L’économie soviétique est-elle l’horizon indépassable d’Agnès Buzyn? Il faut lire le dossier consacré au lancement de la concertation sur le zéro reste à charge pour mesurer l’incongruité économique d’une ministre probablement bonne médecin, mais totalement incompétente sur les questions de protection sociale. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie dirigiste prônée par Marisol Touraine avant elle. Au détriment de la qualité des soins, bien entendu.
En son temps, Marisol Touraine avait endossé la doctrine funeste de ses services ministériels avec une loyauté confondante. Pour faire baisser le prix des lunettes (dont l’essentiel du coût repose sur les organismes complémentaires, rappelons-le), elle avait plafonné leur remboursement… Le raisonnement de l’époque soutenait que le prix de l’optique s’expliquait essentiellement par la « solvabilisation » des assurés du fait de remboursements trop élevés par les complémentaires.
Donc, pour faire baisser les prix, on faisait baisser les remboursements en leur fixant un plafond en euros et en durée.
L’objectif est de diminuer le renoncement aux soins pour des raisons financières et d’améliorer l’accès à des dispositifs qui répondent à un enjeu de santé important : ainsi, seules 30% des 6 millions de personnes malentendantes sont aujourd’hui appareillées ; l’objectif est d’améliorer le taux d’équipement, avec un objectif à moyen terme entre 40 et 45 % de personnes appareillées. Le projet répond donc à une double ambition sociale et de santé. Il ne devra pas peser sur l’évolution des tarifs des assurances complémentaires, au-delà de l’évolution tendancielle observée des tarifs
L’échec du plafonnement des tarifs
Résultat de cette politique malthusienne (voir le tableau ci-dessus): les tarifs ont baissé d’environ 1 point en trois ans! et les lunettes continuent à coûter en moyenne 425 euros, pour un remboursement maximal d’environ 300 euros. Voilà ce qu’on appelle un flop!
Sans surprise, en effet, les restes à charge en matière d’optique ne baissent pas. Et le renoncement aux soins pour des raisons financières non plus. C’est bizarre, puisqu’on a plafonné les remboursements… On ne pouvait vraiment pas s’y attendre…
Une fois de plus, la réalité a infligé une sévère leçon aux idéologues de la fonction publique, convaincus qu’une société peut entièrement reposer sur des obligations réglementaires et des interdits. On ne pouvait pas mieux illustrer l’absurdité des réflexes administratifs.
Buzyn persévère dans l’erreur
Comme Agnès Buzyn est du genre médecin à l’ancienne (elle sait tout, puisqu’elle est médecin, et elle ne peut se tromper, puisqu’elle est médecin), elle a décidé d’imposer la vérité des services ministériels envers et contre tout. Alors qu’il est évident que la politique consistant à réglementer et à imposer ne fonctionne pas, elle semble bien décidée à la continuer jusqu’au bout.
D’où cette idée extravagante d’imposer des prestations médicales avec zéro reste à charge, financées par les organismes complémentaires qui sont en même temps appelés à ne pas augmenter leurs tarifs. Mais, évidemment, on ne remet pas en cause le plafonnement des remboursements.
Autrement dit, les organismes complémentaires sont sommés de rembourser la totalité des frais médicaux dont le remboursement est officiellement plafonné… Et dans le même temps, les tarifs des organismes complémentaires doivent stagner. Mais pourquoi Agnès Buzyn ne propose-t-elle pas de fixer les prix des yaourts par décret, tant qu’elle y est? En interdisant, cela s’entend, aux commerçants de gagner de l’argent en les vendant.
Vers une économie soviétique de la santé
On comprend bien la logique qui est à l’oeuvre derrière ces projets farfelus: il faudrait que les organismes complémentaires (dys)fonctionnent selon les mêmes principes qui envoient la sécurité sociale dans le mur. Une bonne nomenclature de tarifs obligatoires, un marché entièrement réglementé, et des déficits à la clé, financés par le contribuable. On s’étonnera quand même de ce manque évident d’imagination à l’ère macronienne du renouvellement.
À moins bien sûr qu’il s’agisse non pas de soigner, mais de redistribuer pour capter des voix aux prochaines élections. Ce fameux calcul qui explique pourquoi la sécurité sociale marque si peu d’intérêt pour rembourser rapidement des médicaments innovants qui peuvent sauver quelques vies.