Dépenses somptuaires chez Force Ouvrière : le syndrome d’un syndicalisme hors-sol

En pleine campagne électorale interne, Force Ouvrière fait de nouveau parler d’elle pour de mauvaises raisons, le Parisien ayant dévoilé lundi le niveau des rémunérations et des notes de frais en vigueur chez les dirigeants confédéraux de l’organisation. Affichant un train de vie indiscutablement éloigné de celui de la majorité des salariés français, ces dirigeants paraissent tout à fait déconnectés de la base qu’ils sont censés représenter. Un constat qui vaut, hélas, bien au-delà de cette organisation. 

Rappels d’usage

Dénonçant fréquemment la politique du grand capital, les dirigeants de FO ont pourtant mis en œuvre l’un des ses fameux préceptes, selon lequel les pertes doivent être socialisées tandis que les profits doivent être privatisés. Alors que leur centrale a présenté un bilan comptable déficitaire de plus de 635 000 euros pour 2017, les notes de frais des treize membres du bureau confédéral ont d’une part atteint, sur la même année, près de 390 000 euros – soit presque 30 000 euros par personne. Une broutille ! A ceci s’ajoutent d’autre part des dépenses salariales importantes. La seule rémunération de Jean-Claude Mailly a, par exemple, dépassé les 100 000 euros bruts. En somme : sans les dépenses de personnel liées au treize membres de son bureau confédéral, FO ne serait pas déficitaire. 

Ne s’appréciant guère mutuellement, Jean-Claude Mailly et Pascal Pavageau semblent en revanche partager le même goût pour les notes de frais volumineuses. En moyenne, dans ce domaine, M. Mailly tournait en effet autour des 35 000 euros annuels. Surtout, certaines dépenses effectuées en carte bancaire n’étaient pas précisées alors qu’elles atteignaient des montants un peu plus élevés que le prix de quelques viennoiseries : « 1808,80 » euros, « 2086,24 » euros, « 3691,29 » euros par exemple. Hélas pour M. Pavageau, il lui aurait été bien difficile de critiquer les dépenses de M. Mailly. Depuis 2016, les siennes tutoyaient en effet les 50 000 euros par an. Outre 12 000 euros de loyers, des dépenses, là encore souvent non précisées, portaient sur des montants évoluant entre 2000 et 3000 euros par mois. Ainsi vit-on du côté de l’Avenue du Maine : l’adhérent moyen de FO l’apprendra avec joie. 

Des trains de vie hors du commun

La succession de tous ces chiffres élevés donne le tournis. Certes, peu après la parution de l’article du Parisien, FO a bien tenté de se défendre sur la question des notes de frais, en assurant que tout était sous contrôle en interne. En outre, certains pourront considérer que les salaires attribués aux dirigeants confédéraux correspondent, après tout, à des salaires de cadres supérieurs. Ces arguments ne convaincront pourtant pas grand monde parmi les travailleurs. Au risque de paraître inconvenant aux yeux des responsables de Force Ouvrière, il faut rappeler que les sommes d’argent qu’ils brassent mensuellement sont considérables du point de vue du salarié moyen. Bouclant de plus en plus difficilement ses fins de mois, ce dernier découvre, non sans écœurement, ses « représentants » syndicaux pris la main dans le sac à vivre en réalité mieux que bien des employeurs de ce pays – employeurs dont ils dénoncent d’ailleurs régulièrement l’avidité. 

Le problème n’est pas seulement symbolique : il interroge également, concrètement, la capacité des hiérarques confédéraux de FO à prendre en charge la représentation des intérêts des salariés. Comme l’a très bien dénoncé Patrice Clos, candidat à la succession de Pascal Pavageau et partisan d’un coup de balai dans les comptes de la centrale : « Qu’un responsable syndical – même s’il s’appelle Jean-Claude Mailly – touche 10.000 euros par mois, ne me dites pas que c’est normal ! Après ça, comment voulez-vous défendre un salarié qui touche le SMIC ? » On peut légitimement se le demander, il est vrai. De la même manière, affichant une certaine désinvolture en matière de précision des objets de leurs notes de frais, MM. Mailly et Pavageau s’octroient un droit à la « phobie administrative » et manifestent ainsi leur appartenance à un tout autre monde que celui, par trop étriqué semble-t-il, où évolue le salarié lambda

Le syndicalisme hors-sol

Ceci constitue sans doute l’enseignement fondamental de la dernière affaire qui secoue Force Ouvrière. Les niveaux de rémunérations et de dépenses mensuelles des dirigeants de cette organisation permettent, sans grande difficulté, d’imaginer que leur quotidien n’a plus rien à voir du tout avec celui des salariés qu’ils prétendent représenter. Courant de trains en avions, déjeunant ou dînant très fréquemment dans des restaurants de bonne facture, passant beaucoup de temps dans des hôtels confortables et n’ayant aucune difficulté à joindre les deux bouts, ils n’expérimentent plus guère les tensions de la vie professionnelle et financière de l’ouvrier, de l’employée ou du cadre moyen. Ils ne partagent plus, et pour certains depuis très longtemps, les conditions de vie des travailleurs dont ils se font fort d’être les défenseurs. De fait, ils sont, pour la plupart, hors-sol : déconnectés du salariat, ils peinent à l’incarner légitimement. 

Ce constat ne saurait réjouir les dirigeants des autres confédérations salariales : il vaut aussi, dans la grande majorité des cas, pour eux. D’aucuns crieront probablement à la démagogie du propos : il n’en demeure pas moins réaliste. Investis dans des activités purement organisationnelles et dans de nombreuses institutions publiques, para-publiques ou privées, sans jamais être vraiment sous le contrôle d’une base militante qui tend à se rétrécir d’année en année, les dirigeants des confédérations salariales finissent par se faire happer par des intérêts tout autres que ceux de ladite base. Loin de déplorer le phénomène, les dirigeants de l’Etat et le grand patronat y trouvent au contraire, comme ceci se conçoit aisément, quelque motif de satisfaction. Car au final, si FO croit pouvoir se poser en victime d’une « campagne de dénigrement et de calomnie diffamatoire contre la Confédération », comme il est de coutume dans ces cas-là, il convient de bien souligner qu’en réalité, ce sont les salariés français qui sont les premières victimes du syndicalisme hors-sol. 

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