Le défaut de date de conclusion de CDD n’entraîne pas la requalification en CDI

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT

 

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation est venue préciser les conditions dans lesquelles un CDD pouvait être requalifié en CDI, sanction tant redoutée des employeurs. Si la jurisprudence a souvent étendu le champ de cette sanction à diverses omissions de l’employeur, elle en définit cette fois-ci les limites. Elle considère que dès lors que la date de conclusion du contrat ne figure pas au titre des mentions obligatoires prévues par le Code du travail, le défaut de cette mention ne peut entraîner la requalification du CDD en CDI. Cass.soc.20.12.17, n°16-25251. 

  • Les faits

Durant plusieurs années, une salariée a travaillé pour le compte d’une célèbre enseigne de bricolage dans le cadre de CDD. Pour être tout à fait précis, entre 1995 et 2010, elle a signé pas moins de 25 contrats. En 2013, la salariée saisit le Conseil de prud’hommes afin de demander la requalification de ses CDD en CDI. Au-delà de la copieuse succession de contrats, qu’elle estime en réalité liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, la salariée avance le fait qu’à compter du mois de mars 2001, ses CDD n’ont plus été datés. L’entreprise ne pouvait donc pas, selon elle, prouver qu’elle lui avait bien transmis les contrats écrits dans les 2 jours, comme le prévoit le Code du travail (art.L.1242-13 C.trav.). 

La société se défend en faisant valoir que, d’une part, le Code du travail n’impose pas de faire figurer la date de conclusion dans les CDD, et d’autre part, que la seule obligation à sa charge est de les transmettre au salarié dans les 2 jours suivants l’embauche, ce qui avait été précisément le cas pour la salariée. 

Les juges du fond approuvent l’employeur : selon eux, la date de conclusion d’un CDD ne figurant pas au rang des mentions légales obligatoires, son absence ne peut pas entraîner de fait la requalification en CDI. Tout au plus, cette mention permet-elle de vérifier que le contrat n’a pas été transmis tardivement, mais là encore, les juges constatent que la salariée ne soutient même pas que cela a été le cas. Les juges déboutent donc la salariée de sa demande. Celle-ci se pourvoit en cassation et lui soumet la question suivante : 

“Le défaut de mention de la date de conclusion dans un CDD n’entraîne t-il pas la requalification du contrat en CDI dès lors qu’il ne permet pas d’établir la transmission du contrat dans les délais prescrits ?” 

 

  • Les règles applicables au CDD : un formalisme et des sanctions

Pour saisir le sens de la question, il faut avoir en tête les règles applicables en matière de CDD. En effet, la nature atypique de ce contrat précaire justifie que, pour être valable, celui-ci doit remplir un certain nombre de conditions. 

Tout d’abord, un CDD ne peut être conclu que dans des cas bien précis et limitativement énumérés par la loi (1), on dit qu’il « ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (2). 

Ensuite, le contrat doit obligatoirement être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif (3). Il doit par ailleurs comporter certaines mentions telles que le nom et la qualification de la personne remplacée (quand il s’agit d’un CDD de remplacement), la date du terme, la durée du contrat, l’intitulé de la convention collective applicable, le montant de la rémunération, etc. (4) (art. L.1242-12 C.trav). 

Enfin, le contrat doit obligatoirement être transmis au salarié, au plus tard, dans les 2 jours ouvrables suivants l’embauche (5).  

L’importance de ces formalités est telle que le Code du travail sanctionne l’absence de certaines d’entre elles par la requalification du contrat en CDI. C’est notamment le cas en l’absence de définition précise du motif, ou de défaut de contrat écrit (art. L. 1242-2, al.1). En revanche, la loi reste muette sur la sanction de l’absence ou de l’inexactitude d’une autre mention obligatoire visée à l’article L. 1242-12, al.2. du Code du travail. 

La jurisprudence a donc peu à peu étendu cette sanction de requalification à d’autres omissions telles que le nom du salarié remplacé (6) ou la durée minimale pour un contrat sans terme précis (7). Elle est même allée jusqu’à assimiler à un défaut d’écrit le défaut de transmission du contrat ou de l’avenant de renouvellement ou la transmission tardive du contrat (8), ou encore l’absence de signature du contrat par l’employeur ou par le salarié (à moins que ce dernier ait de mauvaise foi refusé de le signer (9)). 

Attention, depuis les ordonnances Macron (10), le défaut de transmission du contrat au salarié dans les 2 jours suivants l’embauche n’est plus assimilé à un défaut d’écrit et n’entraîne donc plus à lui seul la requalification du CDD en CDI ! Le salarié peut uniquement réclamer une indemnité dont le montant ne peut dépasser 1 mois de salaire (11). 

La jurisprudence a en revanche rejeté la requalification en CDI en cas de défaut de mention de la convention collective applicable (12) ou du montant de la rémunération (13). 

Qu’en est-il alors en l’absence de mention de la date de conclusion du CDD, sachant que celle-ci ne fait pas partie des mentions obligatoires visées par le Code du travail ? 

 

  • Le défaut de mention de la date de conclusion n’entraîne pas la requalification du CDD en CDI

Dans notre affaire, le raisonnement de la salariée est simple : dès lors que les CDD n’ont pas été datés, l’employeur n’est pas en mesure de prouver qu’il les a bien transmis dans les 2 jours suivants l’embauche. Or la transmission tardive d’un CDD étant (à ce moment-là) assimilée à une absence d’écrit, la salariée était en droit de demander la requalification des contrats en CDI. Cette mention était, à son sens, essentielle pour établir la preuve de la transmission du contrat dans les délais. 

La cour d’appel déboute la salariée. Elle reconnaît dans un premier temps que certaines omissions entraînent la requalification du contrat, soit en application du Code du travail (omission du motif du contrat ou de contrat écrit), soit en application de la jurisprudence (omission de la durée du contrat ou sa transmission tardive). Mais elle constate ensuite que la mention de la date de conclusion du contrat ne figure pas au rang des mentions obligatoires prévues par la loi. Son absence ne peut donc pas entraîner la requalification du CDD en CDI. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel. Elle considère « qu’après avoir énoncé que la date de conclusion du contrat ne figure pas au titre des mentions obligatoires prévues à l’article L. 1242-12 du Code du travail, la cour d’appel en a exactement déduit que le défaut de mention de la date de conclusion des contrats à durée déterminée ne saurait entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée ». 

 

  • Une décision dans la lignée de la jurisprudence constante

Cet arrêt est finalement conforme à la jurisprudence constante qui n’a jamais souhaité étendre la requalification en CDI à l’omission de toutes les mentions obligatoires devant figurer dans un CDD. Au contraire, elle a toujours fait la distinction entre les mentions jugées « essentielles » et en l’absence desquelles le contrat peut être requalifié en CDI (le nom du salarié remplacé, la durée minimale pour un contrat sans terme précis) et celles qui sont simplement destinées à l’information du salarié et dont l’absence ne suffit pas à requalifier le contrat (la mention de la convention collective applicable, le montant de la rémunération par exemple). 

Par cet arrêt, la Cour de cassation fait une interprétation littérale du Code du travail, en considérant que dès lors que la mention de la date de conclusion du contrat ne figure pas au titre des mentions légales obligatoires, le défaut de la mention ne peut entraîner à lui seul la requalification en CDI

Finalement, 3 catégories de mentions peuvent être dégagées :- la définition du motif et le contrat écrit, dont l’absence est légalement sanctionnée par la requalification en CDI ;- les autres mentions obligatoires prévues par le Code du travail, dont l’absence n’entraînera la requalification en CDI que dans la mesure où elles sont considérées comme essentielles et ne sont pas seulement informatives ;- les mentions non prévues par le Code du travail, dont l’absence ne peut entraîner la requalification. 


(1) Art L.1242-2 mod. C.trav.(2) Art L.1242-1 C.trav.(3) Art L.1242-12, al 1 C.trav.(4) Art L.1242-12, al.2 C .trav.(5) Art L.1242-13 C.trav.(6) Cass.soc.26.10.99, n°97-40894.(7) Cass.soc.28.09.05, n°03-44757.(8) Cass.soc.03.03.13, n°11-28687.(9) Cass.soc.18.04.00, n°98-40922.(10) Ordonnance n°2017-1387 du 22.09.17 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.(11) Art L.1245-1 mod C.trav.(12) Cass.soc.26.10.99, n°97-42255.(13) Cass.soc.20.05.09, n°07-43245. 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmarkClose
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

Avis d’extension d’accords régionaux (PACA) chez les OETAM du bâtiment

La ministre du travail et de l'emploi, envisage d’étendre, par avis publié le 23 novembre 2024, les dispositions de 4 accords régionaux (Provence-Alpes-Côte d'Azur) du 30 septembre 2024 relatifs aux salaires minimaux et aux indemnités de petits déplacements IPD, conclus dans le cadre des conventions collectives nationales des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées et non visées par le décret du 1er mars 1962...