Cet article a été publié initialement sur le site du syndicat de salariés CFDT.
La loi peut-elle prévoir une répartition différente des fonds du paritarisme entre organisations syndicales et patronales ? La question méritait d’être posée, au regard des règles de répartition fixées par la loi et de la suspicion (légitime) d’inconstitutionnalité qu’elles soulevaient. Le Conseil constitutionnel, saisi à l’occasion d’un QPC, n’y a vu ni atteinte à la liberté syndicale, ni rutpure d’égalité devant la loi. Une solution décevante et à contre-courant de la réforme de la représentativité syndicale et patronale entamée depuis 2008. Cons.const, n° 2015-502 QPC du 27.11.15.
Une clé de répartition des fonds qui pose question
La loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle et le dialogue social (1) a profondément modifié les règles de financement du dialogue social et de répartition des crédits entre organisations syndicales et patronales. L’objectif des négociateurs de l’accord (2) qui a précédé l’adoption de la loi (CFDT en tête) était de rendre plus transparentes et plus légitimes les règles d’attribution des fonds de financement du dialogue social.
Si dans la philosophie, la loi n’a pas fait débat, en revanche certaines règles de répartition des crédits ont soulevé des incompréhensions, voire des désaccords. Notamment la clé de répartition retenue pour répartir l’enveloppe dédiée à la gestion du paritarisme. L’article L.2135-13 1° du Code du travail prévoit en effet que les crédits attribués pour « la conception, la gestion, l’animation (…) des organismes gérés majoritairement par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs » sont répartis différemment entre les organisations syndicales et patronales.
– Pour les OS, la distribution des fonds se fait à égalité. Chacune des cinq organisations syndicales représentatives touche 1/5 du montant.
– Pour les OP, en revanche, on prend en compte l’audience patronale (ou le nombre des mandats paritaires exercés pour les organisations professionnelles d’employeurs).
Une disposition pour le moins étonnante, surtout quand on sait qu’au moment de la publication de la loi, l’audience syndicale était connue (issue du premier cycle de mesure rendu public en 2013) tandis que l’audience patronale ne sera disponible qu’en 2017.
La question de la rupture d’égalité entre organisations syndicales et patronales était donc posée. La CFDT a œuvré pour faire bouger ces lignes lors des débats parlementaires. La CGT a adopté la voie contentieuse. À l’occasion de la contestation du décret d’application de cette loi de 2014, elle a soulevé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) qui a été renvoyée devant le conseil constitutionnel par le Conseil d’État.
Une atteinte à la liberté syndicale et au principe d’égalité
Dans son argumentaire la CGT est allée sur deux terrains d’inconstitutionnalité.
Tout d’abord l’atteinte à la liberté syndicale. La loi, en ne prenant pas en compte de l’audience syndicale (pourtant mesurée à l’occasion des élections professionnelles, au plus près des salariés), a méconnu le principe de « participation des travailleurs à la détermination des collectives des conditions de travail », et représente une atteinte à la liberté syndicale (garantie par le préambule de la constitution de 1946).
Deuxième atteinte : le principe de l’égalité devant la loi, selon lequel toute différence de traitement doit être justifiée par une différence de situation, en lien direct avec l’objet de la loi.
On voit mal en effet pourquoi une répartition à parts égales les fonds du paritarisme entre organisations syndicales, alors que côté patronal, l’audience est prise en compte apparaît pertinente au regard de l’objet de la loi.
D’autant plus que la mission concernée (gestion du paritarisme) est la même côté syndical ou patronal.
Une décision décevante sur le fond et la motivation
Le Conseil constitutionnel a balayé les arguments. Ce qui, sur le fond, est déjà très étonnant (et décevant). En outre, sur la forme, la motivation minimaliste ne permet pas de comprendre cette décision. Pour justifier le fait qu’OS et OP ne soient pas « dans le même panier » le conseil constitutionnel se contente de noter que si la mission est formellement la même, « la nature des intérêts que ces deux catégories d’organisations défendent les placent dans une situation différente au regard des règles qui organisent le paritarisme. » Le mystère demeure sur la « nature de ces intérêts » qui justifient que toutes les organisations syndicales, quelle que soit leur poids électoral (et donc leur investissement syndical et leur légitimité) touchent le même montant pour la même mission. Le patronat de son côté, bénéficie d’une répartition « au réel ».
Une décision à contre-courant de la réforme de la représentativité
Au-delà du sentiment de frustration et d’incompréhension, cette décision risque de provoquer un « recul » par rapport au mouvement amorcé depuis la réforme de la représentativité syndicale de 2008.
Certaines organisations syndicales (en perte de vitesse) vont sans nul doute s’en servir pour exiger d’être traité de la même manière que celles qui pèseraient deux ou trois fois plus en terme d’audience.
Des revendications égalitaristes, déconnectées de toute logique de représentativité, pourraient donc émerger. Que ce soit pour l’attribution de sièges, de crédits, ou de poids politique. Il s’agirait là d’une lecture a contrario de la décision du Conseil constitutionnel, bien trop extensive.
Des conséquences à relativiser
Si le Conseil constitutionnel reconnaît la possibilité au législateur de prévoir une répartition différente des crédits entre organisations syndicales et patronales et s’il autorise une distribution égalitaire des fonds du dialogue social aux syndicats, en aucun cas il ne l’impose. Une clé de répartition des moyens syndicaux qui serait fonction de la représentativité (syndicale ou patronale) est bien entendu toujours, et de notre point de vue souhaitable, dans une logique de légitimité des partenaires sociaux.