Groupes de sociétés et licenciement économique : la société-mère n’est pas coemployeur

Cet publication est issue du site du syndicat de salariés CFDT.

Par 4 arrêts publiés rendus le même jour, la Cour de cassation nous livre son orientation en matière de licenciement dans les groupes. Comment obtenir gain de cause lorsque la société mère a joué un rôle non négligeable dans la situation économique dégradée de sa filiale ayant conduit aux licenciements ? Manifestement, la Haute juridiction a une préférence pour l’engagement de la responsabilité délictuelle plutôt que pour la qualification de coemployeur de la société mère. Cass.soc.24.05.18, n°17-15630, n°16-18621, n°17-12560, n°16-22881. 

 

Nous rendrons uniquement compte ici des deux arrêts qui nous semblent les plus emblématiques (Métaleurop et Lee Cooper). 

  • Les faits et la procédure

– Dans une première espèce (n°17-15630 Metaleurop), la société Métaleurop Nord, filiale à 99 % de Métaleurop SA, qui exploitait une unité de production et de commercialisation de métaux non ferreux, a mis en place un projet de restructuration et un plan de sauvegarde de l’emploi dans le but de se reconvertir dans le recyclage des métaux non ferreux 

Placée en redressement judiciaire, elle est au final liquidée et tous les salariés sont licenciés, alors que la société mère, elle- aussi placée en redressement s’en sort avec un plan de redressement. 

Les salariés décident donc de saisir le conseil de prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et perte de chance de conserver leur emploi ou de bénéficier d’un plan social. La cour d’appel rejette la demande fondée sur le co-emploi, mais l’accueille sur celui de la responsabilité délictuelle (la perte de chance de conserver leur emploi). 

La société se pourvoit en cassation, à quoi les salariés répondent par un autre pourvoi et critiquent la décision des juges du fond en ce qu’elle ne retient pas le co-emploi. 

En définitive, la Cour de cassation donne raison à l’employeur sur tous les tableaux et rejette le pourvoi des salariés

– Dans la seconde affaire (n°16-22881), la société Lee Cooper France a été placée en redressement judiciaire et a fait l’objet d’un plan de cession. Puis la société a été liquidée et les salariés non repris dans le cadre du plan de cession ont saisi la juridiction prud’homale afin, d’une part, que soit reconnue la qualité de co-employeur de la société Sun Capital Partners Inc., et d’autre part, qu’elle soit condamnée au paiement de dommages-intérêts en raison de sa responsabilité extracontractuelle ayant conduit à la perte de leur emploi. 

En effet, selon les salariés, la société Lee Cooper France appartenait à la société de droit Luxembourgeois Lee Cooper Group SCA, détenue à 100 % par la société Sun Capital Partners Inc. 

La cour d’appel écarte le coemploi en considérant que l’immixtion de la société Sun Capital Partners Inc. dans la gestion des sociétés du groupe Lee Cooper n’était pas caractérisée. 

En revanche, les juges du fond retiennent la responsabilité délictuelle de la société et condamnent la société Sun Capital Partners Inc. à payer des dommages-intérêts aux salariés licenciés pour la perte de leur emploi. Celle-ci forme alors un pourvoi. 

  • Un coemploi difficile à caractériser et à l’appréciation des juges du fond

Dans l’arrêt Metaleurop, la Cour de cassation rejette le pourvoi des salariés. La Haute juridiction rappelle le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond sur le fait que les actions de la société mère « n’excédait pas la nécessaire coordination des actions économiques entre deux sociétés appartenant à un même groupe ». 

La solution est classique. En substance, l’appartenance à un groupe peut générer une coordination de la stratégie par la société mère et une domination économique de celle-ci sur sa filiale sans que le co-emploi ne soit pour autant retenu dès lors que l’immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale n’est pas caractérisée. De plus, pour que cette immixtion soit retenue par les juges du fond, il faut une triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction. 

En l’espèce, on constate que le fait que le dirigeant de la filiale soit placé sous l’autorité de la mère et que celle-ci décide de l’attribution des primes exceptionnelles aux cadres de cette société ne suffit pas à caractériser l’immixtion et, par voie de conséquence, le co-emploi. 

  • La responsabilité délictuelle des sociétés mères : une issue, pas la panacée !

Dans l’arrêt Lee Cooper, si le co-emploi n’est pas retenu non plus, la Cour de cassation approuve les juges d’avoir condamné la mère sur le fondement de la responsabilité délictuelle de la société mère. 

En effet, la faute de la mère semble avoir été suffisamment caractérisée par la cour d’appel, qui a constaté qu’à l’initiative de la mère, la société Lee Cooper avait : 

– financé le groupe pour des montants hors de proportion avec ses moyens financiers ; 

– transféré le droit d’exploitation de la marque à une autre société du groupe à titre gratuit tout en se voyant facturer le montant des redevances de la marque ; 

– donné en garantie un immeuble pour le financement d’un prêt d’une autre société du groupe ; 

– etc… 

Bref, autant dire que la société Lee Cooper France avait été « dépouillée » ! 

La Cour de cassation admet donc « qu’en l’état de ces constatations dont il résultait que la société Sun Capital Partners Inc. avait pris, par l’intermédiaire des sociétés du groupe, des décisions préjudiciables dans son seul intérêt d’actionnaire, la cour d’appel a pu en déduire que la société Sun Capital Partners Inc. avait par sa faute, concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée ». 

En l’espèce, la Cour de cassation reconnaît donc que la faute de la mère est caractérisée et que sa responsabilité peut être retenue pour la condamner à dédommager les salariés. 

C’est fort heureux, mais on le voit, obtenir gain de cause n’est pas chose aisée tant les preuves que les salariés de la filiale doivent réunir sont nombreuses et l’information difficile à obtenir. La faute doit en effet être sérieusement caractérisée

Par ailleurs, on peut lire ici ou là que la compétence prud’homale ferait défaut en cas d’action sur le fondement de la responsabilité délictuelle puisque, par définition, la société mère n’est pas partie au contrat de travail : il faudrait alors agir devant le tribunal de grande instance… 

Raison de plus, de notre point de vue, pour continuer, dans ce genre de situations, à invoquer les deux fondements (co-emploi et responsabilité) afin que le juge le plus à même de statuer sur la rupture du contrat de travail puisse statuer ! 

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