Cet article provient du site du syndicat CFDT.
Dans un arrêt du 12 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme est venue préciser que le régime spécifique d’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) n’est pas discriminatoire. CEDH, 12.01.17, requête n° 74734/14.
• Les faits Suite à l’exposition à un agent chimique durant ses fonctions, une salariée a contracté une maladie reconnue comme maladie professionnelle causée par la faute inexcusable de l’employeur.La salariée victime a demandé une indemnisation intégrale de ses préjudices. Bien qu’une rente lui ait été attribuée et majorée suite à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, aucune indemnisation de l’ensemble de ses préjudices ne lui a été accordée, que ce soit par la CPAM, le tribunal des affaires de Sécurité sociale, ou encore la cour d’appel. La victime a alors formé un pourvoi en cassation, qui a confirmé l’arrêt de la cour d’appel.Usant d’un ultime recours, la requérante a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour faire reconnaître le caractère discriminatoire de cette différence de traitement avec les victimes de fautes relevant du droit commun. La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) est la juridiction du Conseil de l’Europe situé à Strasbourg. Elle est compétente pour tout recours formé par un particulier ou un Etat et qui porte sur la violation d’une disposition de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Sa saisine par un particulier ne peut intervenir qu’après épuisement de toutes les voies de recours internes. • Les griefs et fondements invoquésDans sa requête, la salariée dénonce le fait que, contrairement aux victimes de fautes relevant du droit commun (régime de la responsabilité civile délictuelle issu du nouvel article 1240 du Code civil), les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles dus à une faute de l’employeur ne peuvent obtenir la réparation intégrale de leur préjudice.Pour appuyer sa demande et pour faire reconnaître le caractère discriminatoire de cette différence de traitement avec les individus victimes de fautes relevant du droit commun, la requérante se fonde sur :- l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction de discrimination ;- combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1 sur la protection de la propriété. Dans cette affaire, la requérante se réclamait titulaire d’une créance. • Le régime spécifique des accidents du travail et des maladies professionnelles reconnu comme non discriminatoireLe droit français a institué un régime spécifique de prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles. Selon ce régime, les salariés victimes sont dédommagés automatiquement par la Sécurité sociale. Toutefois, dans le cas d’un dommage causé par une faute inexcusable de l’employeur, et indépendamment de la majoration de rente, la victime a le droit de demander en justice une réparation complémentaire « du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle » (1).
Pour examiner s’il existe ou non une situation discriminatoire, les juges de Strasbourg rappellent que « seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable (« situation ») sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l’article 14 de la Convention. En outre, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables »(2).
Or, pour les juges, les salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle causé par la faute de l’employeur ne se trouvent pas dans des situations analogues ou comparables à des victimes de dommages corporels ou d’atteintes à la santé causés par la faute d’une personne qui n’est pas leur employeur. En effet, le régime spécifique de responsabilité en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle est différent du régime de droit commun (issu du Code civil) car « il ne repose pas sur la preuve d’une faute et d’un lien de causalité entre celle-ci et le dommage causé, et sur l’intervention d’un juge, mais repose sur la solidarité et l’automaticité »(3). De plus, la réparation du préjudice causé par la faute inexcusable de l’employeur intervient « en complément de dédommagements automatiquement perçus par la victime, ce qui singularise là aussi la situation par rapport à la situation de droit commun »(4).
Par conséquent, la situation d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle étant différente de celle d’une personne victime d’un dommage qui se produit dans un autre contexte, il n’y a pas eu de discrimination, et donc pas de violation de la Convention européenne des droits de l’HommeLa décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme ne nous semble pas surprenante. En effet, les deux régimes de responsabilité (de droit commun et spécifique en cas d’AT/MP) ne sont pas les mêmes. La victime salariée sera systématiquement indemnisée (par l’allocation d’un capital ou d’une rente) dès lors que l’accident ou la maladie a été reconnue d’origine professionnelle. Elle pourra également recevoir une réparation complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur.
________________________________________(1) Art. L.452-3 du Code de la Sécurité sociale.(2) Paragraphe 51 de l’arrêt.(3) Paragraphe 61 de l’arrêt.(4) Paragraphe 63 de l’arrêt.