Le cumul de mandats au CSE n’est pas possible

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.

En février dernier, nous avions déjà eu à commenter 2 jugements de tribunaux d’instance qui avaient conclu à l’incompatibilité du mandat d’élu CSE et de celui de représentant syndical au CSE (RSCE). Peu important que l’élu ne soit que suppléant et qu’en cette qualité il ne soit pas amené à siéger en séance avec ses 2 casquettes … mais seulement avec celle de RSCSE. Il y a quelques jours cela, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a rendu un arrêt allant exactement dans le même sens. Retour sur un contentieux dont l’issue ne sera pas sans conséquence sur nos pratiques syndicales. Cass. soc. n° 18-23.764 du 11.09.19. 

 

  • Un bref retour sur les tenants et les aboutissants de la problématique juridique

La problématique juridique ici posée s’articule autour de trois axes distincts. 

1er axe : les conditions requises pour pouvoir être désigné RSCSE. 

Sous l’empire des comités d’entreprise (CE), l’article L. 2324-2 ancien du Code du travail précisait que, dans les entreprises de 300 salariés et plus[1], « chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement » pouvait « désigner un représentant syndical au comité ». Ce dernier devant simplement être choisi par l’organisation syndicale concernée parmi les membres du personnel de l’entreprise remplissant les conditions d’éligibilité au CE (18 ans révolus, ancienneté dans l’entreprise d’au moins 1 an et ne pas être lié au chef d’entreprise par un lien de famille trop rapproché).  

L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a certes consacré l’entrée dans l’ère nouvelle des CSE, mais elle n’a strictement rien changé aux conditions de désignation du RSCSE. Celles-ci sont désormais visées à l’article L. 2314-2 nouveau du Code du travail, qui n’est rien d’autre qu’un parfait copier / coller de l’article L. 2324-2 ancien de ce même Code. 

2è axe : l’incompatibilité entre les mandats de représentant des salariés au CSE et de RSCSE. 

Le Code du travail n’a jamais expressément prévu l’existence d’une telle incompatibilité ! C’est en fait une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation qui en a disposé ainsi. Dans un arrêt rendu le 17 juillet 1990, la Haute juridiction était en effet venue préciser que « le même salarié ne peut siéger simultanément dans le même comité en qualité à la fois de membre élu et de représentant syndical auprès de celui-ci, les pouvoirs attribués par la loi à l’une et à l’autre de ces fonctions étant différents »[2].  

3è axe : la mise à l’écart des représentants des salariés suppléants des réunions des CSE par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. 

C’est sur ce dernier point que les équilibres ont vraiment bougé. Sous l’empire des CE, en effet, l’article L. 2324-1 alinéa 2 ancien du Code du travail précisait que « les suppléants » assistaient « aux séances du comité avec voix consultative » tandis que désormais, sous l’empire des CSE, l’article L. 2314-1 alinéa 2 nouveau de ce même code indique, sans plus de précision, que « le suppléant assiste aux réunions en l’absence du titulaire »

D’une réflexion menée autour de ces trois axes, il a pu ressortir le questionnement qui suit : 

l’incompatibilité entre la fonction d’élu suppléant et celle de représentant syndical telle que la jurisprudence l’avait consacrée à l’époque des CE a-t-elle encore un sens maintenant que nous sommes passés au CSE ? 

Dans ces comités d’un nouveau genre, la participation de droit de l’élu suppléant aux différentes réunions n’est en effet plus de mise. Aussi peut-on considérer que le risque pour un militant de devoir siéger comme élu suppléant et en même temps comme représentant syndical n’existe plus vraiment… sauf à supposer que l’élu suppléant supplée un élu titulaire absent. 

C’est à ce questionnement que la Cour de cassation est venu répondre le 11 septembre dernier. 

  • Les circonstances propres à l’affaire

Le 18 mai 2018, une salariée de la société Bio habitat est élue comme suppléante au CSE. 1 mois plus tard, elle est désigné déléguée syndicale par son organisation. 

Estimant que ces 2 mandats étaient incompatibles, l’employeur se tourne vers le tribunal d’instance de La Roche-sur-Yon afin d’y solliciter l’annulation de la désignation de la salariée comme déléguée syndicale. 

  • La décision des juges de premier instance et sa contestation

Donnant raison à l’employeur, le tribunal d’instance de La Roche-sur-Yon considère qu’effectivement le mandat de membre élu – même suppléant – du CSE et de représentant syndical au sein de ce même comité sont incompatibles. Et partant de cette appréciation, il décide non pas d’annuler la désignation de la salariée comme délégué syndicale, mais de lui a donner 1 mois à compter de la signification du jugement pour « opter » soit pour un mandat soit pour l’autre. 

La salariée et son organisation contestent le sens de cette décision et forment contre elle un pourvoi en cassation. Avec à son appui, l’affirmation d’une mise à mal des articles L. 2314-1 et L. 2314-2 du Code du travail, en ce qu’ils précisent d’une part que « le suppléant assiste aux réunions en l’absence du titulaire » et d’autre part que les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise désignent au CSE un représentant syndical sans expressément instaurer une quelconque incompatibilité entre ce mandat et celui d’élu au CSE. 

Mais le pourvoi met aussi l’accent sur une atteinte portée à nos grands principes constitutionnels, et en l’occurrence ceux énoncés aux alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. [3] Le premier précise que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » et le second que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »

De manière générique, les demandeurs considéraient que ces textes devaient être vus comme permettant à un salarié de « siéger simultanément dans le même CSE en qualité à la fois de membre élu et de représentant syndical ». Et ce faisant, ils arguaient bien la compatibilité des mandats d’élu et de RSCSE, sans faire de distinguo entre les élus titulaires et les élus suppléants. 

Mais ils mettaient aussi le focus sur la spécificité qui est celle de l’élu suppléant en insistant sur le fait qu’en présence de l’élu titulaire, l’élu suppléant ne peut pas siéger au CSE. Aussi considéraient-ils sur ce fondement là que ces 2 mandats ne devaient pas être considérés comme incompatibles « hors absence du membre élu titulaire ».  

  • Une position de la Cour de cassation dans la droite ligne de celle qu’elle avait déjà adoptée à l’époque des CE

Comme nous l’avons vu plus haut, la Cour de cassation a considéré dès le début des années 90 qu’ « un même salarié » ne pouvait « siéger simultanément dans le même CE en qualité à la fois de membre élu et de représentant syndical auprès de celui-ci »

Eh bien, près de 30 ans plus tard, ce sont exactement les mêmes mots qui reviennent ! Et c’est ainsi que dans son arrêt du 11 septembre 2019 elle a été amenée à s’exprimer ainsi : « un salarié ne peut siéger simultanément dans le même CSE en qualité à la fois de membre élu et de représentant syndical auprès de celui-ci »

Seule vraie différence entre ces 2 extraits de décision : l’occurrence CE, qui a été remplacée par celle de CSE. 

Mais pour être tout à fait honnête, la motivation de la Cour de cassation s’est aussi trouvée enrichie, puisque à la suite de ce parfait copier/coller d’un arrêt ancien, elle est aussi venue préciser qu’il n’était pas possible « au sein d’une même instance et dans le même temps », d’exercer des fonctions délibératives en qualité d’élu et des fonctions consultatives en qualité de représentant syndical. 

Ce n’est donc plus seulement le risque de siéger simultanément dans une réunion CSE sous couvert de 2 mandats distincts qui est mis en avant par les juges, mais aussi celui d’avoir à cette occasion à cumuler fonctions délibératives et fonctions consultatives. 

  • Les conséquences induites par cette décision sur nos pratiques syndicales

A la lumière de l’arrêt qui a été rendu le 11 septembre par la Cour de cassation, il ne semble plus être opportun de procéder à la désignation comme RSCSE d’un élu, même à supposer qu’il soit suppléant. 

Procéder ainsi permettait certes de rouvrir les portes du CSE à l’un de nos élus suppléants qui, en tant que tel, ne pouvait plus y siéger mais, désormais le risque d’annulation judiciaire semble être vraiment trop prégnant ! 

Pour conclure, rappelons tout de même ici que nous n’avions pas attendu que la Cour de cassation se positionne sur la cette question pour alerter les équipes sur les inconvénients majeurs dont une telle pratique de désignation était porteuse. 

– Tant que le militant élu suppléant et RSCSE n’était pas amené à suppléer au remplacement d’un représentant des salariés titulaire, tout allait bien ! Mais dès lors qu’il était amené à suppléer, il ne pouvait plus assumer son rôle de RSCSE. Ce qui était susceptible de mettre le syndicat dans une position difficile : 

. devrait-il le démandater pour mandater un autre militant ? En avait-il d’ailleurs le temps, lorsque l’indisponibilité de l’élu titulaire était connue quelques heures seulement avant la réunion ? Le siège de RSCSE ne risquait-il pas alors de rester vide ? Avec quelles conséquences pour la crédibilité du syndicat ? 

. que devait-il faire si, par exemple, l’absence de l’élu titulaire ne devait être que ponctuelle ? Devait-il démandater le RSCSE pour une seule réunion et mandater un autre militant pour un temps très court… pour in fine le remandater ? 

– Mais par-delà ces considérations “pratico-pratiques”, nous pouvions également nous demander s’il n’était pas politiquement dangereux d’opter pour la désignation d’un représentant des salariés suppléant en qualité de RSCSE. 

Car, à n’en pas douter, un tel positionnement pouvait avoir pour conséquence de renoncer à négocier, partout où c’est possible, la présence des élus suppléants aux réunions du CSE. 

Désormais, ces difficultés pratiques semblent être levées, puisqu’en droit, l’incompatibilité entre les fonctions d’élu et de RSCSE apparaît désormais comme clairement confirmée. 

 

[1] Dans les entreprises de moins de 300 salariés, c’est le délégué syndical qui est, de droit, RSCSE (comme il était, de droit, RSCE préalablement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017). Cf. art. L. 2143-22 al. 1er C. trav. 

[2] Cass. soc. 17.07.90, n° 89-60.729. 

[3] Texte qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. 

 

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