Droit du travail : prendre ce qui est jeté n’est pas voler

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat la CFDT

Lorsque l’entreprise manifeste clairement son intention d’abandonner des produits périmés en les retirant de la vente et en les mettant aux ordures, l’entreprise ne peut accuser un salarié de vol car elle n’en détient plus la propriété. Cass. Crim, 15.12.15 n°84906. 

Le vol commis par le salarié au détriment de l’employeur s’analyse souvent en une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire même en faute grave. Toutefois, les tribunaux se montrent plus indulgents pour le détournement de denrées alimentaires, volées ou consommées sur place. La jurisprudence apprécie la gravité des faits en fonction de la modicité du vol, des circonstances, du statut du salarié et de son ancienneté. 

Les débats devant la chambre sociale de la Cour de cassation se concentrent souvent sur l’appréciation de la gravité de la faute (1). Ici, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’attache à établir l’existence d’un vol en fonction des circonstances de l’espèce. 

 

Lorsqu’un vol est commis par un salarié à l’encontre de son entreprise, l’employeur a la faculté d’agir sur deux terrains. En premier lieu, sur le terrain de la sanction disciplinaire, puisque le salarié commet une faute dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Cette sanction peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave. En second lieu, sur le terrain judiciaire avec une condamnation pénale et civile, la juridiction répressive pouvant être saisie, selon le cas, par l’employeur ou par un autre salarié victime. 

Faits, procédure et problématique 

Un magasin a placé dans ses poubelles situées à l’extérieur des produits périmés. Une salariée du magasin a subtilisé ces produits et a alors fait l’objet d’une procédure pénal pour vol. 

En première instance, la salariée a été relaxée mais le procureur de la république a interjeté appel. 

La cour d’appel de Dijon a caractérisé un vol et condamne la salariée. 

Un pourvoi en cassation est formé par la salariée du magasin. 

La question tranchée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation est la suivante : Malgré l’interdiction du règlement intérieur, la soustraction de produits périmés, retirés de la vente et mis à la poubelle par un magasin dans l’attente de leurs destructions est–il constitutif d’un vol ?  

La notion de propriété déterminante dans la qualification de vol 

La Chambre Criminelle de la Cour de cassation énonce que la soustraction des produits impropres à la commercialisation, retirés de la vente et mis à la poubelle dans l’attente de leur destruction ne caractérise pas un vol. 

La Chambre criminelle ajoute que le règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répondait à un autre objectif que celui de la préservation des droits du propriétaire légitime et était sans incidence sur la nature réelle de ces biens. Autrement dit, l’entreprise a clairement manifesté son intention d’abandonner les objets périmés en les retirant de la vente et en les mettant à la poubelle. 

En conséquence, le magasin n’étant plus propriétaire des denrées, la salariée ne peut donc être poursuivie pour vol. 

Cette jurisprudence vient établir clairement le principe suivant : lorsqu’une entreprise se débarrasse de ses marchandises en les retirant de la vente et en les mettant aux ordures, elle en perd la propriété. Le salarié en prenant lesdites marchandises ne pourra en aucun cas être accusé de vol. 

Conséquences de la relaxe sur le licenciement 

Il est à noter que la décision pénale s’imposant au juge prud’homal, le salarié relaxé bénéficie donc de la possibilité de contester son licenciement (art. 1351 c.civ). 

Inversement, si le salarié avait été reconnu coupable de vol devant la juridiction pénale, son licenciement aurait pu être considéré comme justifié (selon la gravité du larcin, l’ancienneté du salarié) devant la juridiction prud’homale, et sous réserve de la rédaction de la lettre de licenciement. 

A cet effet, il y a lieu de se référer à ce qui figure dans la lettre de licenciement. Si cette lettre ne mentionne que le vol comme motif de licenciement et que le salarié est relaxé pour cette infraction, le licenciement devrait être annulé par le juge prud’homal. En revanche si la lettre invoque une faute caractérisée en rapport aux obligations professionnelles du salarié, ou une violation du règlement intérieur, la relaxe du seul chef de vol ne privera pas le juge d’apprécier le bien-fondé du licenciement (2). 

En somme, ce n’est que lorsque la faute est qualifiée de vol dans la lettre de licenciement et que le salarié est relaxé au pénal, que ce dernier pourra prétendre à l’annulation de son licenciement. 

(1) Cass. soc., 12.01.2000, no 98-41.524, Cass. soc., 18.12.2000, no 98-42.036, Cass. soc., 05.05.2011, no 09-43.338. 

(2)Cass. soc., 31.05.2006, no 03-48.224. 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmarkClose
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

Arrêté d’extension d’un avenant de prévoyance dans les entreprises de polyculture et d’élevage et CUMA de l’Eure

La ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, a étendu, par arrêté du 5 mai 2025, publié le 10 mai 2025 les dispositions de l'avenant n° 5 du 14 novembre 2024 à l'accord départemental du 9 juillet 2009 instituant un régime de prévoyance complémentaire en agriculture pour les salariés non-cadres des entreprises et exploitations de polyculture et d'élevage, des exploitations maraîchères et de cultures légumières de...

Un représentant CPME est désigné membre suppléant au FIVA

Un arrêté ministériel publié au Journal officiel d'aujourd'hui entérine la nomination d’un nouveau membre suppléant au conseil d’administration du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Il s'agit de Frantz Doignon. Il représentera la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), et est nommé au titre des représentants des organisations siégeant à la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. ...

Wallis-et-Futuna : le directeur intérimaire de l’agence de santé quitte ses fonctions

Un arrêté ministériel publié au Journal officiel d'aujourd'hui, acte un changement à la direction de l’agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna. Éric Chartier, qui exerçait les fonctions de directeur par intérim, quitte ses fonctions à compter du 5 mai 2025. Pour lui succéder temporairement, les ministres compétents ont désigné Richard Jardin, professeur agrégé classe normale....

La MCF voit son résultat net fondre en 2024

Comme bon nombre d'organismes du secteur de l'assurance, la Mutuelle centrale des finances (MCF) a publié son rapport sur la solvabilité et la situation financière (SFCR) pour l'année 2024. Le document montre que l'année 2024 n'a pas été très clémente pour la mutuelle, notamment du côté de ses résultats financiers. En 2024 la MCF a encaissé 4,6% de cotisations brutes de...

Tutélaire en 2024 : un chiffre d’affaires en hausse et un modèle élargi à trois métiers

La mutuelle Tutélaire clôt l’exercice 2024 sur des résultats en nette progression, portés par une réorganisation stratégique autour de trois pôles d’activité : la prévoyance, l’épargne-retraite et la réassurance. Le chiffre d’affaires total s’établit à 134,8 M€, en hausse de 80 % par rapport à 2023, traduisant l’extension du périmètre d’activité et l’intégration de nouveaux portefeuilles. ...