Sans la Nuit Debout, sans intersyndicale, la CGT aura finalement plutôt réussi son coup: celui d’imposer à Manuel Valls un arrangement de sortie de crise dont personne ne sait encore ce qu’il contiendra. Selon nos informations, il pourrait être assorti de “clauses secrètes” dont une partie devrait desserrer l’étau qui pèse sur le financement du syndicat.
La question de l’article 2 de la loi
Forcément, Manuel Valls devra lâcher du lest sur l’article 2 de la loi: c’est la condition pour que les esprits reprennent leur calme. Il est même vraisemblable que le gouvernement invente l’encadrement des accords d’entreprise par des commissions paritaires de branche qui n’avaient jusqu’ici que très peu de pouvoirs.
Au passage, la décision du 13 juin 2013 du Conseil Constitutionnel avait déclaré inconstitutionnels, car contraire à la liberté d’entreprendre, des mécanismes de branche (en protection sociale complémentaire) contraignants pour les entreprises (les fameuses clauses de désignation). Les Sages accepteront-ils cette fois ce qu’ils ont interdit il y a trois ans?
Incontestablement, l’affaire sera à suivre de près.
Des contreparties à la SNCF et dans la culture
Parallèlement, on sait que la CGT a obtenu un autre cadeau, mais par la CFDT interposée: la modification du projet de convention collective pour le rail, dont le maintien d’un système de repos très favorable. Cette décision imposée “d’en haut” par le gouvernement à la direction de la SNCF, a permis de briser l’intersyndicale de la SNCF et de dissuader les conducteurs de train CFDT de rejoindre le mouvement.
Bien évidemment, les cheminots CGT sont aussi bénéficiaires de l’opération, qui ont montré que la négociation se déroulait désormais au niveau politique.
De leur côté, les intermittents du spectacle ont obtenu la garantie de l’Etat sur le financement de leur système d’indemnisation.
Quelles autres contreparties?
Toute l’inconnue consiste à savoir quelles sont les autres contreparties négociées par la CGT en échange d’un renoncement au mouvement. Les spéculations vont bon train et beaucoup commencent à soupçonner que la CGT a glissé un “cheval de Troie” inattendu dans ses revendications: un assouplissement des règles applicables aux appels d’offres pour la protection sociale complémentaire dans les branches.
La Direction de la Sécurité Sociale a en effet concocté, en décembre 2015, un projet de décret durcissant les règles de transparence dans les branches. Voici ce projet de décret:
Ces dispositions modifieraient… un décret de janvier 2015 sur le même sujet! Entretemps, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt de principe qui oblige, dès lors qu’un accord de branche est étendu, de respecter des règles de publicité minimale dans les appels d’offre. Pour les organisations syndicales, cette pression sur la transparence n’est pas sans inconvénient. Elle complique singulièrement des pratiques que la Cour de Cassation vient de confirmer du bout des lèvres, mais dont tout le monde sait qu’elles sont dangereuses et risquées. Les accords de branche en protection sociale complémentaire sont une importante source de financement plus ou moins légal, plus ou moins occulte, pour les organisations syndicales. Une trop grande transparence risque de finir de mettre ce système en danger. Plusieurs fédérations CGT seraient probablement désireuses d’éviter un séisme financier à un moment où le nombre d’adhérents diminue. Dans certaines branches, la proximité des fédérations avec les organismes paritaires de prévoyance est forte et bien ancrée. C’est le cas dans le transport, dont la fédération dirigée par le très contesté Jérôme Vérité a obtenu des mesures favorables du gouvernement pour arrêter son mouvement, il y a quinze jours. La fédération CGT des Transports pourrait faire partie de celles qui ont intérêt à bloquer le projet de décret de la direction de la sécurité sociale.
Un retour à la normale bien orchestré
Pour Philippe Martinez, la séquence à venir devrait donc être assez simple à jouer. Comme il est très compliqué pour son syndicat de bloquer l’Euro 2016 de football, il prépare, magnanime, son virage à 360°, en appelant à la reprise du travail compte tenu des concessions obtenues du gouvernement. L’opération sera un point important marqué par la CGT, et pleine de petits trésors cachés.