Cette publication a été initialement publiée sur le site du syndicat de salariés CFE-CGC.
Un an après l’adoption de la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, les États membres de l’UE ont jusqu’en décembre 2021 pour la transposer dans leurs propres lois nationales. État des lieux.Luxleaks, le Mediator, les Football Leaks… Ces dernières années, nombre d’affaires largement médiatisées ont démontré qu’une protection efficace des lanceurs d’alerte, pour qui les conséquences des révélations sont souvent extrêmement lourdes, peut avoir un impact positif substantiel sur l’intérêt général. Pourtant, à ce jour, seuls 10 pays de l’Union européenne (UE) offrent une protection juridique aux lanceurs d’alerte. Raison pour laquelle le Parlement européen et le Conseil de l’Union, après trois ans d’intenses discussions impliquant syndicats, ONG et députés nationaux et européens, ont adopté, le 7 octobre 2019, une directive européenne visant à introduire des garanties minimales de protection des lanceurs d’alerte dans la législation de tous les États membres de l’UE. Ceux-ci doivent désormais entamer les processus de transposition de cette directive dans leur droit interne avant le 17 décembre 2021.
Législation française : bien mais peut mieux faire
La France a adopté en 2016, avec la loi dite Sapin II, une législation pionnière qui a représenté un réel progrès pour la protection des lanceurs d’alerte. Ses dispositions ont d’ailleurs inspiré la directive européenne adoptée en 2019. Toutefois, la loi française présente des carences. Parmi celles-ci : une procédure de signalement par palier qui donne la priorité au signalement interne ; des incertitudes juridiques et un risque d’isolement pour l’auteur de signalement ; des dispositions insuffisamment protectrices en matière de représailles ; la longueur et le coût des procédures judiciaires.
La transposition de la directive européenne ouvre donc la possibilité d’une réflexion sur les améliorations à apporter au dispositif français. Dans une lettre ouverte du 7 novembre 2019, une cinquantaine d’organisations, dont la CFE-CGC, ont saisi le président de la République afin d’être associées au processus de transposition. En décembre 2019, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a lui aussi appelé à une sur-transposition de la directive européenne pour rendre la loi la plus ambitieuse.
Mobilisation syndicale et de la CNCDH
Parallèlement, les organisations syndicales françaises membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont émis des recommandations au gouvernement français. Le 24 septembre dernier, la CNCDH a adopté un avis – auquel a largement participé la CFE-CGC, co-rapporteuse – préconisant une transposition « a maxima » de la directive européenne en droit français. Pour rendre effectif l’actuel dispositif prévu par la loi Sapin II, la CNCDH insiste sur la nécessité de simplifier la procédure de signalement en abolissant l’obligation de signalement interne et en renforçant la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte. Autre préconisation : l’élargissement de la protection aux personnes morales afin de ne plus faire peser sur une seule personne le poids de l’alerte.
De son côté, la CFE-CGC milite pour la reconnaissance du droit pour les lanceurs d’alerte de s’adresser à un facilitateur – représentant du personnel ou syndicat – pour les accompagner dans leur action. De plus, la directive européenne pose le principe de la réparation intégrale du dommage subi par le lanceur d’alerte. Il apparaît donc nécessaire de s’assurer que tous les aspects des préjudices soient réparés, y compris le préjudice moral et la reconstitution de carrière dès lors que cela s’avère nécessaire.
Enfin, dès lors qu’un lanceur d’alerte bénéficie de la certification envisagée par la directive, il s’agirait de faire en sorte que la charge de la preuve appartienne à la personne à qui la violation est imputée. La mise en œuvre de ces recommandations est cruciale pour protéger en droit français les lanceurs d’alerte qui font trop souvent l’objet de représailles, y compris en étant traînés devant les tribunaux.Les cadres et l’encadrement concernés au premier chef L’engagement syndical sur les lanceurs d’alerte n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans la bataille menée par les organisations syndicales contre les termes de la directive puis de la loi française visant à protéger le secret des affaires votées respectivement en avril 2016 et en juin 2018.
De là est apparue la nécessité de garantir une protection aux personnes qui divulguent des données que les entreprises voudraient garder pour elles. Or force est de constater que de nombreux cadres, de par leur position hiérarchique au sein de l’organisation et leur accès privilégié aux informations confidentielles, rencontrent régulièrement des situations mettant en cause la pérennité de l’entreprise ou contraires à l’ordre public, sans toutefois pouvoir ou oser agir de peur de subir des représailles. C’est pourquoi la protection effective des lanceurs d’alerte est essentielle : elle contribue à encourager une culture de transparence et de responsabilité pour toutes les organisations publiques et privées.
Les transpositions nationales peinent à débuter
Le réseau international « Whistleblowing International Network », composé de correspondants dans les 27 États membres de l’UE, a mis en ligne une plateforme de suivi pour observer les progrès de la transposition de la directive européenne au niveau national. Les données montrent que 15 des 27 États membres ont entamé leur processus. Parmi eux, la Suède, le Portugal, la Lettonie, l’Irlande, la Finlande, la Roumanie, l’Espagne et le Danemark ont lancé des consultations avec la société civile. La Bulgarie réalise actuellement quant à elle une étude d’impact sur les ajustements législatifs nécessaires. En République tchèque, une proposition de loi a été soumise, toutefois largement contestée par les partis d’opposition et les ONG. En Lettonie, le ministère de la justice a notifié son intention de proposer une législation multisectorielle sur la protection des lanceurs d’alerte. En Allemagne, les querelles politiques ont retardé le processus, le ministère de l’économie se montrant par ailleurs réticent à l’adoption d’une législation multisectorielle spécifique aux lanceurs d’alerte.
A contrario, 12 États membres n’ont pas encore engagé leur procédure de transposition dont la Belgique, l’Autriche, le Luxembourg, la Hongrie, l’Italie, la Pologne et… la France. En effet, malgré la lettre ouverte de novembre 2019 et les recommandations respectives du Défenseur des droits et de la CNCDH, le gouvernement français n’a toujours pas entamé de dialogue avec les organisations syndicales ni les associations concernant la transposition de la directive européenne.
Des représentants du gouvernement ont récemment annoncé qu’un texte finalisé serait soumis au débat parlementaire au second semestre 2021, « si toutefois une loi organique s’avère nécessaire ». Sous-entendant ainsi que la France pourrait faire le choix d’une transposition minimale…