L’activité partielle s’ouvre à 2 nouveaux cas spécifiques

Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.

L’activité partielle (AP) est normalement une mesure mise en place collectivement, sur des critères liés aux postes, aux fonctions ou aux qualifications, et non sur des critères liés aux personnes. Sans abroger la possibilité d’un placement collectif en AP, deux récents dispositifs ouvrent une brèche dans ce principe : la bascule des personnes en arrêt dérogatoire vers l’activité partielle au 1er mai d’une part, et le dispositif spécifique d’individualisation prévu pour le maintien ou la reprise d’activité en sortie de crise sanitaire d’autre part.  

Nous vous en faisons ici une présentation et vous livrons notre vision de leur contenu, qui comporte quelques zones d’ombres et leur lot d’incertitudes. 

· Deux nouveaux cas de placement en activité partielle

Pour rappel, en cas de recours à l’AP, le Code du travail (1) précise que « En cas de réduction collective de l’horaire de travail, les salariés peuvent être placés en position d’activité partielle individuellement et alternativement ». Cette règle, qui demeure le principe, implique deux choses. 

– La réduction de l’horaire est collective et donc s’applique de la même manière à tous les salariés placés dans une même situation (en termes de catégories professionnelles ou de postes). 

– L’employeur a une certaine marge de manœuvre dans l’organisation du travail, puisqu’il peut placer les salariés en AP « individuellement et alternativement» ; ce qui revient à dire qu’il peut, par exemple, à condition de respecter l’égalité de traitement et les règles de non-discrimination, organiser un roulement entre les salariés (par exemple certains travailleront en début de semaine, d’autres en fin de semaine). 

La loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 a prévu une première modalité d’individualisation, en faisant basculer les personnes jusque-là en arrêts dérogatoires (pour garde d’enfants, personnes vulnérables, conjoints de personnes vulnérables) ou qui y seraient éligibles- en AP à compter du 1er mai. 

Par ailleurs, l’article 8 de l’ordonnance n°2020-460 du 22 avril 2020 (2) a également prévu des possibilités d’individualisation. A l’origine, on aurait pu croire que ce texte visait la bascule des personnes en arrêt dérogatoire. Or, il s’avère que le texte est beaucoup plus général et vise une forme totalement inédite d’individualisation de l’activité partielle. Contrairement au système de bascule prévu par la loi de finances, cette nouvelle faculté de recours à l’AP ne repose pas sur des critères liés aux personnes. Le recours reste fondé sur des critères liés aux postes, aux qualifications et aux compétences

Dès lors se posent principalement la question de leur articulation et celle de la nécessité, ou non, dans ces cas, d’obtenir une autorisation administrative préalable de l’employeur dans ces cas d’individualisation du placement en activité partielle. 

Mais revenons d’abord sur ce que prévoient les textes. 

· Ce que prévoit l’ordonnance en matière d’individualisation de l’activité partielle

  1. La nécessité de passer par un accord collectif ou par une décision de l’employeur ayant recueilli l’avis favorable des IRP

L’employeur « peut placer une partie seulement des salariés » de l’entreprise, d’un établissement, d’un service ou d’un atelier, « y compris ceux relevant de la même catégorie professionnelle », en position d’AP ou appliquer à ces salariés une répartition différente des heures travaillées et non travaillées.  

Autrement dit, cette nouvelle modalité de recours à l’AP permet à l’employeur d’échapper, temporairement (la faculté de recours de manière individualisée est temporaire), et sous certaines conditions, à la règle de l’égalité de traitement entre les salariés d’une même catégorie professionnelle. 

Attention ! Selon nous, les règles de non-discrimination continuent de s’appliquer. 

Les conditions à respecter pour mettre en place l’AP de manière individualisée sont les suivantes :

– le placement individualisé doit être nécessaire pour assurer « le maintien ou la reprise d’activité» ; 

– l’individualisation de l’activité partielle est prévue par un accord collectif (accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, de convention ou d’accord de branche) ; 

– ou bien, l’employeur peut aussi décider de recourir à l’activité partielle individualisée par décision unilatérale, mais il doit alors obtenir un avis favorable du CSE ou du conseil d’entreprise. 

L’accord, ou le document, soumis à l’avis du comité social et économique ou du conseil d’entreprise détermine notamment : 

– les compétences identifiées comme nécessaires au maintien ou à la reprise de l’activité de l’entreprise, de l’établissement, du service ou de l’atelier ; 

– les critères objectifs, liés aux postes, aux fonctions occupées ou aux qualifications et compétences professionnelles, justifiant la désignation des salariés maintenus ou placés en activité partielle ou faisant l’objet d’une répartition différente des heures travaillées et non travaillées ; 

– les modalités et la périodicité (celle-ci ne peut être inférieure à 3 mois), selon lesquelles il est procédé à un réexamen périodique des critères liés aux postes, aux fonctions ou aux qualifications et compétences professionnelles, afin de tenir compte de l’évolution du volume et des conditions d’activité de l’entreprise en vue, le cas échéant, d’une modification de l’accord ou du document ; 

– les modalités particulières de conciliation de la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés concernés ; 

– les modalités d’information des salariés de l’entreprise sur l’application de l’accord pendant toute sa durée. 

Ces accords et décisions unilatérales prises en application de ce texte cessent de produire effet à une date fixée par décret, et au plus tard au 31 décembre 2020. 

 

  1. Le sort des salariés protégés en cas d’individualisation du placement en activité partielle

Le placement en AP ne s’impose aux représentants des salariés qu’à condition que l’activité partielle affecte « dans la même mesure » tous les salariés de l’entreprise, de l’établissement, du service ou de l’atelier auquel est affecté ou rattaché l’intéressé. A contrario, si tous les salariés de l’entreprise ne sont pas affectés dans la même mesure, le salarié protégé retrouve son droit de refuser le passage en activité partielle. 

Cet ajout de la condition selon laquelle l’activité partielle doit affecter tous les salariés « dans la même mesure » ne peut se comprendre qu’en se référant à la possibilité d’individualisation de l’activité partielle introduite par l’ordonnance. En effet, jusqu’alors, le placement en activité partielle était une mesure collective, ce qui permettait d’assurer l’égalité de traitement des salariés dans une situation identique en terme de postes. C’est pourquoi, de manière générale, lorsque l’activité partielle est mise en place de manière collective, le salarié protégé ne peut, en principe, pas refuser le passage au chômage partiel, dès lors que tous les salariés de l’entreprise, de l’établissement ou de l’atelier sont également placés en activité partielle. 

<=> En cas d’individualisation de l’AP, le salarié protégé semble ainsi retrouver son droit de refuser le passage en AP. 

Néanmoins l’expression « dans la même mesure » est vague et sujette à interprétation, ce qui n’est pas très sécurisant pour les militants… 

En outre, pour la CFDT, par souci d’équité vis-à-vis des autres salariés, il ne s’agit pas de refuser le passage en AP si celui-ci n’est pas guidé par des raisons discrimnatoires. 

  • La bascule des personnes en arrêt dérogatoire vers l’activité partielle prévue par la loi PLFR pour 2020

L’article 20 de la loi PLFR de 2020 vise les salariés qui étaient jusqu’alors en arrêt dérogatoire ou qui pourraient en bénéficier pour les motifs suivants : 

– personnes vulnérables au Covid-19 (un décret doit poser les critères de vulnérabilité) ; 

– conjoints, parents ou enfants d’une personne vulnérable avec laquelle ils/elles demeurent ; 

– parents d’un enfant de moins de 16 ans ou d’une personne en situation de handicap, qui se trouvent, dans l’impossibilité de continuer à travailler. 

A compter du 1er mai, ces personnes basculent dans l’AP et perçoivent « l’indemnité d’activité partielle mentionnée au II de l’article L. 5122‑1 du code du travail, sans que les conditions prévues au I de ce même article ne soient requises ». 

La durée d’application de ce texte (donc de prise en charge au titre de l’activité partielle) varie selon les publics. 

Pour les personnes vulnérables et celles demeurant avec une personne vulnérable, la date sera fixée par décret (au plus tard 31.12.20). Pour les salariés qui étaient en arrêt pour garde d’enfants, cela dépend de la durée pendant laquelle leur enfant sera maintenu à domicile. 

Cette disposition a pour avantage de porter l’indemnisation des salariés ayant peu d’ancienneté (moins de 5 ans) au taux de 84 % de leur salaire net antérieur alors qu’indemnisés par la Sécurité sociale, ils seraient passés à 66 % dès le 2è mois (auparavant ils étaient à 90 %). Toutefois, pour les salariés ayant une bonne couverture conventionnelle, il peut y avoir une perte (en fonction de leur taux d’indemnisation antérieur). 

L’adoption de ces deux dispositifs dans un temps rapproché conduit à se poser plusieurs questions, dont celle de leur articulation… 

  • L’articulation des deux dispositifs d’individualisation de l’AP

On peut se demander tout d’abord si les deux dispositifs doivent être considérés comme distincts, et donc obéir chacun à un régime différent, ou bien si les dispositions de l’ordonnance du 22 avril complètent celles sur la bascule des personnes vulnérables. 

En d’autres termes, le dispositif sur la bascule doit-il remplir les conditions posées par l’ordonnance dans ses dispositions plus générales sur l’individualisation, ce qui impliquerait par exemple la consultation du CSE (avec nécessité d’un avis favorables) sur cette bascule

Il nous semble qu’il y ait peu d’hésitation et qu’on puisse considérer que les deux dispositifs sont indépendants.  

D’une part, pour la bascule, les critères de vulnérabilité seront définis par décret (ils ne peuvent donc être ni le fruit d’un accord, ni celui d’un échange via la consultation), ce qui fait perdre une grande partie de son intérêt à une négociation ou une consultation…  

D’autre part, la bascule est obligatoire et automatiqueLes salariés mentionnés au I perçoivent à ce titre l’indemnité d’activité partielle ») tandis que la mise en place individualisée du chômage partiel – qui repose sur des critères liés aux postes, compétences, fonctions, qualifications – n’est qu’une faculté (« L’employeur peut placer »). 

Enfin, les deux dispositifs ont des objectifs différents : préservation de la santé et nécessité de la vie familiale pour l’un, et maintien ou reprise de l’activité pour l’autre. 

  • La nécessité –ou non- d’une autorisation administrative préalable

Normalement en cas de recours à l’activité partielle « classique » (avec un placement collectif en AP), une autorisation administrative doit être demandée à l’administration (3). 

Dans la période de crise sanitaire, pour ces cas de recours « classiques », le délai de réponse de l’administration est de 2 jours (au lieu de 15 habituellement). En outre, la consultation préalable du CSE n’est pas obligatoire, ce qui ne dispense pas l’employeur d’engager le processus au moment de sa demande en en informant le CSE. 

Cependant, dans les deux nouveaux cas individualisation, on peut émettre doute sur ce point : une autorisation administrative préalable est-elle toujours requise ? La question nous semble recevoir une réponse différente pour chaque cas. 

 

  1. Concernant la bascule des arrêts dérogatoires en activité partielle

Les salariés qui bénéficiaient des arrêts dérogatoires basculent en AP pour leur indemnisation, peu importe la situation antérieure de l’entreprise. Des salariés peuvent donc basculer dans ce régime d’indemnisation quand bien même l’entreprise n’aurait pas recouru à l’AP auparavant. Il s’agit d’un régime d’exception, qui les vise en fonction de leurs caractéristiques personnelles et qui n’a pas de lien avec l’activité de l’entreprise. 

Pour eux, l’autorisation de l’administration et les conditions de recours à l’AP sont très clairement exclues par le textesans que les conditions prévues au I du même article L. 5122-1 soient requises »). 

Peu importe que l’entreprise ait bénéficié ou non de l’AP avant. En revanche, si on se reporte à l’exposé des motifs du texte, il semble que l’employeur doive faire une demande auprès de la Direccte. 

 

  1. Concernant l’individualisation en général (issue de l’ordonnance)

Une autorisation administrative est-elle toujours nécessaire ? Dans l’affirmative, à quel moment la demander ? Est-elle toujours préalable au placement en activité partielle ou bien n’intervient-elle qu’après signature de l’accord ou avis favorable du CSE ? 

En effet, l’expression « Par dérogation au I de l’article L. 5122-1 du Code du travail » suggère que l’autorisation de l’administration n’est plus obligatoire, puisque l’article L.5122-1 du Code du travail est celui qui prévoit l’obligation de faire une demande préalable auprès de l’administration. Les textes règlementaires étant pris en application de la loi ne permettent pas d’écarter cette lecture. Surtout que le mot « maintien » de l’activité pouvait prêter à confusion. 

Pour autant, on peut aussi penser que l’absence de nécessité d’une autorisation préalable s’explique par la situation antérieure de l’entreprise. 

Ainsi, l’individualisation ne pourrait être mise en place que dans les entreprises où l’activité partielle existe déjà, (et donc où il y a déjà une autorisation de l’administration). Cela expliquerait que l’entreprise n’ait pas besoin de demander une nouvelle autorisation

Toutefois, de notre point de vue, l’exigence de signature d’un accord ou d’un avis favorable du CSE (ou du conseil d’entreprise) est la véritable raison de cette disparition la nécessité d’une autorisation de l’administration. 

Le placement en AP individualisée pour « le maintien ou la reprise d’activité » pourrait intervenir dans toutes les entreprises, sans autorisation préalable de l’administration, que ces entreprises aient ou non mis en place de l’activité partielle auparavant. 

D’une part, cela serait cohérent avec la logique économique qui sous-tend le texte, à savoir sélectionner les salariés les plus utiles à la reprise ou au maintien de l’activité, ainsi qu’avec le caractère exceptionnel du dispositif (les accords comme les décisions unilatérales validées par le CSE cessent de produire effet au 31 décembre 2020). 

D’autre part, cela expliquerait l’exigence d’un avis favorable des IRP, ou de la signature d’un accord, ce qui signifie que l’employeur ne peut décider seul et doit engager un véritable dialogue social. Quand on sait que les cas d’exigence d’un avis favorable du CSE se comptent sur une petite main, on peut en effet penser que c’est bien là l’intention du législateur… 

L’aval des organisations syndicales représentatives ( du fait de leur signature) ou celui des élus, qui disposeraient ainsi d’un droit de véto, tiendrait lieu de justification du recours au dispositif. Autrement dit, serait exigé un véritable échange entre les élus ou les organisations syndicales d’une part et l’employeur d’autre part, notamment sur les critères de cette individualisation. 

A noter toutefois que si l’employeur ne veut pas conclure d’accord, les délais pour rendre l’avis – sans même évoquer une hypothétique expertise – seront très brefs, puisque l’article 9 de l’ordonnance du 22 avril 2020 précitée prévoit de raccourcir les délais d’information-consultation et d’expertise par décret pour toutes les consultations « qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 ». La pression sur les élus risque donc d’être très forte et à marche forcée, alors même que leur responsabilité sera grandissante dans la mise en place de l’AP ! 

 

Que se passe-t-il dans les entreprises de moins de 11 salariés ? L’employeur peut-il décider unilatéralement d’un placement individualisé en AP lorsqu’il n’y a pas d’élus ? Ou faut-il dans ce cas une autorisation administrative spécifique ? 

S’il n’y a pas d’élus ou pas de DS, et pas d’« accord » validé par référendum, il nous semble que l’employeur ne puisse pas mettre en place l’AP individualisée, qui est un dispositif dérogatoire, donc d’interprétation stricte. Il devra s’en tenir à un placement collectif en AP. 

 

(1) Art. L.5122-1, I C.trav. 

(2) JO du 23.04.20. 

(3) Art. L.5122-1, I C.trav. 

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