Attention aux mentions de la convention collective sur le bulletin de paie si elle sont erronées

Cet article est issu du site du syndicat de salariés CFDT

 

Si le principe établit que la mention d’une convention collective sur le bulletin de paie vaut présomption de son application au salarié concerné, l’employeur peut toujours en apporter la preuve contraire. Dès lors que la mention de la convention sur le bulletin de paie est erronée et que l’employeur ne l’a jamais appliquée volontairement, le salarié ne peut en demander le bénéfice. Voici la précision apportée cet été par la Cour de cassation. Cass.soc.12.07.18, n°17-14699. 

  • Les faits

Un chirurgien-dentiste demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes. A ce titre, il réclame notamment un rappel de salaire sur le fondement de la convention collective nationale de la Mutualité Française. Et pour cause : il s’agit de la convention collective mentionnée sur son bulletin de paie. Selon lui, sa rémunération, calculée sur la base de 25 % du chiffre d’affaires, ne correspond pas à la rémunération conventionnelle à laquelle il pourrait prétendre. 

A l’appui de sa demande, le salarié rappelle en effet le principe selon lequel la mention d’une convention collective sur le bulletin de paie vaut présomption de son application, à moins que l’employeur n’en apporte la preuve contraire

Malheureusement, les juges du fond ne suivent pas son raisonnement. Ils considèrent au contraire que le salarié ne peut prétendre à l’application de cette CCN de la Mutualité. D’une part, parce que cette convention collective n’était pas applicable à l’entreprise, d’autre part, parce que cette dernière ne l’avait jamais appliquée. Par ailleurs, quand bien même l’entreprise appliquait le régime de protection sociale des chirurgiens-dentistes, elle ne le faisait qu’en application de dispositions légales ou règlementaires, et non en application de la CCN visée. Pour la cour d’appel, la mention de la CCN sur le bulletin de paie procédait bien d’une erreur de l’employeur. 

Le salarié décide de se pourvoir en cassation. 

 

  • L’intitulé de la convention collective, une mention obligatoire du bulletin de paie

Le bulletin de paie doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires. Au nombre de celles-ci, on compte la mention de la convention collective de branche applicable dans l’entreprise. Encore faut-il qu’une convention collective soit applicable, car il arrive qu’il n’y en ait pas ! Dans ce cas, le bulletin de paie doit au moins comporter la référence au Code du travail pour les dispositions relatives à la durée des congés payés du salarié et à la durée du préavis en cas de rupture du contrat de travail (1). 

Pendant longtemps, les juges ont considéré que le fait de ne pas informer le salarié de la convention collective applicable causait nécessairement à celui-ci un préjudice, ce qui lui permettait de demander des dommages-intérêts à ce titre (2). Mais cette jurisprudence a par la suite évolué et depuis 2016, le salarié doit apporter la preuve que l’absence de mention de la convention collective applicable lui a causé un préjudice pour obtenir une indemnisation (3). 

Mais que se passe-t-il lorsque le bulletin de paie mentionne bien une convention collective et que celle-ci n’est pas appliquée par l’employeur

 

  • Quelle est la valeur de la mention d’une CCN au bulletin de paie ?

Revenons à notre affaire : ici, il n’est pas question de l’absence de mention sur le bulletin de paie, puisque celui-ci renvoie bien à une CCN. La question est de savoir s’il peut réclamer l’application de la CCN y figurant

Selon une jurisprudence constante, la CCN inscrite au bulletin de paie est présumée être applicable au salarié, à moins que l’employeur n’en apporte la preuve contraire. L’employeur peut par exemple démontrer qu’il s’agit d’une erreur… 

C’est précisément ce qu’a avancé l’employeur. 

Il faut toutefois rappeler qu’un employeur a également la possibilité d’appliquer volontairement une convention collective autre que celle dont il relève en principe (4). Dans cette hypothèse, le salarié peut toujours demander l’application de la CCN dont il relève de droit, notamment des dispositions plus favorables. 

 

En cas de mention d’une CCN sur le bulletin de paie et de litige quant à son application, le juge doit donc rechercher si l’employeur a volontairement décidé d’appliquer une convention collective à laquelle il n’était pas de droit rattaché. 

Or en l’espèce, l’employeur démontre d’une part qu’il n’a pas appliqué les dispositions conventionnelles relatives à la rémunération, puisque le salarié est rémunéré sur la base d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires, et non en fonction du statut et de la grille conventionnelle revendiqués. Ce qu’il fonde d’ailleurs en fournissant des fiches mensuelles d’appointement. 

Qui plus est, il avance que, pour lui, le fait d’appliquer le régime de protection sociale complémentaire de la mutualité aux chirurgiens-dentistes ne procédait pas de sa volonté d’appliquer cette convention, mais découlait de la possibilité de bénéficier de l’exonération de charges sociales sur sa contribution. 

Pour résumer, il n’a jamais prétendu appliquer volontairement cette CCN, dont la mention sur le bulletin de paie résultait d’une erreur de sa part ! 

La Cour de cassation approuve : après avoir rappelé que la mention d’une convention collective sur le bulletin de paie vaut présomption de son application à l’égard du salarié concerné, l’employeur est admis à en apporter la preuve contraire. Elle approuve ensuite les juges du fond d’avoir estimé que la convention collective mentionnée sur la fiche de paie « ne lui était pas applicable et qu’elle n’avait jamais été appliquée volontairement par l’employeur ». « Le salarié ne pouvait (donc) pas prétendre à son bénéfice ». 

Cette solution ne surprend pas vraiment, puisque qu’elle est conforme à l’évolution jurisprudentielle. Elle aurait certainement été tout autre si l’employeur avait appliqué durant plusieurs années une convention collective qui n’était pas la bonne. 

(1) Art R.3243-1,3° C.trav.(2) Cass.soc. 19.05.10, n°09-40265.(3) Cass.soc. 17.05.16, n°14-21872.(4) Cass.soc. 13.03.13, n°12-12824 : “la volonté claire et non équivoque de l’employeur d’appliquer une convention collective peut résulter des mentions sur le bulletin de paie et du calcul des primes d’ancienneté conformément aux modalités prévues par cette convention“. 

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