En annonçant « l’annulation » de la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2.000 €, Emmanuel Macron a souligné l’impopularité extrême de cet impôt auprès des contribuables. Mais il a commis selon nous une erreur politique, car si la CSG est un impôt mal expliqué et mal compris, c’est aussi un impôt juste et intelligent. Il eut été plus conforme à l’intérêt général de remplacer cette mesure par une exonération d’impôt sur le revenu pour les mêmes catégories, ou par un crédit d’impôt sur les dépenses liées au vieillissement.
Lorsqu’il a annoncé urbi et orbi l’annulation de la hausse de la CSG pour toutes les retraites inférieures à 2.000€, Emmanuel Macron a commis une forte gaffe politique. Il a acté l’impopularité de cet impôt et laissé entendre qu’il était juste d’en exonérer certains et pas d’autres, comme si l’universalité de l’impôt, principe hautement républicain, était un principe désuet ou susceptible d’exceptions. Il reconnaissait officiellement que la mesure phare de son quinquennat, à savoir le remplacement des cotisations par un impôt universel, était critiquable et réversible. Nous allons tenter de montrer en quoi ce choix était précisément l’erreur à ne pas commettre, quitte à annoncer en urgence que les retraités les moins fortunés bénéficient d’une autre mesure de pouvoir d’achat.
Comment Macron n’a pas expliqué pourquoi la CSG avait augmenté
En arrivant au pouvoir, Macron a décidé la suppression des cotisations salariales et leur remplacement par une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). Cette mesure était supposée neutre pour tous ceux qui payaient des cotisations salariales de sécurité sociale, à savoir les salariés du secteur privé. Pour les autres, elle constituait une perte sèche si aucune mesure de compensation n’était prise. Ce fut le cas pour les retraités.
Le tableau ci-dessus (tiré du dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale) montre le choc fiscal que la politique macronienne a représenté pour l’ensemble de la population: entre 2017 et 2018, la CSG a augmenté de 25 milliards. La ligne « CSG remplacement » retrace le choc qu’elle a constitué pour tous ceux qui perçoivent un revenu de remplacement: chômeurs, retraités et pré-retraités. Ceux-ci ont vu les prélèvements augmenté de près de 5 milliards € en un an. Le taux de prélèvement est brutalement passé de 6,6 à 8,3% à taux plein.
On peut reprocher à Emmanuel Macron et à son équipe d’avoir sous-estimé l’impact économique et surtout psychologique de cette augmentation brutale qui lui a coûté très cher. Majoritairement, le pouvoir exécutif et sa majorité ont répété en boucle qu’il s’agissait d’un petit effort demandé aux retraités pour aider les plus jeunes. Cette légèreté s’est payée cash l’année suivante.
La hausse de la CSG pour les retraités: regardons-y de plus près
Dans la pratique, la hausse de la CSG non compensée sur les revenus de remplacement a produit un choc psychologique massif dont le tableau ci-dessous permet de retracer l’intensité:
Selon la Commission des comptes, ce sont les bénéficiaires d’une retraite ou d’une pré-retraite qui ont absorbé la quasi-totalité du choc de la mesure Macron. On estime que la hausse de 1,7 point du taux a majoré le produit de l’impôt pour les revenus de remplacement d’un montant de près de 4,3 milliards, dont près de 4,2 supporté par les retraités à taux plein.
L’évolution de l’assiette de la CSG à taux plein a aggravé ce choc pour les plus petits revenus.
Essentiellement composée de jeunes cadres supérieurs, l’équipe d’Emmanuel Macron n’a pas anticipé le désastre politique que cette mesure mal expliquée allait produire sur son quinquennat. Il fallait être bien naïf pour ne pas comprendre qu’un prélèvement nouveau de 4 milliards sur une population captive de retraités (et sur quelques autres populations en situation de faiblesse) avait besoin d’une explication un peu plus fournie que les leçons de morale servies par de jeunes députés ou de jeunes ministres peu expérimentés.
Les compensations mal calculées d’Emmanuel Macron
Au passage, cette hausse globale de 26 milliards de la CSG pour les contribuables en 2018, dont plus de 4 milliards pour les seuls retraités (ce qui proportionnellement n’est pas le plus choquant), a fait l’objet de compensations par des baisses de cotisations dont l’effet est intéressant à mesurer.
Le tableau ci-dessous de la même commission des comptes en retrace assez bien le mécanisme:
Comme on le voit, la masse salariale progresse annuellement de 3,5%. En 2018, alors que la CSG a augmenté, les cotisations de sécurité sociale augmenteront aussi en année pleine de 1%. La suppression de la cotisation salariale maladie (2,6 points de cotisation) ne suffit pas, en effet, pour produire une baisse réelle en volume des cotisations…
Les initiés noteront que cette mesure sera suivie par une baisse importante des cotisations patronales en 2019, sur laquelle, à ce stade, aucun représentant ou membre de la majorité n’a clairement communiqué (comme quoi, on peut ne pas apprendre de ses erreurs!).
Toujours est-il que… selon la commission des comptes, la baisse des cotisations prévue en 2018 ne devrait retirer que 4,4 milliards € de cotisations aux salariés, à comparer à la hausse de plus de 25 milliards € de la CSG. Cette bizarrerie n’empêche pas les députés En Marche de répéter sans se lasser un parfaitement mensonger élément de langage selon lequel la politique du gouvernement favoriserait ceux qui travaillent…
Pour rendre compte de ce jeu de chiffre, il faut raisonner autrement et indiquer qu’Emmanuel Macron (et Bercy) ont profité de la suppression des cotisations salariales promise pendant la campagne électorale pour augmenter bien plus fortement que nécessaire la CSG… D’où un trouble dans l’opinion publique dont on mesure les effets aujourd’hui.
Mais à quoi peut bien servir la CSG?
À la différence de nombreux autres impôts dont on ne sait pas toujours trop à quoi ils peuvent bien servir, la contribution sociale généralisée a pour sa part une utilité forte et tout à fait traçable dans les comptes de la sécurité sociale. En ce sens, il s’agit probablement de l’impôt le plus juste socialement et le plus justifiable.
Comme le montre le tableau ci-dessus, la CSG est moralement vertueuse (puisque la morale est devenue un critère politique important).
Ainsi, l’essentiel de la CSG sur les retraites finance l’assurance-maladie. Or on sait (on ne reviendra pas ici sur le détail largement documenté par ailleurs) que les retraités sont les principaux consommateurs de soins en France. Politiquement, il n’est donc pas absurde de la part du gouvernement d’expliquer que la hausse de la CSG non compensée pour les retraités s’explique par le besoin de mieux financer leur prise en charge maladie.
Encore fallait-il être capable de mener ce raisonnement, qui a probablement échappé à de nombreux députés de la majorité. Encore fallait-il aussi concevoir une réforme de l’offre de soins pour répondre à cette logique « client ». Faute de cette audace, les retraités les plus taxés peuvent avoir le sentiment que, dans le même temps, on ferme les hôpitaux les plus proches de chez eux et on allonge indéfiniment les temps d’attente pour des rendez-vous chez des spécialistes.
Sur tous ces points, on concèdera que le gouvernement n’a guère brillé par sa compréhension de ses propres réformes et n’a guère pris le temps d’expliquer la vision d’ensemble à laquelle tout cela pouvait aboutir.
Une autre vertu morale de la CSG pourrait par ailleurs être soulignée, en indiquant que la Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV), c’est-à-dire les plus petites retraites, est financé par la CSG sur le capital (9,3%). Autrement dit, les vieux les plus pauvres mangent chaque jour grâce à un impôt sur les placementsfinanciers. Cette particularité française, qui n’a rien de déshonorant au regard des critères de vertu si souvent invoqués, n’est elle non plus jamais expliquée aux Français…
L’anomalie internationale de la France
Dans cet ensemble jamais expliqué ou presque, on peut reprocher à l’ensemble des Français de tarder à réformer leur protection sociale et surtout son mode de financement. Pour illustrer grossièrement ce propos (que nous nuancerons par ailleurs), un petit tableau tiré d’un rapport de 2015 du Haut Conseil au Financement de la protection sociale permet de replacer le débat dans son contexte:
La France est le pays d’Europe qui continue à affecter des recettes fiscales particulières à sa protection sociale (en l’espèce majoritairement la CSG), alors que les autres pays européens (Allemagne et Danemark compris, nous y reviendrons), ont basculé vers un financement budgétaire discuté d’année en année.
Il ne faudrait pas ici simplifier excessivement un débat technique à la fois compliqué et sensible. Mais l’enjeu est évidemment de savoir si la France veut préserver un système de financement par cotisations, et singulièrement par cotisations d’employeurs, ou si elle veut fiscaliser peu à peu les recettes de sécurité sociale.
Quel est l’enjeu de la fiscalisation des recettes de sécurité sociale?
La question de la fiscalisation des recettes de sécurité sociale, qui émerge ou affleure de temps à autre dans le débat public sans jamais intéresser personne, est en réalité (et contre toute apparence), un débat philosophique majeur pour notre temps. Il peut se résumer ainsi: la sécurité sociale doit-elle être une caisse d’assurance privée financée par ses assurés ou un service public payé par les contribuables?
La particularité de la France est de répondre « les deux mon général », et d’utiliser massivement les cotisations pour financer des prestations à ceux qui ne cotisent pas. Cette fonction de solidarité (ceux qui ont les moyens et pas de besoin payent pour ceux qui n’ont pas les moyens mais des besoins), est traditionnellement remplie par l’impôt. La France est le seul pays qui le finance aussi par les cotisations sur le travail.
Cette confusion des genres conduit à demander aux jeunes salariés de se serrer la ceinture pour payer des cotisations et une CSG dont les principaux bénéficiaires sont des retraités longtemps exonérés en tout ou en partie de contribution au système qui les fait vivre.
Les secrets magiques de la fiscalisation de la sécurité sociale
Pour là encore éclairer les sujets de façon un peu large, la restitution des choix français dans leur cadre mondial ou global n’est pas inutile. On trouvera ci-dessous, un graphique extrait des données OCDE, qui donne une perspective à l’évolution du PIB par habitant depuis 2000 (c’est-à-dire depuis la mise en place de l’euro), rappelle quelques évidences oubliées:
En 2000, les PIB français, italien, et allemand se tenaient dans un mouchoir de poche: de 26.000$ par an et par habitant en France, à 27.000$ pour l’Italie, et 27.500$ pour l’Allemagne. Nous y avons ajouté le Danemark, dont le PIB par habitant était alors de près de 29.000$ par habitant à l’époque.
En 2017, l’écart entre le PIB par habitant danois et le PIB par habitant français a quintuplé! Comme entre la France et l’Allemagne d’ailleurs, alors que le PIB italien décrochait par rapport au PIB français.
Pourquoi les pays qui n’ont pas fiscalisé ont plongé…
Que s’est-il passé entretemps?
Il serait intéressant de mener, pour une prochaine étude, une comparaison systématique entre les pays qui ont fiscalisé leurs recettes de sécuritésociale et ceux qui ont continué à imposer le travail pour financer la protection sociale de tous. En tout cas, le graphique ci-dessus montre que les pays qui ont fait le choix de fiscaliser leurs recettes de sécurité sociale, et qui ont surtout fait le choix de diminuer le poids imposé sur les entreprises par la sécurité sociale ont augmenté leur PIB par habitant.
Ainsi, l’Allemagne, qui a fortement diminué le poids des cotisations employeurs (voir ci-dessous) a pratiquement doublé son revenu par habitant depuis 2000. Elle a imposé à la France un fort décrochage de revenu, particulièrement dans la foulée de la crise de 2008. Mais il en est de même du Danemark, où la sécurité sociale est financée par l’impôt et non par la cotisation.
Inversement, les pays de cotisation comme l’Italie ont connu des inflexions à la baisse. Ce phénomène fera l’objet d’un prochain article plus détaillé… toujours est-il que la stratégie française d’imposer aux entreprises le financement large de la protection sociale a eu des conséquences aujourd’hui peu mesurées, mais économiquement lourdes.
Et si on finançait l’adhésion à la sécurité sociale?
De notre point de vue, la véritable solution d’avenir consiste à aider les assurés à financer leur assurance. Au lieu d’imposer aux employeurs le prix massif de l’adhésion de l’ensemble de la population à la sécurité sociale, un système d’assurance obligatoire financée par l’impôt permettrait d’approfondir le sens esquissé par la CSG: chacun doit définir ses propres besoins et être aidé à s’assurer.
Ce système, qui reposerait sur l’obligation de s’assurer mais sur la liberté de choix de l’assureur, serait financé par l’impôt, comme dans des pays quise sont enrichis depuis 2009, à l’instar du Danemark. Il consisterait à distribuer à chaque citoyen un revenu conditionnel mensuel dédié à l’assurance sur les risques de la vie.
Comment fonctionnerait ce système?
Nous vous proposons de nous retrouver la semaine prochaine pour plus de détails sur son fonctionnement technique…