Emmanuel Macron osera-t-il vraiment réformer la formation professionnelle ?

Emmanuel Macron a décidé de réformer (c’est devenu la règle de chaque quinquennat depuis Nicolas Sarkozy) la formation professionnelle pour réorienter les contributions des entreprises vers les chômeurs. Mais osera-t-il vraiment à s’attaquer à ce qui bloque? 

La brillante sortie d’Emmanuel Macron sur “ceux qui foutent le bordel” à Égletons, en Corrèze, a malheureusement occulté l’objet même de la visite présidentielle: la réforme de la formation professionnelle. Dans la pratique, on se demande si la polémique ouverte par le Président ce jour-là ne cherchait pas d’abord à dissimuler l’impréparation d’un dispositif pourtant annoncé depuis plusieurs mois. 

 

Une réforme quinquennale

Premier rappel indispensable: l’idée de drainer l’argent des entreprises vers la formation professionnelle des chômeurs est au moins aussi vieille que le quinquennat Sarkozy. En son temps, celui-ci avait voulu consacrer un milliard à la formation des chômeurs. Cinq ans plus tard, Hollande a repris ce dossier qui n’avait pas avancé malgré pléthore d’annonces et d’usines à gaz inventées pour franchir l’obstacle. Dix ans plus tard, Macron s’attaque au même sujet toujours non réglé par ses prédécesseurs, alors même que la loi Sapin de 2014 a cherché à régler le problème du financement syndical qui se trame derrière le financement de la formation professionnelle.  

À ce stade, les réformes quinquennales n’ont servi à rien: la formation professionnelle continue à former ceux qui en ont le moins besoin (les cadres) et maintient dans leur trappe les chômeurs de longue durée. Macron fera-t-il mieux? 

 

Macron ressort les vieilles logiques

Comme ses prédécesseurs, Macron aborde le dossier avec les mots qui vont bien et qui rassurent les Français: on va mettre des milliards sur la table (cette fois-ci, on parle de 15 milliards! c’est l’inflation mes petits gars!) et on va dire que la formation, l’alternance, l’apprentissage, c’est l’excellence.  

Dans le même temps, on va faire la énième réforme des OPCA et inventer des procédures qui scintillent sur le papier glacé des livrets préparés par les services de communication. On va labelliser des formations au numérique, parce que les ouvriers français devraient se reconvertir dans des start-up une fois que leur usine ferme pour s’installer en Tunisie, en Turquie ou en Chine.  

On connaît par coeur la musique, c’est la même qui résonne depuis dix ans. Le problème, c’est qu’on n’y entend pas le sujet qui fâche, ce qui rend pessimiste sur la réussite du bouzin. 

 

Macron osera-t-il s’attaquer au premier sujet de fond: l’école publique et l’université?

Premier problème de Macron: l’idée de demander aux entreprises de financer la formation de salariés oubliés par l’Éducation Nationale ne coule pas de source. Je n’entre pas ici dans le débat de savoir si la responsabilité sociale des entreprises doit les conduire ou pas à dégager un nouvel impôt de fait pour aider les chômeurs, alors même que le financement de Pôle Emploi est une bombe à retardement.  

Mais il y a un sujet de fond: on ne pourra éternellement demander aux entreprises de payer pour le travail que l’Éducation Nationale, ou l’Enseignement Supérieur devraient faire et qu’ils ne font pas. Et je ne parle même pas ici des 150.000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme et se transforment, dans le meilleur des cas, en chômeurs de longue durée (et dans le pire en bandits ou en terroristes). Je parle simplement des défaillances scandaleuses des institutions scolaires dans leurs obligations en matière de formation continue. 

Dans les formations en alternance, l’institution publique a des obligations fixées par la loi et la réglementation. La réalité veut qu’elle s’en exonère en tout ou partie avec soin. Ici, c’est une université qui organise des alternances avec une présence des jeunes deux ou trois jours seulement en entreprise, ce qui rend leur intégration tout simplement impossible. Là, c’est une université qui ne cherche jamais à savoir comment se passe en entreprise le contrat de professionnalisation dont ses étudiants bénéficient.  

Bref, toi, tu es employeur. Tu cherches à recruter des alternants. L’école ou l’université te saborde le travail consciencieusement. Et à la fin, ça fait un chômeur pour qui on te demande encore de payer!  

Mais pourquoi Macron ne botterait-il pas les fesses des collèges, des lycées, des CFA et des universités françaises qui s’endorment sur leur siège à force de pleurnicher sur leur manque de moyens? Le phénomène est probablement moins marqué dans les métiers industriels que dans les métiers du tertiaire. Mais si l’on veut prouver que l’apprentissage est une filière d’excellence, on ne coupera pas à cette explication douloureuse. Car c’est le jour où les traders des grandes banques françaises viendront de l’alternance qu’on aura gagné le pari de l’excellence. 

 

Macron osera-t-il s’attaquer au deuxième sujet de fond?

Ce faisant, les grands penseurs de l’alternance et de l’apprentissage en France se sont donnés le mot depuis plusieurs années: il ne faut surtout pas aborder la question de fond. Celle des circuits de financement.  

Je mets donc ici au défi quiconque d’expliquer de façon compréhensible en moins de 5 minutes l’organisation de l’alternance et de son financement. L’usine à gaz est si compliquée que les spécialistes eux-mêmes s’y perdent.  

Contrairement à ce qu’on croit, apprentissage et alternance ne font pas qu’un. L’apprentissage n’est que l’une des facettes de l’alternance, l’autre s’appelant la professionnalisation. Cette subtile distinction est au passage incompréhensible pour les recruteurs eux-mêmes.  

Pour ne prendre que l’exemple de D&E, le directeur de la publication a cru naïvement recruter cette année des apprentis, quand il a recruté (à son insu) des professionnalisants! La différence entre les deux ne porte donc ni sur l’âge des bénéficiaires ni sur le contenu des formations. Elle porte sur le mode de financement! 

Dans le cas de l’apprentissage, les formations sont financées par une taxe obligatoire, gérée par l’État selon des règles dont l’opacité mériterait un prix Nobel. Dans le cas de la professionnalisation, les formations sont financées par des contributions des entreprises gérées par les OPCA paritaires. Allez comprendre! 

À chaque étage de cet édifice mystérieux, des intermédiaires se sucrent, s’offrent des sièges prestigieux, des voyages d’étude et un réseau de relations aussi sein que les mouettes qui tournent au-dessus d’un port de pêche. Tiens! ça nous intéresserait de connaître la moyenne des salaires réels perçus par les chefs d’établissement de l’Éducation Nationale en charge d’un GRETA. Et ça nous intéresserait de connaître la moyenne des salaires des directeurs d’OPCA.  

C’est évidemment ce sujet qu’il faut attaquer: celui de la complexité de notre système d’alternance, et celui des conflits d’intérêts qui le distraient de son objectif essentiel, celui de former des alternants. 

 

Les mauvais signaux envoyés par Emmanuel Macron

Sur ces sujets, Emmanuel Macron envoie malheureusement de mauvais signaux. Il évoque par exemple la possibilité de labelliser des formations remboursables par les OPCA.  

Oups! la mauvaise idée! la labellisation existe en effet déjà dans certaines branches, et elle est parfois le réceptacle de pratiques scandaleuses qui permettent de surfacturer les prestations servies aux bénéficiaires des formations. 

Comme toujours, plus on réglemente, plus on favorise les passagers clandestins et les resquilleurs de tous poils. Nous prenons en tout cas les paris: sans une réforme structurelle de l’alternance, nous reprendrons dans cinq ans le dossier “formation professionnelle” dans le même état qu’aujourd’hui. 

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