Cet article est issu du site du syndicat de salariés CFDT.
Dans le cadre de la réforme des retraites, le Gouvernement vient d’annoncer qu’il recourait à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, provoquant ainsi la colère de l’opposition. C’est l’occasion de faire le point sur cette arme fatale de l’exécutif.
Le couperet de l’article 49 alinéa 3 est tombé ! Est ainsi mis fin au débat sur les dizaines de milliers d’amendements déposés depuis le début de la procédure législative. Décryptage de ce procédé qui permet de contourner le débat parlementaire et dont les grands perdants sont bel et bien les travailleurs !
- Ce que permet précisément la Constitution
L’article 49 alinéa 3 de la Constitution prévoit que “Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.”
Rien n’est précisé sur le droit, pour le Gouvernement, d’y recourir plusieurs fois pour un même texte, ou non. Dans la pratique, le 49 alinéa 3 a déjà été utilisé plusieurs fois sur un même texte, par exemple lors du projet de la loi dit « Macron » de 2015.
- Le Gouvernement engage sa responsabilité
Lors du vote d’un projet (ou d’une proposition) de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du Gouvernement. Attention : il ne peut le faire qu’une fois par session parlementaire !
-Dans un premier temps, l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution fait l’objet d’une délibération préalable en Conseil des ministres.
Ce qui a été fait ce samedi 29 février 2020, lors d’un conseil des ministres extraordinaire devant être consacré au Coronavirus….
Le Gouvernement a alors la main sur le texte pour lequel il engage sa responsabilité. Il n’a pas l’obligation de tenir compte des amendements adoptés avant le déclenchement de l’article 49-3.
-Dans un second temps, le projet (ou la proposition) de loi est réputé adopté, sans aucun débat parlementaire.
Dans le cadre de la réforme des retraites, le texte n’est pas le même que celui déposé devant les parlementaires, certains amendements y ont été insérés.
- Seule alternative possible : la motion de censure
Pour les parlementaires, la seule possibilité d’empêcher le recours au 49-3 est de déposer une motion de censure.
Sur le projet de loi ordinaire pour lequel a été utilisé le 49-3, deux motions ont été déposées, l’une par les Républicains et l’autre par les divers partis de gauche.
Une motion de censure doit être déposée dans les 24 heures et signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale.
– Si aucune motion de censure n’est déposée, le projet ou la proposition est considéré comme adopté.
– Si une motion de censure est déposée, elle est alors discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées par les députés. En cas de rejet de la motion, le projet (ou la proposition) de loi est considérée comme adoptée. Dans l’hypothèse inverse, le texte est rejeté et le Gouvernement est renversé.
- Et après ?
Etant donné la majorité à l’Assemblée nationale, il était peu probable (voire impossible) que la motion de censure aboutisse. Dans la nuit de mardi à mercredi, les deux motions de censure ont été rejetées. Le texte est donc voté.
Pour autant, tout ne s’arrête pas là ! Le projet de loi doit encore passer devant le Sénat devant lequel le 49-3 ne peut être utilisé. Le débat parlementaire ne peut donc être contourné, si ce n’est en utilisant le procédé dit du « vote bloqué », prévu à l’article 44 alinéa 3 de la Constitution.
Mais avec 24 sièges sur 348, LREM est loin de la majorité absolue au Sénat…
Le « vote bloqué » permet au Gouvernement de demander, à tout moment, à l’Assemblée nationale ou au Sénat de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en ne retenant que les amendements qu’il a proposés ou les amendements dont il n’est pas l’auteur mais qu’il a acceptés. Le Gouvernement demande alors à l’Assemblée d’accepter le texte tel qu’il le souhaite. Cette technique permet ainsi au Gouvernement d’obtenir, par une procédure ne mettant pas en jeu sa responsabilité, un résultat analogue. Le Conseil constitutionnel s’assure simplement que l’usage du vote bloqué ne porte pas atteinte au principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
La CFDT va continuer de défendre auprès des sénateurs et de l’opinion publique l’inscription dans le texte des mesures de justice sociale, comme le fait d’intégrer un droit à une réparation pour tous les facteurs de pénibilité et de répondre aux agents des trois fonctions publiques qui ont peu, ou pas, de primes afin de les protéger contre une baisse de leurs pensions dans le nouveau système.
Après le passage au Sénat, il est fort probable que la commission mixte paritaire (CMP) échoue, c’est-à-dire que l’Assemblée nationale et le Sénat ne trouvent aucun compromis sur le texte.
Le Gouvernement devrait alors donner le dernier mot à l’Assemblée nationale et réutiliser le 49-3 les deux fois où le texte repassera devant l’Assemblée nationale (comme il l’avait fait pour la loi dite « Macron » en 2015).
Cette procédure comporte trois étapes se déroulant dans l’ordre suivant : la nouvelle lecture par l’Assemblée, la nouvelle lecture par le Sénat et la lecture définitive par l’Assemblée.
Attention ! La réforme des retraites repose sur deux textes : un projet de loi ordinaire pour lequel le 49-3 a été utilisé. Mais il y a également un projet de loi organique (un texte qui touche à l’organisation des pouvoirs publics), pour lequel il ne sera pas possible d’utiliser le 49-3, et donc d’échapper au débat parlementaire.
Ce procédé ne peut en effet être utilisé que sur un seul texte par session parlementaire. Il serait toutefois possible de retarder l’examen de ce deuxième texte… mais c’est une hypothèse peu probable, car le texte est plus court que le projet de loi ordinaire et ne devrait donc pas trop ralentir le processus d’adoption de la réforme.
L’Assemblée nationale doit étudier le projet de loi organique à partir d’aujourd’hui (mercredi 4 mars 2020) à 15 h.