Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Dans le sud-nantais, les porteurs de presse tirent le signal d’alarme. Maillons essentiels de la diffusion et de la pérennité de la presse, ces salariés invisibles alertent sur leurs conditions de travail et la dureté de leur métier.
La pluie a cessé. Les routes sont désertes. Le thermomètre affiche neuf degrés en cette matinée de septembre. Il est 3 heures du matin. Le halo lumineux des phares d’un Dacia Duster blanc vient briser l’obscurité. Au volant, Françoise Rajot, 66 ans, se fraie un chemin dans la nuit engourdissant la campagne nantaise. Cela fait près de dix ans que cette femme dynamique est porteuse de presse.
« Un métier de l’ombre. On est complètement transparent. Personne ne nous voit. Et personne ne nous connaît. » Sa mission ? Distribuer les journaux, quotidiens, hebdomadaires ou mensuels. Ouest-France, Presse Océan ou France Football devront garnir les boîtes aux lettres des abonnés avant 7 h 30. Françoise est aussi déléguée syndicale CFDT de l’entreprise qui l’emploie, PVS Portage. Son combat ? Défendre ses collègues et améliorer le quotidien de ces invisibles lève-tôt. Comme elle, ils sont soixante-dix à assurer la livraison de la presse sur le sud-nantais et à subir les nombreuses contraintes du métier. Ils ont pour la plupart entre 40 et 70 ans. La majorité est composée de retraités qui ont du mal à joindre les deux bouts et des plus jeunes qui galèrent pour trouver autre chose. Tous sont à temps partiel (lire l’encadré). Beaucoup sont là parce qu’ils n’ont pas le choix. « Parce qu’il faut bien grappiller des heures et des sous là où c’est possible », résume Françoise.
Pascal et Jeanine, 55 et 69 ans, sont de ceux-là. Le couple patiente devant le dépôt de La Chevrolière, situé à quelques centaines de mètres de l’imprimerie du quotidien régional de référence, Ouest-France. Ils attendent que l’ensemble des journaux leur soit remis. Comme eux, Scoubi s’impatiente. Le fidèle compagnon à quatre pattes est de toutes les sorties : « La semaine dernière, les journaux sont arrivés avec trois heures de retard. C’était long pour lui », confie Jeanine.
Ce temps d’attente sera quand même partiellement rémunéré, et ce, grâce à la CFDT, qui s’est battue pour ce droit, alors qu’auparavant les porteurs étaient payés seulement au nombre de journaux livrés. Une petite victoire, même si ce n’est pas encore satisfaisant : « Nous sommes encore loin du compte. Pour beaucoup, ce n’est pas rentable de travailler », lâche Françoise. Pour livrer leurs journaux, les salariés utilisent leur voiture personnelle. Les indemnités kilométriques sont faibles et ne compensent pas l’usure du véhicule. « Nous sommes remboursés sur la base d’un deux-roues… Et en plus on doit payer une assurance spécifique. Si on travaille le dimanche, on a une prime de 3,05 euros bruts, s’étouffe Françoise, tout en chargeant sa voiture. Ce n’est pas une vie. »
Les parents pauvres du secteur
Françoise connaît le circuit par cœur, elle dompte les virages et les raccourcis. Sa conduite assurée masque sa douleur lancinante au bras gauche, réminiscence d’une fracture qu’elle s’est faite quelques semaines auparavant. Les trois séances de rééducation dans la semaine lui sont utiles. L’opération, elle, attendra : « C’est compliqué de s’arrêter », concède-t-elle. D’autant que cette militante prend à cœur sa mission d’élue du personnel. « Il faut se battre pour tout. J’incite les salariés à vérifier qu’ils sont payés comme ils le doivent. Ils ne connaissent pas leurs droits et n’osent pas réclamer. » Françoise vient par exemple d’obtenir pour un collègue le paiement des trois dernières années de frais kilométriques qui ne lui avaient jamais été versés.
Il est 4 h 59. Françoise ne croit pas aux miracles – mais à la malice et à la ténacité, oui – et pourtant la voilà en train de faire une prédiction : « Il va faire jour dans trente secondes. » Et la lumière fut. L’éclairage public vient de se déclencher. « Il faut toujours avoir un coup d’avance », glisse-t-elle avec humour, sur la tournée comme dans le dialogue social. « Les groupes de presse, qui bénéficient d’aides au portage de la part de l’État, doivent s’intéresser aux conditions de distribution ! Je veux une vraie reconnaissance du métier de porteur de presse. Nous sommes des acteurs du secteur à part entière ! Mais nous en sommes aussi les parents pauvres. C’est pourtant grâce à nous, parce qu’on est debout avant tout le monde, que les journaux continuent de vivre et qu’ils ont des abonnés fidèles. »
Il est 6 heures. Pour Françoise, la tournée s’achève. Cette infatigable retraitée va consacrer le reste de sa journée à ses activités bénévoles. D’autres vont enchaîner sur un deuxième job…