Le reclassement d’un salarié inapte doit toujours être loyal selon le juge

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Pour la première fois depuis la réforme opérée par la loi Travail en matière d’inaptitude, la Cour de cassation vient préciser les conditions dans lesquelles un employeur est réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement. Il doit faire preuve de loyauté. Voici l’importante précision apportée par la Cour de cassation. Cass.soc.26.01.22, n°20-20369.

  • Les faits

En 1992, un salarié est embauché en qualité de conducteur d’engins pour une société de construction de routes. Puis en 2011, il demande à passer sur un poste d’ouvrier/manœuvre TP. Seulement en 2017, une hernie discale l’oblige à s’arrêter et va conduire le médecin du travail à le déclarer inapte à son poste. Le médecin envisage alors son reclassement, d’abord sur un poste de conducteur d’engins (après une évaluation du niveau de vibrations), mais aussi sur des postes administratifs.

L’employeur propose alors trois postes au salarié : technicien d’enrobage, géomètre projeteur et technicien de laboratoire. En revanche, rien concernant un poste de conducteur ! Le salarié refuse toutes ces offres et se voit licencier pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement.

-Le salarié conteste ce licenciement. Pour lui, l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement. Il lui reproche de ne pas lui avoir proposé de poste de conducteur d’engins, alors même qu’il s’agissait du premier poste envisagé par le médecin du travail. En plus, il avait lui-même demandé à être reclassé sur un tel poste, qu’il maîtrisait bien pour l’avoir occupé pendant des années. Mais surtout, ce poste était bel et bien disponible et à proximité ! Ce que l’employeur ne contestait d’ailleurs pas….

Les juges du fond donnent raison au salarié et jugent le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

-L’employeur se pourvoit en cassation. Il estime au contraire avoir correctement satisfait à son obligation de reclassement : non seulement, il a suivi les préconisations du médecin du travail quant à la nature des postes proposés (les postes administratifs faisaient partie de la liste), mais il estime aussi avoir été bien au-delà de ses obligations en faisant trois propositions de poste au salarié, alors même que la loi ne l’obligeait à n’en faire qu’une….

  • Mais que prévoient les textes ?

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par la médecine du travail, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, la loi oblige l’employeur (sauf exceptions) à lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités et qui tienne compte des préconisations faites par le médecin du travail (1).

Elle ajoute que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie :

– soit être dans l’impossibilité de proposer un emploi ;

– soit avoir essuyé un refus du salarié de l’emploi proposé dans ces conditions ;

– soit que le médecin du travail ait expressément mentionné que le maintien dans l’emploi du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé ferait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise (2).

Enfin (et surtout !) la loi Travail de 2016, a introduit une présomption : l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi dans les conditions fixées ci-dessus et prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail (3).

Et c’est bien cette présomption qui pose question dans cette affaire, car elle se heurte à une jurisprudence jusqu’ici bien établie. 

  • Que prévoyait la jurisprudence jusqu’ici ? 

– Avant 2017, les choses étaient assez claires : quelle que fût l’origine, professionnelle ou non, de l’inaptitude, le refus d’un poste de reclassement par un salarié ne pouvait pas justifier à lui-seul son licenciement. Après un refus, l’employeur devait reprendre ses recherches et ne pouvait licencier le salarié que s’il ne disposait plus d’aucun poste compatible avec les préconisations du médecin du travail (4).

En réalité, le motif de licenciement n’était pas le refus du salarié de la proposition de reclassement, mais l’impossibilité de le reclasser dans laquelle se trouvait l’employeur (5).

Sauf que la loi Travail a changé la donne ! Car la présomption qu’elle a instituée induit qu’il suffit que l’employeur ait proposé un seul poste compatible avec les préconisations du médecin du travail pour qu’il soit définitivement libéré de son obligation de reclassement… Autrement dit, en cas de refus par le salarié de ce (seul) poste, l’employeur, n’est alors plus tenu de lui en proposer un autre, ni même de poursuivre ses recherches. Il peut s’arrêter là et licencier le salarié pour inaptitude…

C’est d’ailleurs l’argument avancé par l’employeur dans notre affaire.

Or, depuis la réforme, la Cour de cassation n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce point.

L’enjeu est pourtant essentiel, car admettre qu’un refus du salarié puisse en soi constituer un motif de licenciement pourrait vider l’obligation de reclassement du salarié inapte de sa substance. D’autant plus dans l’hypothèse d’une inaptitude d’origine professionnelle, c’est-à-dire d’inaptitude causée au moins en partie par le travail et dont, au fond, l’employeur est un peu responsable…

Il était donc temps que la Cour de cassation se positionne enfin sur la question – et c’est désormais chose faite et même bien faite !

  • Une présomption qui ne joue que si l’employeur a loyalement cherché à reclasser le salarié 

Les hauts magistrats vont donner raison aux juges du fond : « la présomption instituée par ce texte ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. »

Or, dans notre affaire, la Cour de cassation considère que l’employeur aurait dû proposer au salarié le poste de conducteur d’engin préconisé par le médecin du travail, qui plus est, disponible ! Et qu’à défaut de l’avoir fait, il n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.

  • Une solution favorable aux salariés

Cette solution est plus que bienvenue. 

D’une part, elle vient enfin préciser les conditions dans lesquelles doit jouer la présomption introduite par la loi Travail. Il ne suffit pas que le ou les postes soi(en)t conforme(s) aux préconisations du médecin du travail, encore faut-il que l’employeur ait fait preuve de loyauté dans sa recherche.

Ensuite, parce que si l’affaire concerne une inaptitude d’origine professionnelle, il y a de fortes chances que la solution soit identique en cas d’inaptitude non professionnelle !

Alors certes, dans l’absolu, cette décision ne fait pas obstacle à ce qu’un employeur se contente de ne faire qu’une seule proposition de reclassement au salarié sous réserve d’avoir été loyal, elle n’en reste pas moins positive pour les salariés, tout particulièrement au regard des assouplissements accordés à l’employeur en matière de reclassement…

(1) Art. L.1226-10 C.trav. (pour l’inaptitude d’origine professionnelle) et art. L.1226-2 pour l’inaptitude d’origine non professionnelle.

(2) Art. L.1226-12 al.2 C.trav.

(3) Art. L.1226-12 al.3 et L.1226-2-1 C.trav.

(4) Le licenciement n’était justifié que si le salarié avait refusé les seuls postes compatibles avec les préconisations du médecin du travail : Cass.soc. 9.11.17, n°16-18452 ; Cass.soc. 9.04.02, n°99-44678.

(5) Peu importait également que le refus du salarié ait été abusif (celui-ci avait d’autres conséquences), il appartenait à l’employeur d’en tirer les conséquences en proposant de nouveaux postes ou, à défaut, en licenciant au motif de l’impossibilité de reclassement : Cass.soc. 17.05.16, n°14-19861.

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