Le coronavirus n’empêche pas les délégués syndicaux de circuler librement en entreprise

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Une entreprise peut-elle, dans le cadre d’un protocole sanitaire de prévention de la propagation du Covid-19, restreindre les déplacements des délégués syndicaux et des membres du CSE ne faisant pas partie de la commission SST chargée des questions de sécurité d’hygiène et de santé au travail ? 

Non, répond le tribunal judiciaire de Saint Nazaire, dans sa formation en référé. Cette restriction est disproportionnée au but recherché – la protection sanitaire de l’ensemble des salariés – et constitue un trouble manifestement illicite. Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, 27.04.20, ordonnance n° 20/00071. 

  • Les faits : une restriction des déplacements des délégués syndicaux

Dans cette affaire, les établissements de la société ont été fermés le 17 mars 2020, dans le cadre de la mise en place des mesures de confinement prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Ils ont ensuite été rouverts partiellement à compter du 23 mars 2020 selon un « protocole d’ouverture de site restreint et encadré ». Celui-ci incluait un recours massif au télétravail, une production restreinte et strictement encadrée sur site au sein d’un protocole sanitaire renforcé et l’arrêt du travail pour le reste du personnel (dont des représentants du personnel). 

Dans ce cadre, la société a fourni des autorisations permanentes de déplacement, au sein du site de Saint-Nazaire, aux secrétaires et secrétaires adjoints du CSE, au secrétaire de la commission chargée de la sécurité et de la santé au travail (SST) ainsi qu’à tous les membres volontaires de cette commission. En revanche, l’entreprise a refusé de fournir une autorisation de déplacement sur le site aux autres représentants du personnel (DS et membres du CSE ne faisant pas partie de la commission SST) en télétravail ou placés en arrêt d’activité. 

Nota bene : en vertu de l’accord de dialogue social applicable dans l’entreprise, l’intégralité des attributions du CSE relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail des salariés est exercé, par délégation du CSE, par sa commission SST. 

C’est ainsi qu’un délégué syndical (DS) et représentant syndical au CSE placé en télétravail s’est vu refuser l’accès au site. Le militant, ainsi que son syndicat, ont assigné la société devant le tribunal judiciaire dans sa formation en référé. Ils demandent au juge d’ordonner la délivrance à l’intégralité des membres du CSE et des DS qui en feraient la demande, d’une attestation de déplacement professionnel et d’une autorisation d’accéder au site pendant toute la période où de tels documents demeureront nécessaires. Ils demandent également à bénéficier de l’ensemble des mesures de protection dont bénéficient les salariés en poste sur le site. 

  • Les arguments des parties : violation de la liberté syndicale ou simples précautions sanitaires ?

Le DS et le syndicat invoquent une violation de la liberté syndicale, mais aussi de la liberté de circulation des représentants du personnel dans l’entreprise susceptibles de caractériser le délit d’entrave

S’agissant de la liberté de circulation des délégués syndicaux, le Code du travail prévoit que pour l’exercice de leurs fonctions, ils peuvent « tant durant les heures de délégation qu’en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l’entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés ».(1) Les mêmes droits sont accordés aux membres du CSE, tant pour les membres élus de la délégation du personnel du comité que pour les représentants syndicaux.(2) 

Ils arguent qu’un représentant du personnel en télétravail conserve ses prérogatives de protection et de défense des droits des salariés. Ainsi, dans la mesure où le site a rouvert partiellement, les salariés présents ne doivent pas être privés de la protection de leurs droits, qu’assurent leurs représentants syndicaux. Par ailleurs, ils avancent qu’aucune raison matérielle ne rend impossible la protection sanitaire des représentants du personnel lors de leurs visites sur le site au même titre que les autres salariés. 

Les arguments développés par le syndicat sont d’ailleurs selon nous tout aussi valables pour des militants placés en activité partielle. En effet, l’activité partielle ne suspend pas le mandat des représentants des salariés. 

L’entreprise, quant à elle, prétend appliquer tout simplement la limitation des déplacements dans le cadre des règles d’urgence sanitaire « qui concerne tous les citoyens français ». Ces mesures exceptionnelles prohibent les déplacements hors du domicile à l’exception, en particulier, des déplacements professionnels indispensables et ne pouvant être différés. Elle fait ainsi valoir que la présence du DS n’est pas « insusceptible d’être différée » car seule la commission SST est habilitée à exercer les attributions du CSE en matière de santé et sécurité – attributions qui ne sont pas incluses dans le périmètre de ses mandats. 

Elle affirme enfin qu’« autoriser tous les représentants syndicaux, au nombre de 52 sur le site nazairien, d’user d’une totale liberté de circulation au sein de ce site accroîtrait de façon disproportionnée le risque de contamination des autres salariés présents, soumis à des règles de circulation strictes, alors que lesdits représentants syndicaux, en dehors des membres de la commission SST du CSE, ne justifient pas d’un motif général de présence indispensable et ne pouvant être différée ». 

  • La décision du tribunal : la liberté de circulation des DS est maintenue, même en période de crise sanitaire

Il revient au juge d’apprécier le caractère proportionné ou non de la limitation de la liberté de circulation des représentant syndicaux au regard du but de protection sanitaire des salariés. Il commence par indiquer que, pour cela, il doit nécessairement prendre en considération « l’ordre juridique exceptionnel et provisoire résultant de l’état d’urgence sanitaire, qui limite de façon générale la liberté de circulation ». 

Cela ne l’empêche cependant pas de considérer que la restriction n’était pas justifiée. En effet, le juge prend en considération les fonctions liées aux mandats du militant demandeur. Au titre de son mandat de DS en charge du syndicat, celui-ci se doit de représenter son syndicat dans les négociations collectives annuelles et d’animer le syndicat de l’établissement, ce qui implique, « de formuler des propositions, des revendications et des réclamations se fondant sur une communication régulière avec les salariés ». Par conséquent, 

la restriction d’accès et de circulation sur le site qui lui est opposée et donc, l’absence de possibilité de communication avec les salariés présents sur le site, est disproportionnée au but recherché et légitime de protection sanitaire de l’ensemble des salariés et constitue un trouble manifestement illicite. 

Le tribunal fait ainsi droit au demandes du militant (attestation de déplacement professionnel et autorisation d’accéder au site de l’établissement), en prenant soin de préciser que ce dernier devra exercer ses mandats dans un respect strict des conditions sanitaires imposées à tous les salariés et selon des modalités validées par la médecine du travail. 

Nous saluons cette décision qui, bien qu’étant une simple ordonnance de référé, nous semble aller dans le bon sens. Les restrictions aux mandats des représentants des salariés ne se justifient pas dès lors que les précautions sanitaires sont possibles. D’autant que leurs missions sont, dans la période, plus que jamais essentielles pour les salariés. 

 

(1) Art. L.2143-20 C.trav. 

(2) Art. L.2315-14 C.trav. 

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