Assurance-maladie: la Cour des Comptes veut accélérer l’étatisation de la santé

La Cour des Comptes vient de rendre un important rapport sur l’avenir de l’assurance-maladie. Au diagnostic sombre qui est dressé sur notre système de protection sociale obligatoire, la Cour propose des remèdes étatistes. Il est pourtant urgent d’ouvrir un débat de fond sur le modèle de société que nous voulons vraiment…

On reconnaîtra à la Cour des Comptes le mérite d’avoir replacé le déficit systémique de l’assurance maladie dans son histoire. Comme le rappelle la Cour, à sa création en 1945, l’assurance maladie gérait essentiellement des indemnités journalières. La physionomie de cette assurance sociale est aujourd’hui bouleversée, puisque l’essentiel de sa dépense est directement lié à l’étatisation de la santé: remboursements de soins hospitaliers (souvent publics) et des consultations médicales constituent les gros morceaux d’un dispositif qui transfère plus de 10% du PIB chaque année.  

Les faiblesses de ce système sont très bien épinglées par la Cour. La dépense augmente, et l’intelligence unique de l’assurance maladie peine à les modérer, et surtout à les rendre plus efficientes. D’où, une machinerie complexe, extrêmement coûteuse, aux performances incertaines. 

La fin du “meilleur système du monde”

Il fut un temps encore récent où la sécurité sociale était présentée, au moins dans le domaine de la santé, comme le meilleur système du monde. La lecture du rapport de la Cour ramène ces vieux souvenirs à un modelé plus contemporain et moins rose.  

En plus de deux cents pages, la Cour égrène les points de faiblesse d’un système qui paraît incontrôlable aujourd’hui. Non seulement, la réforme des hôpitaux est ingérable, mais la médecine de ville est devenue un mille-feuilles administratif impossible à piloter. 

En réalité, c’est le procès de la gouvernance qui est dressé par la Cour. Et le problème de la gouvernance n’est pas celui des hommes qui la font, mais son principe même. Une énorme machinerie de plus de 200 milliards € avec plus d’un million de salariés sous-traitants ne peut être structurellement performante.  

La nécessaire mise en question d’un modèle

N’importe quel esprit responsable ne peut en effet qu’interroger avec discernement la viabilité d’un édifice aussi complexe et dépourvu de concurrence. Alors que tous les autres pays européens ont introduit de la concurrence dans leurs dispositifs pour améliorer la performance de leur santé publique, la France s’arc-boute sur un modèle sclérosé qui tend asymptotiquement à un immense monopole d’État.  

Il semble salutaire aujourd’hui d’interroger cette étatisation de la santé aussi massive que l’étatisation de l’éducation. De même que l’enquête PISA montre année après année, l’implosion en cours du système éducatif français, dans l’indifférence manifeste de nos élites, la Cour des Comptes dresse un constat photographique du naufrage sanitaire français. Deux politiques publiques, un même mal, un même échec. 

De ce naufrage, le quasi-consentement collectif fabriqué par la bien-pensance sur le rationnement des traitements contre le cancer donne un parfait exemple de la singularité française dans ce domaine. Tout se passe comme si, au-delà de l’intérêt sanitaire des Français, il existait un enjeu politique majeur à préserver une forme d’assurance sociale dont les limites sont devenues évidentes. Et tout se passe comme si la préservation de ce système politique passait avant la santé des assurés.  

Le paradoxe de la Cour des Comptes

On s’étonnera ici que la Cour des Comptes n’ait pas pris l’initiative de poser les questions qui fâchent. Ainsi, la Cour déplore l’immobilisme de l’assurance maladie (et du gouvernement) en matière de médecine de ville et de restructuration des hôpitaux.  

Elle en conclut cette idée étrange (page 64): 

Pour y parvenir, il est nécessaire de renforcer les moyens d’action des ARS qui se sont affaiblis ou n’ont pas été utilisés à hauteur de ce qui serait nécessaire comme l’a montré la Cour. La planification des soins, qui souffre de l’absence de chiffrage et de précision dans ses objectifs, doit être renforcée, en lui fixant des cibles explicites et chiffrées sur la base d’une réflexion nationale sur l’adaptation des moyens aux besoins de soins. 

 

Et un peu plus loin: 

Les normes de fonctionnement et seuils d’activité doivent s’inscrire plus clairement dans une logique de concentration et de graduation de l’offre de soins en fonction de l’état de santé et des besoins des patients de manière à mieux garantir la qualité et la sécurité des prises en charge. 

 

Autrement dit, là où la centralisation et l’étatisation sont devenus des handicaps qui mettent le système en péril, la riposte doit passer par… plus d’étatisation et plus de centralisation. Soit aggraver le mal pour mieux le soigner. 

On nous permettra d’être sceptique.  

L’État fait-il un bon assureur santé?

Reste que la question fondamentale est tenace et têtue. L’État fait-il un bon assureur santé? Est-il “équipé” pour exercer ce métier? 

Le paradoxe de la Cour des Comptes est évidemment d’énumérer avec rigueur tous les défauts, toutes les faillites de l’État dans ce rôle, tout en proposant de le renforcer. On comprend les présupposés idéologiques qui poussent les magistrats à ne pas poser la question qui gêne. Mais pourtant, il faut bien un jour se rendre aux évidences et avoir le courage de dire que l’État est nu.  

Sur le fond, il existe pourtant un problème qu’on ne pourra éternellement esquiver. Le métier d’assureur suppose un management efficace du risque, qui passe par un savant mixte entre prévention, mitigation, acceptation et transfert. Aujourd’hui, la sécurité sociale est essentiellement un organisme de transfert du risque (d’où la phrase si souvent entendue dans le métro: “j’ai cotisé, donc j’ai droit à des arrêts maladie en échange de mes cotisations”), qui pratique peu la prévention et proclame ouvertement son absence de recours à la mitigation.  

Ainsi, la théorie populiste du “zéro reste à charge” vise bien à faire croire que la santé est un “guichet ouvert” à utiliser sans modération et sans discernement. C’est le contraire même du métier d’assureur que de mettre cet objectif en avant. 

Face à ces contradictions insolubles, le bon sens revendique aujourd’hui de mettre en question la légitimité de l’État pour s’occuper de notre santé.  

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