Alors que le gouvernement tente toujours de trancher sur la question du déremboursement de l’homéopathie, les laboratoires Boiron opèrent en sous-lieu et préparent les différents scénarios possibles.
Dans l’usine Boiron de Messimy (Rhône), des équipements dernier cri côtoient des ingrédients semblant sortir de l’arrière-boutique d’un apothicaire. Redoutant l’éventuel déremboursement de l’homéopathie en France, le géant français du secteur ouvre ses portes, dans un souci nouveau de transparence.
Alignés sur des étagères, des flacons de verre brun contiennent les “teintures mère”, les principes actifs des dilutions homéopathiques, dont l’efficacité est très controversée.
Les teintures mère de Boiron proviennent de quelque 2.500 souches naturelles différentes, parfois surprenantes, bien que toutes inscrites à la pharmacopée française.
Ainsi si 53 % des souches sont d’origine végétale, comme l’arnica ou la belladone, et 33 % d’origine minéralo-chimique, 14 % proviennent directement d’animaux: venins de serpent, mygales, fourmis rouges, glandes salivaires de lapin, coeur et foie de canard de Barbarie…
Car l’homéopathie prétend combattre le mal par le mal. “On va utiliser des substances toxiques qui, en quantités infinitésimales, vont avoir un effet inverse”, explique à l’AFP Jean-Christophe Bayssat, directeur général délégué et pharmacien responsable de Boiron.
La dilution est effectuée à l’aide d’un “dynamiseur”, une machine qui secoue bruyamment un petit flacon contenant un centième de teinture mère pour 99 centièmes d’eau et d’alcool, à raison de 150 fois en sept secondes.
Enigme du “mécanisme d’action”
Cette opération permet d’obtenir une dilution d’une centésimale hahnemannienne (1CH), du nom de l’inventeur de l’homéopathie, le médecin allemand Samuel Hahnemann (1755-1843). Selon les produits voulus, l’opération est répétée 5, 9, 15 ou 30 fois, en prélevant à chaque fois un centième de la dilution précédente.
Ce qui donne des niveaux de dilution dépassant l’entendement: un produit à 5CH équivaut déjà à un élément de teinture mère sur… 10 milliards !
Dans de telles quantités infinitésimales, reste-t-il encore une trace de la teinture mère, et si oui, peut-elle avoir une quelconque efficacité thérapeutique ? La question est au coeur du lancinant débat sur l’homéopathie, ravivé avec force depuis près d’un an en France.
C’est aussi le principal point faible du système de défense de ses partisans. “Le mécanisme d’action, avec les moyens actuels de la science, on n’est pas capable de l’expliquer. Il y a des hypothèses, mais pas de certitudes”, reconnaît auprès de l’AFP Bénédicte Sagnimorte, directrice des relations professionnelles de Boiron.
Le groupe a contourné le problème en menant des études observationnelles comparant des soins homéopathiques par rapport à des médicaments conventionnels dans trois indications: infections des voies aériennes supérieures, douleurs musculo-squelettiques et troubles de l’anxiété et du sommeil.
Cette série d’études, appelée “EPI3”, a conclu que pour des résultats quasi-similaires pour des patients soignés avec des médicaments conventionnels, ceux traités par homéopathie avaient consommé nettement moins d’antibiotiques, d’anti-inflammatoires, d’antalgiques et autres psychotropes, dégageant ainsi des économies pour l’assurance maladie.
La fiabilité de ces données ne fait cependant pas l’unanimité. Le collectif de médecins anti-homéopathie Fakemed a notamment dénoncé des “biais méthodologiques importants”, comme la comparaison de patients présentant des niveaux différents de sévérité de maladie au début de certaines études.
La grogne sociale, appui inattendu de Boiron
Les résultats d’EPI3 composent néanmoins le coeur du discours bien rodé de Valérie Poinsot, la nouvelle directrice générale de Boiron, qui reçoit l’AFP dans son bureau de Messimy aux couleurs chaudes, quasi identiques à celles du logo du groupe.
Le déremboursement de l’homéopathie serait, selon elle, “un non sens d’un point de vue de santé publique” et un “non sens sur le plan économique”, en raison du report de patients vers des médicaments conventionnels plus coûteux.
A mots couverts, Boiron espère que la crise actuelle autour du pouvoir d’achat sur fond des “gilets jaunes” enterreront l’idée de dérembourser l’homéopathie, alors qu’un avis de la Haute Autorité de Santé (HAS) est attendu ce printemps.
“Je sens monter un ras-le-bol des patients”, affirme Mme Poinsot. “Les pouvoirs publics doivent avoir ça dans leur scope (champ de vision, NDLR)”, estime-t-elle en faisant allusion au pouvoir d’achat.
Avant de dégainer un dernier argument en forme d’artillerie lourde: le déremboursement de l’homéopathie en France menacerait 1.300 emplois sur les 2.500 de Boiron en France, selon elle.
Car bien que le groupe soit engagé dans une accélération de ses activités à l’étranger, en Amérique du Nord et en Asie notamment, la France pesait toujours près de 60 % de ses ventes mondiales l’an dernier. Et 66 % de ses ventes dans l’Hexagone dépendent de produits remboursables.