Depuis plusieurs années, la CGT fait régulièrement les gros titres des journaux, non pour son action revendicative, mais pour la crise qu’elle traverse. A force de ne jamais en sortir, la confédération donne le sentiment d’être atteinte dans ses fondements et de vaciller sur son socle historique.
Une tentative de suicide au siège
Dernier développement en date de la crise interne de la CGT: une tentative de suicide de l’une des salariées de la confédération au siège, à Montreuil. Celle-ci avait laissé un mail de dénonciation où elle se déclarait harcelée avant d’absorber des médicaments. Le certificat médical établi par l’hôpital porte mention d’une «tentative de suicide par ingestion médicamenteuse volontaire sur son lieu de travail dans un contexte de souffrance au travail».
Selon la salariée, c’est l’entourage de Philippe Martinez qui est à l’origine de ses souffrances.
«J’en peux plus… Je suis exténuée», écrit-elle, dénonçant «un médecin du travail qui joue la sourde muette», «des élus du personnel qui [la] laissent tomber» et «des dirigeants qui jouent l’autruche pour ne pas avoir à se positionner».
«Je suis trop petite en face de la grande machine Confédération qui broie, trop petite et toute seule», ajoute-t-elle.
Si cette affaire fâcheuse n’est pas directement liée aux orientations politiques et syndicales de la confédération, elle illustre néanmoins la détérioration du climat interne dont le management personnel du secrétaire général est l’une des causes.
Le pire est évité à la SNCF
Le trouble qui règne à la CGT a même justifié les pires craintes lors des élections professionnelles à la SNCF. Dans un contexte d’érosion généralisée des audiences du syndicat; beaucoup craignaient un effondrement des listes CGT lors des élections du 19 novembre.
Dans la pratique, la CGT a limité les dégâts en perdant seulement 1,3 point, avec un total de 34,3% des suffrages. Elle reste donc le premier syndicat de l’entreprise, avec une avance importante sur les autres organisations (l’UNSA est à 23,86%). Avec Sud, la CGT détient toujours la majorité absolue des voix et dispose donc d’un pouvoir de blocage au sein de l’entreprise.
Néanmoins, tout le monde a eu chaud à Montreuil. L’organisation donne en effet des signes de faiblesse et de fatigue, et elle ne tient plus guère que par la puissance de quelques fédérations comme celle des cheminots. Le jour où celle-ci s’affaiblira, le pire sera à craindre.
La ligne pacifiste de Martinez
Pour limiter les dégâts, Philippe Martinez mise aujourd’hui sur une ligne radicalisée et à contre-courant de l’opinion dominante. A certains égards, son discours rappelle celui de la CGT des années 30, anti-capitaliste et volontiers pacifiste. Ce sont ces accents-là qui ont dominé le communiqué de la CGT hostile à l’état d’urgence la semaine dernière.
Philippe Martinez a d’ailleurs déclaré à Médiapart, dans la foulée de ce communiqué:
cette position pacifiste est dans les gènes de la CGT. Nous avons toujours porté ces valeurs-là, et même si les conditions sont un peu différentes aujourd’hui, on doit être là pour les porter.
Un peu plus loin, il ajoute:
Il y a la surveillance individuelle, on va pouvoir bientôt écouter tout le monde, et nous avions d’ailleurs déjà critiqué la loi sur le renseignement à ce sujet. Et puis nous avons peur aussi pour les libertés collectives, le droit de se rassembler, de contester.
Maintenir les revendications collectives, notamment chez Air France, alors que la crise liée au terrorisme est en pleine ébullition? Cette ligne de Martinez ne fait pas seulement partie du folklore local. Elle vise aussi à mettre l’organisation sous tension, à la “gauchiser” pour en maintenir l’unité.
Les tensions internes prospèrent
Cette mise sous tension apparaît largement comme une ultime manoeuvre pour empêcher l’implosion de la confédération. De toutes parts, les soutiens au secrétaire général s’amenuisent ou sont mis en difficulté.
La fédération des Bouches-du-Rhône, par exemple, a évincé son secrétaire général jugé trop proche de l’état-major parisien. La fédération de la Seine-Maritime était en passe de faire la même chose. Dans le commerce, la fédération de Paris a fait sécession depuis plusieurs années déjà pour créer le Clic-P, qui fait la guerre au travail du soir ou du dimanche.
Ces mouvements ne sont pas que sporadiques. Ils marquent une rupture profonde entre l’aile lambertiste ou post-lambertiste, prête à toutes les guerres pourvu qu’elles rappellent le passé, et les réformistes de plus en plus nombreux (on y compte notamment une bonne part de la fédération des services publics), désireux de trouver un terrain d’entente avec le gouvernement et de peser sur la situation.
Martinez et la terre brûlée
Face à ces tensions internes, la tentation de Philippe Martinez consiste à jouer la terre brûlée avec une légèreté qui lui sera tôt ou tard reprochée.
Fin octobre, c’est à une courte majorité, due à trois abstentions et à des absences, que l’intéressé a obtenu l’absence de la CGT à la grande conférence sociale organisée par François Hollande. Ce n’est pas que cette conférence serve à quelque chose, mais, symboliquement, l’absence de la confédération a plus ressemblé à une mise en quarantaine politique volontaire qu’à une stratégie élaborée dans la durée.
Dans la foulée, le gouvernement a demandé à la CGT de réviser sa liste de propositions pour la Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) où les hommes étaient sous-représentés. L’exécutif aurait voulu un homme de plus: c’était une façon habile de réintégrer l’opposant Eric Aubin, victime de persécutions depuis la succession de Bernard Thibault. Philippe Martinez a préféré renoncer au poste plutôt que de nommer une figure qui pourrait un jour lui porter ombrage.
Cette décision est d’autant plus remarquée qu’Eric Aubin est le meilleur connaisseur des retraites et de l’assurance chômage à la CGT… un atout précieux dont le gouvernement aurait bien besoin pour affronter les mois à venir.