Ce communiqué provient du site de la Mutualité française.
L’épidémie de Covid a mis à nu les faiblesses et les dysfonctionnements de notre système de santé, dont les besoins étaient pourtant identifiés de longue date. Ces besoins questionnent la soutenabilité de notre modèle social au moment où il doit faire face à des enjeux de grande ampleur : démographiques, numériques, environnementaux. Alors que notre modèle social est en quête de moyens, de vision et de souffle démocratique, il nous faut nous détourner des polémiques inutiles, de toutes tentatives d’instrumentalisation politique. Car les questions qui s’imposent aujourd’hui à notre société méritent des réponses élaborées collectivement et sereinement, avec comme horizon des solutions au bénéfice de l’intérêt général.
Au quotidien, les Français sont confrontés à des difficultés pour se soigner. Déserts médicaux, allongement des délais pour obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste ou spécialiste, crise profonde de l’hôpital soumis à de dramatiques difficultés de recrutement, prise en charge insuffisante de la perte d’autonomie alors que le vieillissement de la population appelle des réponses ambitieuses : voilà les principaux enjeux, immédiats, prioritaires, en matière d’accès aux soins.
Notre système de santé semble pris au piège d’ornières dont il ne peut se dégager depuis trop longtemps. La complémentarité entre les soins de ville et le secteur excessivement sollicité de l’hôpital paraît insuffisante. Le système est exagérément polarisé autour des soins au détriment de la prévention. Sa capacité d’adaptation et de réactivité est amoindrie par la croyance dans la toute-puissance d’un Etat central qui intervient au détriment du formidable potentiel des acteurs de terrain : collectivités locales, associations de patients, professionnels de santé, partenaires sociaux, complémentaires santé… Les gouvernements successifs, face à la hausse des dépenses de santé sous le poids du vieillissement de la population, du développement des maladies chroniques et du progrès technique, ne trouvent que des solutions comptables – ou le recours à la dette sociale – pour masquer temporairement les déficits qu’ils génèrent structurellement.
Face à ces difficultés, comment rénover l’organisation du système de santé ? Quelle offre de premier recours doit-on mettre en œuvre au regard des difficultés d’accès aux soins des patients dans certains territoires, des parcours à bâtir et des aspirations légitimes des professionnels de santé à une vie plus équilibrée ? Et, plus globalement, la santé ne doit-elle pas se diffuser au sein de toutes les politiques publiques, de façon transversale ? Car c’est bien un changement de paradigme que nous devons opérer, avec le bien-être physique, psychique, social et environnemental comme horizon. L’enjeu de la dégradation de l’environnement et du changement climatique, dont la crise du Covid confirme l’évidence, est central. Car la dégradation de l’environnement devrait accroître son impact sur la santé dans les prochaines années, comme elle devrait fragiliser le mode de financement de la protection sociale, aujourd’hui dépendant de la croissance économique.
A court terme, le système de protection sociale sera confronté à l’accélération des dépenses de santé, et à plus long terme aussi si rien n’est fait pour agir structurellement sur les déterminants de la santé. Dès lors quels moyens doit-on déployer pour renforcer la place de la prévention et de la santé publique afin d’améliorer l’état de santé général de la population, faire refluer les fortes inégalités sociales en santé et agir sur le niveau des affections de longue durée auquel nous serons confrontés du fait de facteurs environnementaux et du vieillissement de notre population ?
Par ailleurs, la question générationnelle met notre modèle de protection sociale face à un triple enjeu. Au moment où dans notre jeunesse s’exprime un mouvement de défiance à l’égard des institutions, notamment politiques, comment, avec elle, retrouver le fil de la vie démocratique, y compris dans le domaine de la protection sociale ? Quels sont les leviers qui leur permettraient de s’émanciper pleinement ? Le deuxième enjeu générationnel est lié au vieillissement de la population. Cette évolution tendancielle affecte d’ores et déjà notre système de santé et de retraite, et a commencé à accentuer nos besoins en matière de perte d’autonomie. Il faut donner à la prise en charge de la perte d’autonomie les moyens financiers que sa mission réclame et compléter le socle que la cinquième branche de Sécurité sociale doit constituer par la généralisation d’une couverture assurantielle dépendance couplée à la complémentaire santé. L’épargne retraite est également un outil à promouvoir. Comment, enfin, empêcher que les générations ne s’opposent alors que les transferts sociaux sont et seront majoritairement dirigés vers les personnes âgées ? Et quels sont les dispositifs à mobiliser pour éviter que des retraités, aux revenus limités, n’éprouvent des difficultés grandissantes face à certaines dépenses de santé ? Répondre à ces questions complexes passe assurément par une réflexion sur le périmètre de protection et sur une meilleure couverture de toute la population en prévoyance, notamment durant la vie active. Mal appréhendés, ces risques liés à la prévoyance ont en effet des conséquences très pénalisantes sur le quotidien des français.
Au regard de l’ensemble de ces enjeux, réunir l’ensemble des acteurs du monde de la santé et de la protection sociale serait une première étape nécessaire. En effet, depuis le compromis des « jours heureux », à l’issue de la seconde guerre mondiale, sans réel débat démocratique, la protection sociale a évolué, dans son essence, sa gouvernance et son financement. Quels moyens pouvons-nous mobiliser pour repenser et refonder un large compromis susceptible de redonner du sens à la protection sociale, de réinstaurer la confiance et responsabiliser l’ensemble des protagonistes pour un système protecteur, soutenable et compréhensible ? Alors que des groupes sociaux ayant des conceptions du monde différentes ont toujours plus tendance à s’opposer plutôt qu’à s’accorder, la démocratie en santé revêt un caractère central et pourrait constituer un levier indispensable pour concevoir des transformations systémiques à la hauteur des enjeux et établir les conditions de leur mise en œuvre. Pour éviter de nouvelles ruptures d’égalité dans l’accès aux droits, pour permettre aux acteurs d’innover, les conditions d’utilisation des données de santé pourraient être largement débattues.
Ces réflexions sont guidées par la conviction que les problématiques structurelles de notre système de protection sociale ne sont pas inéluctables et par la volonté de rechercher collectivement un ensemble de solutions pour :
- promouvoir une culture de santé publique et de prévention,
- préserver un accès aux soins pour tous,
- restaurer une industrie de santé innovante,
- prendre en charge de la perte d’autonomie,
- soutenir financièrement la sécurité sociale à long terme, dans un cadre renouvelé et pluriannuel de gouvernance,
- valoriser les données au service de tous ces enjeux.
La période récente a mis en lumière les empêchements existants auxquels font face les différents acteurs pour construire les solutions qui répondent aux enjeux démographiques, numériques et environnementaux. Pour transformer tous ces défis en autant d’opportunités, la voie à privilégier est celle de la démocratie en santé, qui permettra de concevoir les évolutions à conduire collectivement, en concertation, en renforçant la participation de l’ensemble des parties prenantes.