Le comité consultatif national (CCN) de la CGT devrait approuver aujourd’hui la nouvelle équipe composant la commission exécutive chargée de diriger la CGT. Elle sera conduite par Philippe Martinez, secrétaire de la fédération de la métallurgie.
Elle présente deux caractéristiques fortes et liées: d’abord, elle accorde la part belle aux fonctionnaires ou aux fédérations para-publiques, ensuite elle est composée de la vieille garde marxiste-léniniste. On n’y retrouve notamment ni Baptiste Talbot, le charismatique secrétaire de la fédération des services publics qui apparaît comme l’une des figures montantes du syndicat, ni Eric Aubin, un temps candidat porté par les “modernistes” à la succession de Thibault, ni Mohammed Oussedik, secrétaire confédéral à l’Economie et à l’Industrie.
Pour Philippe Martinez et son équipe de “tradis”, plusieurs défis s’ouvrent.
Fédérer des militants en proie au doute
Le premier enjeu de Philippe Martinez consistera évidemment à resserrer les rangs dans une confédération meurtrie par l’épisode Lepaon au sens large. Non seulement le crise ouverte a soulevé de nombreuses rancoeurs dans la base, mais la gouvernance propre à l’ancien secrétaire général n’a pas épargné les troupes. Thierry Lepaon n’est en effet jamais parvenu à se légitimer techniquement, et l’absence de ligne au sein de la confédération a semé le doute.
De ce point de vue, le choix qui est fait d’écarter les modernistes constitue un défi supplémentaire. Au sein de la CGT, de nombreuses sections d’entreprise ont à coeur de signer des accords avec les employeurs. L’équipe qui prend le pouvoir est assez éloignée de cette logique. Elle est dominée par des fonctionnaires peu enclins au dialogue social, tout particulièrement avec les patrons du secteur privé.
Pour l’ensemble de la “démocratie sociale”, cette recomposition idéologique n’ira probablement pas sans susciter des difficultés majeures. Il faudra voir si cette réorientation suffit à ramener le calme dans les rangs.
Définir une ligne compréhensible à l’intérieur comme à l’extérieur
Nombreux ont été les militants qui ont vu dans l’épisode Lepaon une crise systémique de la CGT, volontiers attribuée à l’orientation un temps réformiste prise par le syndicat, notamment sous l’influence de Bernard Thibault. Ceux-là n’ont pas hésité à affirmer que seul un retour aux fondamentaux de la charte d’Amiens (l’expropriation des capitalistes, la lutte, le refus de la négociation) et du marxisme-léninisme (la dictature du prolétariat, la lutte des classes, l’action collective) garantirait une remise en ordre de la CGT.
Les sujets qui arrivent sont nombreux pour la CGT, et constitueront autant de tests sur la ligne effective du syndicat. Dès le mois de mars, il faudra prendre position sur le sujet compliqué de la réforme des retraites complémentaires. Le MEDEF devrait proposer des mesures très impopulaires pour éviter la faillite du système. La position de la CGT méritera d’être suivie avec attention. Le spécialiste des retraites au sein de la confédération, Eric Aubin, est écarté de la direction nationale et il faudrait voir quelle ligne va désormais s’imposer, au moment où le MEDEF pourrait proposer une mesure d’allongement des cotisations ou de baisse nominale des pensions, comme la Cour des Comptes l’y a incité.
D’autres sujets sont sur le tapis: la future loi sur la modernisation du dialogue social, préparée après l’échec des négociations, constituera un autre test important. Les rapports avec FO également.
Sur tous ces points, Martinez devra faire preuve d’habileté pour donner du sens à son action sans froisser l’aile moderniste du syndicat… et surtout pour retrouver une influence effective dans les arbitrages gouvernementaux.
Occuper le terrain populaire face au Front National
C’est un secret de polichinelle: une partie des militants de la CGT est déboussolée par le “tous pourris” qui a contaminé le syndicat avec l’affaire Lepaon. Selon le Canard, des secrétaires de fédération bénéficieraient d’ailleurs de confortables rémunérations qui entretiennent la suspicion. Nombreux sont les discours appelant à des remises en ordre et à un retour à des valeurs plus saines. Ce climat délétère conduit certains militants à se rapprocher du Front National, dont les thèses sur l’immigration ne sont pas forcémeent très éloignées de celles défendues en leur temps par Georges Marchais ua Parti Communiste.
Philippe Martinez parviendra-t-il à redonner une coloration populaire à la CGT? C’est paradoxalement l’enjeu le moins assumé à la CGT, mais le plus sensible. La CGT n’apparaît pas forcément aujourd’hui comme le syndicat naturel des plus précaires, ni comme le syndicat le plus actif dans la lutte sociale. Redorer le blason syndical risque de prendre du temps, et de se traduire par des conflits ouverts avec le gouvernement dont l’issue est encore incertaine.