Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés FO.
Tous les salariés exposés à l’amiante et présentant un risque élevé de tomber malade pourront demander réparation pour préjudice d’anxiété, selon un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril. Mais c’est à eux d’apporter la preuve de leur exposition à l’amiante il y a de nombreuses années, une mission quasi impossible selon FO.
C’est révoltant, on fait miroiter aux gens une indemnisation que peu auront, car les critères sont très, très restrictifs, lâche Jean Paoli, membre FO du conseil de surveillance du fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Fcaata).
Un salarié qui a été exposé à l’amiante au cours de sa carrière, et qui n’est pas malade mais présente un risque élevé de développer une maladie grave, peut demander réparation en justice pour préjudice d’anxiété. Il s’agit d’indemniser l’inquiétude permanente dans laquelle les plonge le risque de développer une maladie liée à l’amiante, selon un communiqué de presse de la Cour de cassation.
Jusqu’à présent, la haute juridiction avait limité la recevabilité des demandes aux salariés ayant travaillé dans des établissements précis, répertoriés par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, qui leur ouvre également droit à la préretraite amiante. Il s’agit notamment de sites de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, d’établissements de flocage ou de la construction et réparation navales.
10 000 euros de dommages et intérêts
Le 5 avril, dans un revirement de jurisprudence, l’assemblée plénière de Cour de cassation a rendu un arrêt qui élargit la possibilité de demander réparation en justice à tous les salariés exposés à l’amiante au cours de leur carrière, quel qu’ait été leur employeur.
La Cour avait été saisie du cas d’un ancien salarié d’une centrale thermique d’EDF qui demandait réparation pour avoir inhalé des fibres d’amiante entre 1973 et 1988. Même si l’entreprise ne figure pas parmi les sites ouvrant droit à la préretraite amiante, le 29 mars 2018, la cour d’appel de Paris lui avait accordé, ainsi qu’à 107 de ses collègues, 10 000 euros de dommage et intérêt. EDF s’était alors pourvu en cassation.
L’assemblée plénière a été saisie pour un réexamen complet de la question. Son revirement de jurisprudence, qui pourrait selon l’arrêt bénéficier à de nombreux salariés qui ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé, est une avancée sur le papier. Mais les conditions requises pour en bénéficier en limitent grandement la portée.
100 000 morts d’ici 2050
En effet, c’est au travailleur d’apporter la preuve de son exposition. L’arrêt précise que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés par la loi. L’employeur, de son côté, pourra s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir bien appliqué toutes ses obligations en matière de sécurité et protection de la santé du salarié.
C’est particulièrement tordu, poursuit Jean Paoli, également membre du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Ça pourrait permettre de toucher un vaste public avec une exposition ancienne dans le BTP, chez les dockers, des gens qui ont manipulé de l’amiante et ne le savaient pas. Mais comment retrouver des preuves sans l’avoir su ? Et faire des recherches dans des entreprises qui ont disparu, avec des dossiers médicaux qui sont enterrés depuis longtemps, c’est très compliqué. Les avocats vont s’emmancher dedans, mais il n’y aura pas beaucoup de gagnants.
L’amiante est interdit en France depuis 1997. Mais des dizaines d’années peuvent s’écouler entre l’exposition et le déclenchement des premiers symptômes. Entre 15 000 et 20 000 demandes d’indemnisation sont encore déposées chaque année. L’institut de veille sanitaire estimait en 2014 que l’amiante pourrait provoquer jusqu’à 100 000 décès en France d’ici à 2050.