Ce communiqué provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Par un arrêt en date du 26 janvier 2022, la Cour de cassation retient que le seul dépassement de la durée maximale hebdomadaire fixée à 48 heures cause nécessairement un préjudice au salarié. Cass.soc. 26.01.22, n°20-21636.
À l’origine du contentieux : une action de l’employeur, une demande reconventionnelle du salarié
Cette affaire concerne un salarié embauché en qualité de chauffeur-livreur qui voit son contrat de travail rompu par l’employeur au cours de la période d’essai. L’affaire aurait pu s’en arrêter là, comme c’est bien souvent le cas lors d’une rupture de période d’essai. Mais, chose particulièrement « anecdotique » : ce n’est pas le salarié, mais l’employeur qui croit bon, après avoir mis fin à la période d’essai, de saisir le conseil de prud’hommes ! Il réclame entre autres le remboursement de salaires trop-perçus et le paiement de dommages-intérêts…
En guise de réponse, le salarié décide de former une demande reconventionnelle pour obtenir le versement de dommages et intérêts en raison du préjudice causé du fait du dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail.
L’histoire ne dit pas si l’employeur a obtenu gain de cause sur ses demandes. Le salarié, en revanche, oui ! Mais uniquement après s’être pourvu en cassation.
En effet, les juges d’appel, après avoir constaté que la durée maximale de 48 heures avait été dépassée sur une semaine donnée, l’avaient débouté de sa demande de dommages et intérêts. Pour eux, le salarié n’apportait pas d’éléments permettant de démontrer en quoi ce dépassement lui aurait porté préjudice.
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a donc dû répondre à la question de savoir si le salarié doit, ou non, faire la démonstration du préjudice subi lorsque la durée maximale hebdomadaire de 48 heures a été dépassée.
Le dépassement de la durée hebdomadaire de 48 h cause nécessairement un préjudice au salarié
Pour commencer, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article L3121-35 du Code du travail (dans sa version antérieure à la loi 2016-1088 du 8 août 2016)(1), interprété à la lumière de la directive n°2003/88/CE, que la durée du travail ne peut dépasser 48h au cours d’une même semaine.
Puis elle se livre à une analyse du droit européen, et plus particulièrement de la jurisprudence de la CJUE sur le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail pour rappeler que cette dernière :
- considère que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée par la directive précitée constitue en tant que tel une violation de la règle sans qu’il n’y ait besoin, pour le travailleur, de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique ;
- avait pour objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs en leur permettant de prendre un repos suffisant, et en déduit que le dépassement de la durée moyenne maximale, qui prive le travailleur de ce repos, lui cause de ce seul fait un préjudice, car il est porté atteinte à sa sécurité et sa santé ;
- fait peser sur les États la charge de déterminer comment doit se réparer le préjudice du fait de la violation des dispositions de la directive, via l’octroi d’un temps libre supplémentaire ou l’octroi d’une indemnité financière.
Assez logiquement, compte tenu de la jurisprudence européenne, mais aussi des objectifs de protection des travailleurs poursuivis par les textes précités, la Cour de cassation retient que « le seul constat du dépassement de la dure maximale de travail ouvre droit à réparation ».
Cette décision trouve selon nous à s’appliquer sans discussion aux textes en vigueur depuis loi 2016-1088 du 8 août 2016.
Une indemnisation du salarié facilitée ?
Cet arrêt de la Cour de cassation est une bonne nouvelle pour le salarié : dès lors que le dépassement est constaté par les juges, l’indemnisation du salarié est de droit ! Dans l’absolu, il n’a pas besoin de faire la démonstration d’un quelconque préjudice pour prétendre à une indemnisation…
En pratique toutefois, il est évident que si le salarié entend obtenir des dommages et intérêts à la hauteur du préjudice, il sera judicieux pour lui d’apporter au juge quelques éléments de chiffrages ou bien encore des explications concrètes quant à l’ampleur de ce préjudice.
Mais surtout, nous constatons que quelques jours auparavant, la Cour de cassation avait rendu un arrêt sur un sujet totalement différent : l’atteinte au droit à l’image, dans laquelle elle reconnaît là aussi que la seule constatation de son atteinte ouvre droit à réparation (2).
Ne s’agirait-il pas ici d’un retour du préjudice nécessaire auquel la Cour de cassation avait mis un sérieux frein depuis un arrêt de 2016 (3), frein confirmé depuis ?
[1] Devenu l’article L. 3121-20 C.trav.
[2] Cass.soc. 19.01.22, n°20-12420 et 421
[3] Cass.soc. 13.04.16, n°14-28293