La philosophie mutualiste à la croisée des chemins

Depuis près de deux cents ans, la philosophie mutualiste constitue une part intégrante du bloc idéologique qui anime les forces sociales françaises. Cette philosophie a dû s’adapter aux évolutions politiques successives. Le quinquennat de François Hollande apparaît de plus en plus comme une phase pivot de cette histoire séculaire. 

 

Quintessence de la philosophie mutualiste

Au fondement de la pensée mutualiste, on trouve la conviction que les acteurs de la société doivent s’organiser spontanément et librement (et souvent sur une base professionnelle) pour pourvoir à leurs propres besoins de protection. Cette paradigme explique que le mutualisme se soit épanoui sur les sujets de santé: les “mutuelles” sont un domaine privilégié pour exprimer cette philosophie de l’organisation en dehors de tout schéma étatique. 

Les “mutuelles” reposent sur des valeurs conformes à leur philosophie. Elles ne prévoient pas, en principe, de sélection du risque: le principe d’une segmentation du marché, comme disent les assureurs, est diamétralement opposé à l’histoire du secours mutuel. Tous les cotisants d’une mutuelle sont supposés payer le même tarif pour les mêmes garanties. 

Identiquement, la mutuelle est organisée autour du principe que chaque cotisant dispose d’une voix égale pour décider de l’avenir du contrat. 

 

La lutte historique contre la Sécurité Sociale

Dans l’histoire de la protection sociale en France, la mutualité occupe une place à part, dans la mesure où elle a, avant 1945, structuré durablement le “marché” français. Contrairement à une idée répandue, la France n’est en effet pas passée de l’ombre à la lumière, du néant à la plénitude avec les ordonnances créant la sécurité sociale. Dès la loi de 1928 sur les assurances sociales, la mutualité s’est affirmée comme l’acteur fondamental de la retraite et de la santé en France. 

Les amateurs d’histoire noteront que le concept de régime obligatoire de sécurité sociale est apparu dès 1940, sous le régime de Vichy. Un certain nombre de conseillers d’Etat qui oeuvraient au cabinet de René Belin, ministre du Travail, et qui rédigeront en 1945 les ordonnances créant la sécurité sociale, avaient conçu dès l’été 40 les grandes lignes de ce qu’est aujourd’hui notre système de protection. 

Si celui-ci ne connut qu’une réalisation partielle sous Vichy (avec la création de la CNAV et des CPAM), c’est bien parce que la mutualité s’y opposa. À l’époque, la mutualité était le premier acteur de la santé en France, et entendait bien ne pas être détrônée par un régime public obligatoire. 

 

L’arrangement de 1945

En 1945, la mutualité connut un premier grand “pivot” avec la création officielle de la sécurité sociale. Dans la foulée de la Libération, il fut difficile pour la FNMF de continuer sa lutte contre un projet imposé par ordonnance. L’arbitrage final fut celui d’une acceptation, avec certaines garanties. À l’époque, la sécurité sociale assuma clairement de ne rembourser que 40% des soins environ, laissant ainsi le champ libre à l’activité d’acteurs complémentaires. 

Pour la FNMF, 1945 marque le début d’une coexistence de près de 70 ans, et d’une navigation de conserve avec la sécurité sociale. Sur le fond, cette stratégie s’est plutôt révélée payante, puisque la mutualité est encore aujourd’hui l’acteur majoritaire de la protection complémentaire santé individuelle. 

 

La menace de la protection sociale complémentaire sur une base collective

À partir des années 90, l’émergence d’une protection collective, par entreprise ou par branche (encouragée par des avantages fiscaux), a nourri une nouvelle concurrence face à laquelle la réaction mutualiste s’est fait en ordre dispersé. Si certains acteurs mutualistes, comme Harmonie aujourd’hui, ont investi dans le développement de produits collectifs, la majorité d’entre eux a perpétué la tradition de contrats individuels. 

Cette passivité relative explique les particularités du paysage mutualiste aujourd’hui. D’une part, les mutuelles d’entreprise ont très souvent rejoint des institutions de prévoyance, quittant de fait le Code de la Mutualité pour rejoindre le Code de la Sécurité Sociale. D’autre part, le nombre de mutuelles a fondu comme neige au soleil, passant de plusieurs milliers il y a encore dix ans à moins de 600 aujourd’hui, dont 300 seulement ne sont pas substituées. 

 

La stratégie coopérative de la FNMF

Durant toute cette période, la stratégie menée par la FNMF a essentiellement consisté à coopérer avec les pouvoirs publics, sur deux axes majeurs. D’une part, la FNMF a volontiers accompagné l’industrialisation du secteur, en acceptant, voire en promouvant, des normes réglementaires permettant de javelliser les petits acteurs. D’autre part, la FNMF a misé sur des innovations réglementaires parfois très orthogonales avec ses principes fondateurs, en imaginant que ses adhérents en tireraient profit. 

La logique de la FNMF a consisté à parier que sa coopération avec les pouvoirs publics au développement de normes élevées en matière de protection sociale lui profiterait plus qu’elle ne lui nuirait, comme si le développement de la sécurité sociale était dans l’intérêt de la mutualité. 

Cette stratégie est-elle payante? La généralisation de la complémentaire santé aux retraités, obtenue en 2014 de François Hollande, a bien montré comment une idée excellente sur le papier pouvait se transformer en machine infernale lorsque la technostructure s’en emparait. 

 

Le risque de la sécurité sociale globale

Paradoxalement, donc, la proximité politique entre la FNMF et le pouvoir a placé le monde mutualiste sur une pente glissante et dangereuse. Ce glissement est d’autant plus problématique que l’idée d’une sécurité sociale globale émerge. Pour la mutualité, l’apparition de cette idée dans des programmes politiques manifeste la fin d’un cycle. Il devient désormais évident que les futurs “progrès” de la sécurité sociale interviendront au détriment de l’espace laissé libre jusqu’ici à la mutualité. 

Pour la FNMF notamment, cette évolution oblige à repenser les fondements de la stratégie coopérative menée depuis plusieurs années. Manifestement, la navigation de conserve risque de conduire l’armada des mutuelles encore vivante dans les récifs. 

 

Un revirement stratégique imminent ?

Face à ces menaces, la FNMF a probablement intérêt à opérer un revirement stratégique durable, destiné à modifier en profondeur les tentations dans l’opinion publique. Ce revirement passe par la prise de conscience de l’antagonisme entre les acteurs complémentaires et un acteur de base hégémonique. Il suppose ensuite une action déterminée pour documenter les bienfaits d’une gestion du risque intégrant des acteurs complémentaires imaginatifs et responsables. 

Il faudra vérifier, dans les semaines à venir, l’évolution de ce sujet au sein de la FNMF. 

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