ont souhaité rétablir, avec l’amendement n°21, l’article 1er de la loi dans sa forme votée par l’Assemblée nationale. En effet, la commission au Sénat a réintégré une dérogation à l’application du droit commun des règles générales de réutilisation des données publiques pour les établissements et institutions d’enseignement et de recherche, alors que l’objectif initial de la loi est de supprimer cette dérogation. En l’occurrence, la commission préfère garder certaines exceptions à la libre réutilisation des données publiques… 

Les signataires de l’amendement expliquent que leur objectif est d’élargir le champ d’application des règles de réutilisation des données publiques, sans toutefois changer le champ des données mises à dispositions. Mais le rapporteur M. Hugues Portelli y est défavorable au motif qu’il s’agit de réutilisation de données, ce qui est plus large que la simple communication de données : d’après lui, le simple fait de réutiliser des données publiques justifie que des dérogations pour les établissements et institutions d’enseignement et de recherche existent. 

M. Jean-Pierre Sueur réplique alors que, quel que soit l’objectif, communication ou réutilisation de données publiques, l’essentiel est de pouvoir disposer de documents à caractère public. 

Le Gouvernement, par la voix de Mme Clotilde Valter, est quant à lui favorable au texte. Mais le Sénat finit par le rejeter. 

 

Le Sénat impose la licence pour toute réutilisation de données publiques

Les sénateurs M. Sueur et M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain ont aussi voulu rétablir la rédaction de l’article 4 de la loi dans sa version initiale. Cet article prévoyait que la réutilisation d’informations publiques pouvait donner lieu à l’établissement d’une licence : cette dernière était alors facultative. La licence ne devenait obligatoire que lorsque la réutilisation était soumise à redevance. M. Thani Mohamed Soilihi défend cet amendement en considérant que “les conditions fixées à l’article 12 de la loi CADA suffisent amplement à encadrer les réutilisations dans un grand nombre de cas, sans qu’une licence soit nécessaire dès lors que les informations ne sont pas altérées, que leur sens n’est pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour sont mentionnées”. 

Si ces sénateurs veulent que leur amendement soit adopté, c’est parce que la commission au Sénat a rendu obligatoire la licence pour toute réutilisation d’informations publiques. 

M. Hugues Portelli émet un avis défavorable au motif que, selon un avis rendu par la CADA, l’extension du recours aux licences s’inscrit dans une visée pédagogique de bonne administration destinée à prévenir les litiges. L’amendement est rejeté par le Sénat, ainsi, toute réutilisation d’un document à caractère public devra nécessiter une licence. 

M. Jean-Pierre Sueur prophétise alors qu’un nombre industriel de licences devra être établi si le texte est voté et promulgué en l’état. 

 

Les sénateurs opposés à la totale transparence des accords d’exclusivité

Mme Bouchoux et le groupe écologiste demandent par l’amendement n°24 de rétablir une totale transparence dans les accords d’exclusivité conclus en matière de réutilisation des informations publiques et d’inclure dans les informations rendues publiques le contenu même des négociations. 

M. Hugues Portelli, rapporteur, émet sans attendre un avis défavorable au motif que la transparence quant aux conditions de négociations des accords d’exclusivité n’est pas nécessaire. 

En conséquence, cet amendement n’est pas adopté, mais c’est un autre amendement présenté par M. Sueur, M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain qui est en revanche adopté : il prévoit uniquement que les accords sont rendus publics “sous forme électronique”. 

Le Sénat semble alors faire le choix de ne retenir qu’une version très restrictive de l’accès aux données publiques et de la transparence des procédures. 

 

Le passage contreproductif du texte sur l’accès aux données publiques au Sénat

Des amendements à faible portée pour l’open data

Les quelques amendements que les sénateurs ont daigné adopter ont une portée relative et le texte issu de cet examen demeure quasiment identique à la version produite par la commission qui prône une vision restrictive de l’open data pour les données publiques. 

Les sénateurs ont, par exemple, adopté l’amendement n°17 présenté par Mme Bouchoux qui donne une définition de ce qu’est un fichier “aisément réutilisable” : c’est un fichier lisible par une machine et pouvant être exploité par un système de traitement automatisé. 

L’amendement n°18, présenté par Mme Bouchoux également et adopté par les sénateurs, fixe la révision, tous les 5 ans, la liste des informations ou catégories d’informations dont la réutilisation est soumise à redevance. L’objectif de ce texte est louable car il limite quelque peu le recours à la redevance, celle-ci devant être justifiée par période quinquennale. 

La question de la gratuité des données de l’Insee oubliée

La question de l’accès gratuit aux informations délivrées par l’Etat, notamment via l’Insee, n’a pas été discuté par les sénateurs, ce sujet est pourtant crucial. 

A l’Assemblée nationale, plusieurs députés, dont M. Luc Belot, avaient demandé à revenir sur la suppression du principe de redevance pour l’accès aux données de l’Insee. Mais les sénateurs n’ont pas semblé préoccupés par ces faits. L’Insee conserve bien son principe de redevance alors même qu’il s’agit de données publiques qui devraient être accessibles et réutilisables librement et gratuitement. 

L’accès à l’intégralité des données traitées par l’Insee reste donc payant, ce qui ne semble pas bouleverser les sénateurs qui ont réussi, lors de leurs débats, à conserver un texte limité en matière d’accès aux données publiques. 

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