La nouvelle version de la loi Travail, présentée le 24 mars en Conseil des Ministres, a-t-elle vidé la version initiale de sa substance? Cette critique largement portée par les mouvements patronaux et la droite parlementaire mérite un examen un peu plus approfondi. Au final, en effet, l’affaiblissement du texte peut être moins marqué qu’on ne le dit…
Ce qui reste dans la loi Travail
Dans la pratique, la “réécriture” du Premier Ministre n’a pas touché le coeur de la loi: l’inversion (partielle) de la hiérarchie des normes. L’essentiel du texte est donc préservé: les entreprises pourront, lorsqu’elles disposent d’institutions représentatives du personnel, déroger à des dispositions substantielles de la loi par accord majoritaire à 50%. La condition est donc restrictive, fait la part belle aux organisations contestataires qui pourront bloquer les négociations ou monnayer chèrement leurs contreparties. Mais le texte demeure et tout n’est pas perdu.
Cette disposition profite aux seules entreprises ayant atteint la taille critique pour disposer d’IRP en ordre de marche. C’est la grande critique qu’on peut lui opposer: la loi sert les grandes entreprises, et boude son plaisir avec les petites.
Ce qui est amoindri dans la loi Travail
La “réécriture” du texte satisfera même certains employeurs, puisqu’elle “sort” le paquet Badinter des dispositions légales pour les rendre simplement indicatives. Les dizaines de principes généraux qui devaient faire leur entrée dans la loi et devenir opposables aux employeurs disparaissent donc pour devenir de simples guides à la refonte du code. Cette annonce rassurera ceux qui craignaient de devoir appliquer à l’aveugle des dispositions vagues en attendant que la jurisprudence ne fasse son oeuvre. Ce point vaut particulièrement pour le droit d’expression des convictions religieuses, qui promettait de causer un bel embrouillamini.
En revanche, les employeurs ont déjà manifesté leur mécontentement face à la “neutralisation” du barème des indemnités de licenciement dans la partie de la loi appelée “paquet Macron 2”, puisque regroupant les dispositions qui devaient figurer dans l’éphèmère loi Macron 2… Ce barème ne disparait pas à proprement parler, il devient simplement indicatif. Ce compromis de rédaction et d’application n’est peut-être pas, paradoxalement, aussi mauvais qu’on ne le pense. Encore un effort, et la loi décidera d’une “réparation poste par poste” qui pourrait se révéler plus fructueuse qu’on ne le pense.
Ce qui disparaît corps et âme
Des points disparaissent corps et âme et, somme toute, ils sont plutôt marginaux. C’est tout particulièrement le cas du temps de travail des apprentis, qui continuera, pour atteindre les 40 heures, à supposer une autorisation préalable de l’inspection du travail et de la médecine du travail. Le maintien de cette tracasserie apparaît là encore relativement marginal, même si Emmanuel Macron en a réclamé la suppression.
Ce qui est à surveiller
Le point majeur qui reste en débat dans la loi Travail porte sur le recours unilatéral au forfait-jour pour les cadres dans les TPE et les PME. Ce point est celui qui intéresse le plus les start-up depuis que la Cour de Cassation a annulé les dispositions de la convention collective du Syntec. Si le maintien de la décision unilatérale ne paraît pas possible (ce qui est sans surprise d’un point de vue syndical), la CFDT a proposé de l’intégrer dans un mécanisme de mandatement.
Il faudra surveiller le texte de près pour vérifier que la rédaction finale (sous réserve qu’elle ne soit pas modifiée par le Parlement) permette bien cette solution de compromis qui n’a pas que des désavantages.
Les risques qui subsistent
Deux risques majeurs pèsent encore sur le texte.
Le premier est lié à l’agitation sociale qu’il suscite. Les mouvements contestataires ne désespèrent pas d’obtenir son retrait et une “aventure” de type CPE reste possible. Les mouvements de rue qui doivent avoir lieu demain donneront un premier aperçu des risques encourus sur ce plan.
Le second est lié à la contestation du texte au sein même de la majorité. Même si Manuel Valls assure disposer d’une majorité pour voter le texte, les frondeurs n’ont pas dit leur dernier mot et leur porte-parole, Christian Paul, continue à demander son retrait. Rien n’exclut une mauvaise manière dans l’hémicycle, avec une guerre d’amendements qui risque d’affaiblir la portée de la loi.