Changement de lieu de travail : tout n’est pas permis

Cet article a été publié initialement sur le site du syndicat de salariés CFDT.

La Cour de cassation réaffirme une solution traditionnelle sur les limites du changement de lieu de travail que l’employeur peut imposer aux salariés. L’occasion de revenir sur cette solution, qui laisse à l’appréciation souveraine des juges du fond la distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail (Cass. soc., 20.02.19, n°17-24.094). 

  • Faits, procédure, prétentions

Une salariée, engagée en 1997 en qualité de comptable dans un établissement situé à Châteauneuf de Gadagne dans le département du Vaucluse, se voit imposer un changement de lieu de travail en 2014. Son nouveau lieu de travail est situé à Aix en Provence, dans le département limitrophe des Bouches du Rhône. Il est précisé que la salariée n’avait pas de clause de mobilité et que seul le lieu de travail était affecté par un changement.  

La salariée refuse ce changement, et l’employeur, tirant les conséquences de son refus, engage une procédure de licenciement. Elle sera finalement licenciée en novembre 2014 pour faute grave, l’employeur considérant qu’il s’agissait d’un simple changement de ses conditions de travail. 

Tout n’est pas contractuel dans le contrat ! La Cour de cassation considère de longue date qu’un salarié est en droit de refuser une modification de son contrat de travail, tandis qu’il ne peut refuser un simple changement de ses conditions de travail (1). Cette qualification est importante, puisque, dans le premier cas (modification du contrat), un refus ne peut fonder un licenciement disciplinaire, contrairement au second (changement des conditions de travail). Cette distinction n’est pas évidente, particulièrement pour le lieu de travail. En 2003, la Cour de cassation, suite à un revirement de jurisprudence, a ainsi considéré que la mention du lieu de travail dans le contrat a une simple valeur informative (sauf contractualisation exprès, très rare en pratique). Ce lieu peut donc être modifié sans l’accord du salarié, sauf s’il excède le périmètre du secteur géographique d’emploi. 

La salariée conteste le bienfondé de son licenciement et obtient gain de cause devant le conseil de prud’hommes. Celui-ci considère que l’employeur a entendu modifier unilatéralement le contrat de travail et lui accorde diverses indemnités, notamment pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel de Nîmes, suite à l’appel de l’employeur, confirme la décision des juges du fond. 

L’employeur décide toutefois de se pourvoir en cassation aux motifs : 

– que la cour d’appel a retenu une distance de 80 km entre les deux lieux de travail alors qu’il démontre, preuve à l’appui, qu’il n’y avait « que » 65 km de distance ;  

– que l’ancien et le nouveau lieu de travail de la salariée se trouvaient dans le même secteur géographique, la société ayant produit aux débats un document Insee aux termes duquel il était précisé que « la nouvelle zone d’emploi d’Aix-en-Provence s’étend sur trois département : Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse » ;  

– qu’en tous les cas, le nouveau lieu de travail se trouvait bien dans la même zone géographique et qu’il appartient aux juges du fond de caractériser de manière objective en quoi le nouveau lieu de travail du salarié est situé dans un secteur géographique différent du précédent. Pour lui, la seule circonstance que les deux lieux de travail n’appartiennent pas au même bassin d’emploi est indifférente. 

  • La solution de la Cour de cassation

Pour rejeter le pourvoi, la Cour énonce que : « le nouveau lieu de travail était distant de 80 km du précédent et n’appartenait pas au même bassin d’emploi, la cour d’appel qui a fait ressortir qu’il ne se situait pas dans le même secteur géographique, a légalement justifié sa décision ». 

Sur le grief de l’employeur, tiré de la prétendue nouvelle zone d’emploi, qui regrouperait les 2 villes, la cour d’appel avait déjà balayé l’argument. La plaquette de l’Insee versée aux débats par l’employeur ne disait pas que l’ensemble des 3 départements (Bouche du Rhône, Var, Vaucluse) était dans la même zone, mais que cette zone d’emploi était maintenant à cheval sur 3 départements, dont les Bouches du Rhône et le Vaucluse. Il n’était pourtant pas si difficile de comprendre que l’Insee ne visait pas l’ensemble des villes de ces 3 départements (sinon cela ne s’appelle pas une zone d’emploi, mais une région…). 

L’employeur se contredit d’ailleurs dans son 3è grief, pour dire que la seule circonstance que les 2 villes ne soient pas dans le même bassin d’emploi ne suffit pas à caractériser la modification du contrat de travail. 

Il est donc nécessaire de rappeler la distinction entre zone d’emploi et bassin d’emploi . L’Insee définit la zone d’emploi comme « un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts ». Il existe actuellement 322 zones d’emploi. En revanche, il n’y a pas de définition précise du bassin d’emploi [2], terme utilisé par le ministère du Travail. Le bassin d’emploi peut correspondre à un découpage plus fin des zones d’emploi, même si parfois il peut recouvrir les mêmes limites. Dans certaines décisions de justice, bassin d’emploi et secteur géographique semblent assimilés. Pour l’employeur, la tentation était grande d’assimiler ces deux zones, d’autant que la zone d’emploi au sens de l’Insee a fait son entrée dans le Code du travail dans la partie relative aux grands licenciements économiques… 

  • Une solution classique

La solution n’est pas nouvelle : en 2012, la Cour de cassation avait déjà pu juger que ” ayant constaté que le nouveau lieu de travail n’appartenait pas à la même aire géographique que celui où travaillaient jusqu’alors les salariés et que l’un et l’autre étaient situés dans des bassins d’emploi différents, la cour d’appel a pu en déduire qu’ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique et qu’en conséquence le refus des salariés de changer d’affectation n’était pas fautif .” [3] 

La difficulté pour les salariés est de connaître les limites du secteur géographique, ou bassin d’emploi, avant d’entrer en conflit avec l’employeur. D’ailleurs, même si le ou la salariée a raison, l’employeur qui poursuit quand même le licenciement sera simplement redevable des indemnités plafonnées par le barême Macron… 

Cette zone géographique n’est pas connue à l’avance par les salariés. C’est seulement en cas de d’action contentieuse que le juge se prononcera pour dire si l’employeur était resté ou non dans les limites de cette zone. Pour la région parisienne, un examen de la jurisprudence, à prendre avec précaution, permet de fixer cette zone, dans un rayon d’environ 50 km ou 1h de route. Mais les juges étudient également la fréquence des embouteillages, la facilité d’accès aux transports et la desserte des bus pour parfois retenir d’autres critères ! 

La région parisienne n’est pas toute la France, la Cour d’appel de Nimes ne se prive pas de rappeler cette évidence pour débouter l’employeur. Elle énonce que « déplacer le lieu de travail, fût-ce dans un département limitrophe desservi par l’autoroute, mais dans un autre bassin d’emploi distant de 80 km comme celui d’Aix en Provence, sans commune mesure avec l’exemple jurisprudentiel de la région parisienne où la norme habituelle est beaucoup plus large, constitue une modification du contrat de travail et non un simple changement des conditions de travail qui s’apprécie in concreto ».  

Enfin, sur le point de savoir qui avait raison sur la notion très factuelle de distance kilométrique entre les 2 lieux de travail, 65 ou 80 km, un examen rapide sur internet permet de répondre que les 2 sont bonnes ! Le trajet de 65 km est effectivement le plus court en distance mais aussile plus long en durée, avec une moyenne d’1 h 45 contre 53 minutes pour les 80 km entièrement par autoroute. Cette démonstration, accessible sur internet, ne nécessitait pourtant pas de maitriser la théorie de la relativité… 

 

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