Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
En principe, les faits commis par un salarié dans le cadre de sa vie privée échappent au pouvoir disciplinaire de l’employeur. A moins qu’ils ne se rattachent à sa vie professionnelle… La possibilité de justifier ou non un licenciement disciplinaire, va alors dépendre de l’appréciation globale du contexte entourant les faits répréhensibles, qui sera portée par les juges. Cass.soc.8.07.20, n°18-18317.
« Chacun a droit au respect de sa vie privée »(2), il s’agit là d’un droit constitutionnel.
Il en résulte qu’en principe, les faits commis par un salarié dans le cadre de sa vie privée ne peuvent pas être pris en compte par l’employeur pour justifier une sanction, voire un licenciement. La jurisprudence l’a d’ailleurs rappelé à de nombreuses occasions. Dès lors que le fait relève de la vie personnelle du salarié, il ne peut constituer une faute(3) sanctionnée par l’employeur, quand bien même il occasionne un trouble dans l’entreprise(4).
Si les éléments tirés de la vie privée du salarié ne peuvent pas en principe constituer une faute, ils peuvent néanmoins constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement s’ils ont des répercussions sur l’entreprise(5).
- Des exceptions : le manquement contractuel du salarié ou un rattachement à la vie professionnelle du salarié
Alors que ce principe semblait clairement établi, la jurisprudence, en 2011, y a apporté un tempérament : un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire dès lors qu’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail(5).
Il peut s’agir, par exemple, d’un manquement à l’obligation de loyauté, à des règles éthiques ou encore à l’obligation de sécurité.
C’est précisément un tel manquement qui a pu être retenu à l’encontre d’un steward qui avait consommé des drogues dures pendant des escales entre 2 vols : se trouvant sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions, il n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et avait ainsi fait courir un risque aux passagers. La faute grave était donc justifiée(5).
Au-delà du manquement à une obligation découlant du contrat de travail, la jurisprudence a également admis que des faits, pourtant commis hors du temps et du lieu de travail, puissent néanmoins se rattacher à la vie professionnelle du salarié et constituer une faute.
C’est par exemple le cas d’un vol commis à l’aide du camion de l’entreprise(6) ou du vol à l’étalage commis par un agent de surveillance au détriment d’un client(7).
Mais s’il existe une présomption selon laquelle les faits commis sur les temps et lieux de travail ont un caractère professionnel, comment, des faits relevant a priori de la vie personnelle du salarié, peuvent-ils se trouver rattachés à la sphère professionnelle?
L’affaire commentée ici en est une excellente illustration.
- Les faits
Alors qu’il est en escale dans un hôtel où il séjourne en tant que membre de l’équipage, un steward dérobe le portefeuille qu’un client de l’hôtel a oublié sur le comptoir. C’était sans compter la présence des caméras de vidéo surveillance de l’hôtel… Confondu, il reconnaît les faits et la sanction tombe : il est licencié pour faute grave pour avoir gravement manqué à ses obligations professionnelles et porté atteinte à l’image de la compagnie aérienne qui l’employait, en l’occurrence, la Société Air France.
Estimant que les faits reprochés relèvent de sa vie privée, puisqu’ils ont été commis en dehors du temps et du lieu de travail, et échappent donc au pouvoir disciplinaire de l’employeur, le salarié conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes. Débouté par les juges du fond(8), il se pourvoit en cassation.
Le vol commis par le salarié hors temps et lieu de travail se rattache-t-il réellement à sa vie professionnelle ? Pouvait-il à ce titre, faire l’objet d’un licenciement pour faute grave?
- Des faits bel et bien rattachés à la vie professionnelle
La cour d’appel n’est pas de l’avis du salarié. Elle considère au contraire que le vol commis par le steward se rattache bien à la sphère professionnelle et ce, pour plusieurs raisons :
- le vol a été commis pendant une escale dans un hôtel partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais les chambres,
- c’est à la société Air France que l’hôtel a signalé le vol,
- la victime n’a pas porté plainte en raison de l’intervention rapide de la société.
- Des faits par ailleurs constitutifs d’une faute grave
Qui plus est, en commettant ce vol, le salarié a manqué aux obligations professionnelles dictées par son contrat de travail (obligation de loyauté) et par le règlement intérieur. Ce dernier prévoyait en effet, dans une rubrique intitulée « attitude générale » une obligation de discipline, de conscience professionnelle, de bonne tenue et de discrétion à laquelle le salarié a vraisemblablement failli…
Mais en commettant ce vol, le salarié a également porté atteinte à l’image de la compagnie. L’hôtel est un partenaire commercial de la société qui y a réservé à ses frais des chambres pour les membres de l’équipe navigante dans laquelle le salarié était affecté. L’hôtel a donc clairement identifié l’auteur du vol comme étant un salarié de la société Air France.
Bref. Le licenciement pour faute grave est justifié et la Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel.
Si cette solution n’est finalement ni évidente, ni véritablement surprenante, elle interroge néanmoins. Ces dernières années, la jurisprudence a beaucoup évolué et, on le constate, elle tend plutôt à forcer le rattachement des faits tirés de la vie privée à la sphère professionnelle. Cette tendance peut s’expliquer par le risque de responsabilité que le comportement extra professionnel du salarié peut faire courir à l’employeur. Pour autant, elle n’est pas sans conséquence pour le salarié et le risque d’arbitraire de l’employeur dans l’appréciation du comportement du salarié « hors de l’entreprise » est réel.
Cet arrêt est d’autant plus intéressant qu’il révèle l’importance de l’appréciation portée par les juges sur l’ensemble des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis. Il suffit alors que l’activité professionnelle ait été l’occasion d’agissements fautifs ou que ces derniers présentent une certaine connexité avec celle-ci pour que le rattachement soit possible.
Alors certes, le principe demeure, « chacun a droit au respect de sa vie privée », mais il est aujourd’hui loin d’être absolu.
(1) Art 9 C.civ ; Art 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme : « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
(2) Cass.ch.mixte 18.05.07, n°05-40803 ; Cass.soc.23.06.09, n°07-45256.
(3) Cass.soc.9.03.11, n°09-42150. Tout au plus, constitue-t-il une cause réelle et sérieuse de licenciement non-disciplinaire.
(4) Cass.soc.09.03.11, n°09-42150.
(5) Cass.soc.3.05.11, n°09-67464.
(6) Cass.soc.27.03.12, n°10-19915.
(7) Cass.soc.18.05.11, n°0-1190.
(8) Cass.soc.20.11.91, n°89-44605.
(9) CA Paris, Pôle 6, 5ème chambre, 12.04.18, n°16/11682.