Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Dans le cadre d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a examiné la conformité des dispositions légales relatives à la restructuration des branches aux droits et libertés garantis par la Constitution. Il a validé la majeure partie du dispositif mais a tout de même censuré une disposition et émis deux réserves d’interprétation, limitant ainsi les pouvoirs du ministre en la matière. Conseil constitutionnel, décision nº 2019-816 QPC du 29.11.19.
- Saisine du Conseil par QPC
Cette décision est née d’un recours engagé par la CGT devant Conseil d’Etat pour demander l’annulation d’un arrêté ministériel portant fusion de 2 champs conventionnels. Dans ce cadre, elle a posé une QPC : celle de la conformité des dispositions légales relatives à la restructuration des branches à la Constitution.
La CGT soutenait que ces dispositions méconnaissaient plusieurs principes constitutionnels : la liberté contractuelle, le droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues, la liberté syndicale, la « liberté de la négociation collective » et la participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail.
Le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer la question devant le Conseil Constitutionnel considérant qu’elle était nouvelle et sérieuse.
La Ministre du travail, eu égard à l’intérêt général attaché à la restructuration des branches, peut prononcer une procédure de fusion des champs conventionnels de deux branches présentant des conditions sociales et économiques analogues et répondant à certains critères. On parle de fusion « administrée », par opposition à une autre forme de fusion : le regroupement de champ par accord collectif. A compter de la fusion administrée ou du regroupement conventionnel, les organisations syndicales et patronales représentatives dans les 2 champs préexistants à la fusion ont 5 ans maximum pour négocier un accord de remplacement qui s’appliquera dans la nouvelle branche. A défaut d’accord, seule la convention de la branche désignée comme « branche de rattachement » (par l’administration ou l’accord de regroupement de champ) s’appliquera dans la nouvelle branche. L’autre accord cessera automatiquement de s’appliquer.(1)
- Un dispositif en grande partie validé
Le Conseil constitutionnel, s’il admet que certaines dispositions légales portent atteinte à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues, valide la quasi-totalité des dispositions légales au regard de l’intérêt général attaché à la restructuration des branches.
En premier lieu, il reconnait que les règles de la fusion administrée portent atteinte à la liberté contractuelle dans la mesure où, suite au prononcé de la fusion par le ministre, les organisations syndicales et patronales représentatives se retrouvent contraintes de négocier un accord de remplacement dans le champ déterminé par le ministre. Cependant, selon le Conseil, l’intérêt général poursuivi par le législateur justifie cette atteinte. Par ailleurs, le Conseil estime que le législateur a offert des garanties suffisantes pour considérer que l’atteinte à la liberté n’était pas disproportionnée (présence de critères pour pouvoir engager la fusion, consultation des partenaires sociaux…).
En second lieu, le Conseil constate également une atteinte au maintien des conventions légalement formées dès lors qu’à défaut de conclusion d’un accord dans le délai de 5 ans offert par la loi, seules s’appliqueraient dans la branche issue de la fusion les dispositions de la branche dite de rattachement. Là encore, le Conseil considère que cette atteinte est justifiée par l’objectif d’intérêt général. Cependant, sur ce point précis, les sages vont émettre une réserve d’interprétation.
- 2 réserves d’interprétation…
Le Conseil constitutionnel fait 2 réserves d’interprétation :
– Une première sur les dispositions qui mettent fin de plein droit à l’application de la convention collective de la branche rattachée à défaut de conclusion d’un accord de remplacement dans le délai de 5 ans(2). Si le législateur pouvait prévoir l’application de la seule convention de la branche de rattachement en cas d’échec des négociations (au regard de l’intérêt général), il ne pouvait prévoir qu’il serait mis fin, « de plein droit », à l’application de certaines dispositions de la convention rattachée. En effet, la perte d’effet automatique des dispositions « qui régissent des situations spécifiques à cette branche » porte une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues.
En conséquence, en cas d’échec des négociations à l’issue du délai de 5 ans, certaines dispositions de la convention de la branche rattachée continueront de s’appliquer. Reste à savoir ce que regroupent ces dispositions régissant des situations spécifiques à la branche. Ne pourraient-on pas considérer que toutes les dispositions d’une convention sont spécifiques à la branche ? Il pourrait être judicieux que le législateur intervienne pour le préciser. Sans cela, on suppose déjà que cela occasionnera de nombreux contentieux. Il reviendra alors aux juges de trancher.
– Une seconde réserve porte sur les dispositions qui écartent de la table des négociations de l’accord de remplacement les organisations qui ne sont plus représentatives à l’issue de la mesure de la représentativité sur le nouveau champ(3). Le Conseil constitutionnel considère que le législateur pouvait tout à fait priver ces organisations de la possibilité de signer ou de s’opposer à l’accord de rattachement dans la mesure où elles ne sont plus représentatives. Cependant, là est la réserve, dans le cas où les organisations représentatives dans chacune des branches préexistantes ont entamé les négociations avant la nouvelle mesure de représentativité, les organisations qui perdraient leur représentativité sur le nouveau champ ne pourraient être exclues des négociations (sans toutefois pouvoir s’engager ou s’opposer).
- … et 1 censure.
Le Conseil constitutionnel censure également une disposition légale considérée comme trop imprécise. Il s’agit de celle permettant au ministre de fusionner des branches professionnelles « afin de renforcer la cohérence du champ d’application des conventions collectives »(4). Le législateur aurait dû préciser « au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée ».
Aussi, le critère de la cohérence du champ d’application des conventions collectives pour engager une fusion administrée est anticonstitutionnel et est donc supprimé. Ce critère n’avait, à notre connaissance, jamais été mobilisée par l’administration. Cela n’aura donc pas de conséquences sur les fusions administrées déjà engagées. En revanche, ce critère ne pourra plus être utilisé à l’avenir. Sauf à ce que le législateur intervienne pour le réintroduire et le préciser…
(1) Art. L.2261-32 à L.2261-34 C.trav.
(2) Art. L.2261-33, al. 3 C.trav.
(3) Art. L.2261-34, al. 1 C.trav.
(4) Art. L.2261-32, I, al. 8 C.trav.