Cet article est paru sur le site du syndicat de salariés CFDT.
La condamnation à rembourser à Pôle emploi les allocations chômages versées au salarié dont le licenciement est déclaré comme étant sans cause réelle ni sérieuse est une sanction lourde pour les employeurs. Par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, Pôle emploi s’est vu octroyer un pouvoir de contrainte pour obtenir ce remboursement.
Celui-ci vient de faire l’objet d’un décret qui en précise les modalités. Décret n° 2019-252 du 27 mars 2019 relatif aux conditions de délivrance de la contrainte par Pôle emploi pour le remboursement des allocations de chômage par l’employeur à la suite d’un jugement prud’homal.
- Une sanction particulièrement dissuasive au prononcé d’un licenciement abusif
Lorsqu’un conseil de prud’hommes condamne un employeur à verser des dommages et intérêts au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il doit également ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié (1). Ce remboursement se fait du jour du licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Un risque de condamnation pouvant s’avérer dissuasif, d’autant que celle-ci doit être ordonnée d’office par le juge, que Pôle emploi soit intervenu ou non à l’instance, et qu’il ait fait connaître ou non le montant des allocations versées.
Cette sanction ne s’applique pas au licenciement d’un salarié de moins de 2 ans d’ancienneté ni au licenciement opéré dans une entreprise de moins de 2 ans d’ancienneté(2).
- Une sanction jusqu’à présent longue et coûteuse à faire exécuter par Pôle emploi
A y regarder de plus près, l’on constate néanmoins que l’exécution de la décision du conseil de prud’hommes pouvait s’avérer compliquée, en particulier face à un employeur refusant de se soumettre aux demandes de paiement de Pôle emploi (mise en demeure de payer, relances…).
Face à une impossibilité de recouvrer ces sommes à l’amiable, Pôle emploi s’est trouvé contraint de s’engager dans une procédure contentieuse pouvant le conduire à passer pas moins de 3 fois devant le juge ! (3)
– Une première fois pour poursuivre leur recouvrement devant le tribunal d’instance, afin que ce dernier prononce une injonction de payer.
– Une deuxième fois si l’employeur usait de sa faculté de s’opposer à l’ordonnance portant injonction de payer, en formant opposition devant le tribunal d’instance qui a rendu l’ordonnance.
– Une troisième fois si l’employeur prétendait que le remboursement des indemnités chômage avait été ordonné dans un cas où cette mesure était exclue par la loi, le tribunal d’instance devant alors renvoyer l’affaire au conseil de prud’hommes aux fins d’une rétractation éventuelle du jugement sur ce point.
Cela était sans compter les possibilités de recours contre de telles décisions…
- Un nouveau pouvoir de contrainte pour Pôle emploi
Ce parcours du combattant n’a pas échappé à un député qui, pendant les débats du printemps 2018 relatifs à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a déposé un amendement tendant à renforcer la capacité de Pôle emploi à recouvrer ces remboursements.
Cet amendement, qui a été adopté, instaure le pouvoir pour Pôle emploi de délivrer une contrainte (4) quant au remboursement par l’employeur des allocations chômage versée entre le licenciement et la décision du conseil de prud’hommes.
Il s’agit ici d’un pouvoir important, permettant de gagner en rapidité et en efficacité dès lors que, en l’absence d’opposition de l’employeur devant le tribunal d’instance, cette contrainte comporte tous les effets d’un jugement et confère le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.
Au final, c’est la capacité, pour Pôle emploi, à recouvrer les sommes en question qui devrait s’en trouver renforcée.
A noter toutefois que cette contrainte doit, pour produire ses effets, être précédé d’une mise en demeure.
- Un pouvoir dont les modalités viennent d’être précisées par décret (5)
L’objet ici n’est pas de présenter dans le détail les modalités de la contrainte, mais plutôt d’en tracer les grandes étapes.
- Désormais, lorsque Pôle emploi souhaite obtenir le remboursement des allocations chômage versées entre le licenciement et le jugement du conseil de prud’hommes, en application de ce jugement, il doit tout d’abord adresser une mise en demeure à l’employeur (par tout moyen).
- A défaut de réponse de l’employeur au terme d’un délai d’1 mois, Pôle emploi peut délivrer la contrainte, par tout moyen donnant date certaine à sa réception, ou par signification par acte d’huissier.
- L’employeur conserve la faculté de former opposition dans les 15 jours suivant la notification de la contrainte devant le tribunal d’instance.
- Après un débat contradictoire, le tribunal d’instance statue sur l’opposition, son jugement se substituant alors à la contrainte.
- Il est également toujours possible à l’employeur, dans le cadre de son opposition, de prétendre que le remboursement des allocations de chômage a été ordonné dans un cas où cette mesure est exclue par la loi. Dans ce cas, l’affaire est renvoyée devant le conseil de prud’hommes aux fins d’une éventuelle rétraction sur ce point.
Il est important de noter qu’en aucun cas, la rétractation peut remettre en question la chose jugée entre l’employeur et le travailleur licencié, ni l’appréciation portée par la juridiction sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ou de sa nullité !
Les faits nous diront si ces nouvelles modalités permettront une meilleure effectivité de la sanction prévue à l’article L. 1235-4 du Code du travail…
(1) Art. L.1235-4 C. trav.
(2) Art. L.1235-5 C. trav.
(3) Anciens articles R.1235-1 à 17 C.trav.
(4) Art. L.1235-4, al 3 C.trav.
(5) Décret du 27.03.19, applicable aux jugements rendus à compter du 01.04.19. Nouveaux articles R.1235-1 à 17 C.trav.