Dans quelle mesure l’employeur est-il en droit de contester les heures de délégation ?

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat : CFDT

 

Les heures de délégation prises hors temps de travail ne peuvent être contestées par l’employeur qu’après avoir été payées. C’est le principe que vient rappeler la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt récent du 19 mai 2016. Cass. Soc., 19 mai 2016, n°14-26.967, publié. 

 

  • Qu’est-ce qu’une heure de délégation ?

Les heures de délégation correspondent à un quota d’heures mensuelles attribuées par la loi aux membres titulaires d’un mandat au sein d’une institution représentative du personnel (membre du comité d’entreprise, délégué du personnel,…). Elles sont payées par l’employeur comme des heures travaillées. 

Les heures de délégation sont en principe à la libre disposition du salarié, titulaire d’un mandat. Cependant, l’employeur peut, à des fins de contrôle et de gestion, exiger du salarié qu’il remplisse des bons de délégation. Le temps passé en réunion de l’institution à laquelle le salarié appartient n’est pas décompté des heures de délégation. 

Cet arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation a trait aux modalités de contestation des heures de délégation. 

  • Faits, procédure et problématique…

Dans cette affaire un chauffeur livreur est titulaire d’un mandat de délégué syndical. Afin d’obtenir le paiement de ses heures de délégation accomplies en dehors de son temps de travail, le représentant syndical saisit en référé le conseil de prud’homme. 

Devant la cour d’appel, l’employeur soutient que lorsque le salarié saisit la justice pour obtenir le paiement de ses heures de délégation, « il n’est pas interdit à l’employeur de contester, dans le cadre d’un moyen de défense, le droit pour le salarié à solliciter le paiement de telles heures ». 

L’employeur ajoute qu’un tel moyen de défense peut être invoqué y compris devant le juge des référés, auquel il incombe alors de vérifier si la contestation de l’employeur, quant à l’utilisation des heures de délégation est sérieuse et de nature à s’opposer au paiement, par provision, des heures de délégation.  

La juridiction du second degré écarte l’argumentation de l’employeur et le condamne au paiement des heures de délégation litigieuses. Sur le fondement de l’article L. 2143-17 du Code du travail, la cour d’appel rappelle qu’il y a une présomption de bonne utilisation des heures de délégation prises hors temps de travail, dans la limite du crédit d’heures, et impose leur paiement à l’échéance normale avant toute action en contestation de leur usage. 

S’estimant lésé, l’employeur décide de se pourvoir en cassation. 

Dans quelles conditions l’employeur peut-il contester les heures de délégations ? Telle est la question débattue devant la chambre sociale de la Cour de cassation. 

 

  • L’employeur doit payer les heures de délégations avant de pouvoir les contester

Les magistrats du Quai de l’Horloge valident la décision de la cour d’appel et rappellent que « le salarié, délégué syndical, disposait d’heures de délégation, que sa demande n’excédait pas le crédit d’heures dont il bénéficiait à ce titre, et que l’employeur, qui contestait l’utilisation de ces heures de délégation en dehors des heures habituelles de travail, ne les avaient pas payées à l’échéance normale ». 

En conséquence, l’employeur aurait du payer les heures de délégation avant de pouvoir les contester et d’en obtenir l’éventuel remboursement. La position de la chambre sociale dans cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence (1). 

Les représentants du personnel sont présumés faire une bonne utilisation de leurs heures de délégation. Il existe une présomption de bonne foi à cet effet. 

Par ailleurs, l’employeur ne peut pas subordonner le paiement des heures de délégation à la justification par le représentant syndical de leur bonne utilisation. Il s’expose dans ce cas à une condamnation pour délit d’entrave.(2) 

Toutefois, une nuance de taille est à apporter, ces règles n’ont pas vocation à s’appliquer aux heures de délégation prises en plus du crédit d’heures en cas de circonstances exceptionnelles. La chambre sociale l’a d’ailleurs rappelée dans un arrêt de 2001(3) : les heures de dépassement pour circonstances exceptionnelles ne bénéficient ni du paiement de plein droit à échéance noramle, ni de la présomption de bonne utilisation. Il est également à préciser que lorsque le cérdit d’heures a été dépassé, c’est au représentant du personnel d’apporter la preuve de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant un tel dépassement eu égard à sa fonction (4). 

En la matière, l’employeur doit avant d’engager une action en remboursement devant le conseil de prud’hommes, demander aux représentants du personnel de préciser les activitées exercées durant leur temps de délégation. Ce n’est qu’ensuite que l’employeur pourra agir en remboursement des sommes versées. A défaut, l’employeur s’exposera au rejet de sa demande et pourrait même être condamné pour délit d’entrave ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts (5). 

C’est à bon escient que la chambre sociale de la Cour de cassation encadre strictement la contestation des heures de délagation puisque c’est notamment grâce à elles que l’action syndicale prend toute sa mesure et son effectivité.  

 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Découvrez nos analyses et capsules vidéos
Lancer la vidéo

Webinaire Tripalio #1 : Les accords santé face aux fusions de CCN

Lancer la vidéo

PLFSS 2026 : rejet du socle solidaire et responsable par Thibault Bazin

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #4 : zoom sur le médico-social non lucratif

Lancer la vidéo

Le pouls des CCN #6 : focus sur l'avenant santé n° 9 de la CCN Syntec

Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

La solidarité au cœur du Comptoir des Branches de Malakoff Humanis

Le 2 décembre 2025, Malakoff Humanis a réuni ses partenaires dans un lieu conviviable pour une nouvelle édition du « Comptoir des branches ». Lancé en mai 2021 à l’initiative du groupe de protection sociale Malakoff Humanis, il agit comme un lieu d’échange et de co-construction pour les partenaires sociaux des branches professionnelles autour de la protection sociale. Ce rendez-vous s’est imposé comme un espace d’échange incontournable. À l’occasion des 10 ans du dispositif de solidarité, cette soirée était...
Lire plus

Le socle solidaire et responsable écarté du PLFSS en 2e lecture

C'est sans grande surprise que les députés ont supprimé hier (3 décembre 2025) l'article 6 quater, créant un socle solidaire et responsable, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Cet article inséré par le Sénat devait permettre de commercialiser des contrats moins généreux en termes de prestations que l'actuel contrat responsable et...

La Mutualité française appelle les français à participer aux Etats généraux de la santé et de la protection sociale

Ce communiqué a été diffusé par la Mutualité française. Comment les Français peuvent-ils se réapproprier leur protection sociale ? En donnant leur avis dans le cadre des Etats généraux de la santé et de la protection sociale, estime Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. Il s’est exprimé lors du lancement...

Intériale quitte la Mutualité Française

Plusieurs confrères de la presse spécialisée annoncent, ces dernières heures, la décision prise par Intériale, ayant longtemps joué un rôle central dans l'assurance santé des agents et anciens agents du ministère de l'Intérieur, de quitter la fédération nationale de la mutualité française. Cette décision résulterait notamment des tensions survenues entre opérateurs mutualistes, et dans le cadre de leur représentation, au cours de la mise en œuvre de la réforme...

Avis d’extension d’avenants à la CCN de la production cinématographique

Le ministre du travail et des solidarités, envisage d’étendre, par avis publié le 4 décembre 2025, les dispositions de l’avenant du 26 mars 2025 relatif à la révision des salaires minima et de l'avenant du 26 septembre 2025 relatif à la classification, conclus dans le cadre de la convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012 (...