Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT
La CFDT a été pionnière dans la reconnaissance du télétravail comme forme d’organisation du travail dans les entreprises privées et dans la fonction publique. Depuis la publication des ordonnances, le sujet est devenu un véritable enjeu syndical.
Le télétravail va-t-il devenir une organisation du travail pratiquée à grande échelle ? Pas si sûr. De nombreux médias ont été un peu vite en besogne en annonçant une explosion prochaine du télétravail, après la publication de l’ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. Et dont les dispositions sont censées simplifier et mieux encadrer cette pratique de travail à distance, et ainsi permettre son développement dans les entreprises privées et les établissements publics. Car pour l’heure, le télétravail reste marginal : le taux de télétravailleurs varie de 2 à 6 % pour le télétravail négocié (accord ou avenant au contrat de travail) et entre 16 et 20 % pour le télétravail informel1. Un pourcentage deux à trois fois inférieur à celui des pays scandinaves et anglo-saxons.
Encore peu d’accords télétravail déjà signés…
Quant au nombre d’accords signés depuis la mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel de 2005, il reste très limité : l’Obergo2 en a recensé moins d’une centaine, dont 66 dans les entreprises privées, 11 dans le parapublic et 3 dans la fonction publique. Pourtant, il existe une forte aspiration et une demande croissante à bénéficier du télétravail : 64 % des salariés selon une enquête de l’Obergo. Mais les freins à la mise en place du télétravail sont nombreux. Au sein des entreprises, les réticences demeurent : culture du présentéisme, difficulté ou manque de préparation de l’encadrement à manager les équipes à distance, inquiétudes quant à la sécurité des données – sans compter que tous les emplois ou postes ne sont pas « télétravaillables ». En outre, cette pratique concerne surtout quelques secteurs d’activité comme les télécoms, l’informatique, le numérique, le conseil, la banque-assurances, les industries pharmaceutiques ou métallurgiques… et elle est très majoritairement réservée aux cadres. Cela dit, le champ de diffusion du télétravail s’ouvre progressivement : le voyagiste Kuoni ou l’entreprise de réparation, d’équipement et d’entretien automobile Norauto ont signé des accords. D’ailleurs, le nouveau cadre juridique défini par l’ordonnance contribue à créer des conditions plus favorables au développement du télétravail.
Ce que l’ordonnance change
Comme c’était le cas avant l’ordonnance, le télétravail reste un acte volontaire que l’on ne peut imposer à un salarié qui ne le souhaite pas : son refus de télétravailler ne peut être considéré comme un motif de licenciement. Mais l’ordonnance a créé un « droit au télétravail ». Désormais, tout salarié dont le poste est éligible peut demander à télétravailler. Il revient à l’employeur de justifier son refus, alors qu’auparavant il acceptait ou refusait sans justification. Et dès lors qu’il s’agit d’entériner le principe d’un télétravail régulier, l’employeur est désormais tenu de mettre en place des règles collectives à travers une charte ou un accord. En cas de télétravail occasionnel, un accord entre les deux parties « par tous moyens » (écrit, oral) peut suffire. Attention : un amendement présenté en décembre, et dont il conviendra de suivre l’adoption ou non courant janvier, pourrait bousculer ces règles initiales et faire disparaître ces dispositions protectrices.
L’ordonnance reconnaît au télétravailleur les mêmes droits et avantages légaux et professionnels que ceux dont bénéficie le salarié qui travaille dans les locaux de l’entreprise (droit à la formation, accès aux informations syndicales et aux élections professionnelles, indemnités repas, etc.). De plus, et c’est là l’une des avancées majeures du texte, un accident intervenant pendant les heures de travail sur le lieu où est exercé le télétravail sera considéré comme accident du travail. Autre progrès : l’ordonnance précise que la charte ou l’accord doit tenir compte de la charge de travail du télétravailleur et des horaires correspondant à la période télétravaillée.
Évidemment, l’ordonnance ne résout pas tout (elle laisse dans l’ombre le cas du nomadisme, par exemple), supprime la prise en charge par l’employeur des coûts liés au télétravail (abonnement internet, matériel informatique, etc.) et ne fixe pas de limite au nombre de jours de télétravail auxquels le salarié peut prétendre. Enfin, selon la CFDT, « ce droit au télétravail reste relatif, sachant que l’employeur conserve la possibilité de le refuser et que l’ordonnance ne prévoit pas de recours des salariés en cas de refus ».
Il est bien sûr trop tôt pour se prononcer sur les effets de ce nouveau cadre juridique. « Mais comme tous les salariés peuvent dorénavant demander à télétravailler dès lors que leurs tâches sont réalisables à distance, les employeurs ont tout intérêt à négocier des accords collectifs afin de mieux cadrer cette organisation du travail », assure le secrétaire national Hervé Garnier. Et cela donne des leviers d’action aux équipes syndicales. Ainsi que le montrent des accords déjà conclus ou en cours d’expérimentation, différents points peuvent être négociés afin de diffuser ce mode de travail au sein des entreprises.
Différents accords innovants
En premier lieu, la rédaction d’une charte ou la négociation d’un accord constitue l’occasion de définir la nature des postes éligibles au télétravail et les critères pour qu’il ne reste pas réservé aux seuls cadres, ne soit pas interprété comme une sorte de prime, un avantage ou une décision arbitraire du manager. Ainsi, dans l’accord télétravail négocié chez Michelin en juillet 2017, la compatibilité des postes tient compte du pourcentage de tâches télétravaillables et de l’organisation du travail du salarié. Chez EDF, l’accord va plus loin puisqu’il recommande que des expérimentations soient menées sur des postes a priori jugés difficilement télétravaillables, voire incompatibles avec le télétravail. L’opération mise en place à la signature de l’accord de 2016 est liée à l’existence d’un comité de suivi de l’accord qui décide, au terme de la période de test, de ce qui est réalisable. Est également prévu dans l’accord une période d’adaptation de trois mois pour vérifier la compatibilité du télétravail avec l’activité et la vie personnelle des salariés, ainsi qu’un bilan à l’issue de ces trois premiers mois. L’accompagnement des télétravailleurs, des managers et des équipes est ici vu comme une condition sine qua non du développement et de la réussite du télétravail.
Orange en a fait aussi le pivot de son accord de 2016 et met en place des formations spécifiques permettant de passer du management présentiel au management à distance. Sont donnés des outils au télétravailleur pour rendre son activité visible aux yeux de son manager, et des conseils au manager pour faciliter la relation avec son collaborateur. Chez BNP Paribas, tous les salariés sont formés au télétravail, qu’ils soient concernés ou non, afin de favoriser une meilleure compréhension par tous de cette forme de travail.Un autre point important à négocier, puisqu’il ne relève plus des obligations de l’employeur : le matériel mis à la disposition du salarié et la mise en conformité de son logement peuvent faire l’objet d’un accord, au même titre qu’une éventuelle indemnité télétravail.D’autres questions peuvent être posées par les équipes syndicales : où commence et où finit le télétravail occasionnel, le travail nomade ? Le télétravail est-il autorisé ailleurs que chez soi ? Peut-on par exemple travailler dans un espace de coworking si l’on habite une zone rurale mal desservie par le réseau internet ou si l’on ne dispose pas d’une pièce dédiée à son domicile ? Enfin, et c’est sans doute à l’avenir un point crucial : comment évaluer la charge de travail de salariés dont le temps de présence au travail servait auparavant de mesure ? Le télétravail implique bel et bien une révolution dans les organisations du travail et les mentalités.