Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFE-CGC.
La CFE-CGC est devenue la première organisation syndicale chez Orange. Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC Orange, décrypte ce succès et les difficultés persistantes avec la direction en matière de dialogue social.
Quelle analyse faites-vous du succès de la CFE-CGC aux élections CSE d’Orange de décembre dernier ?Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte : coté au CAC 40, le Groupe Orange dispose en France d’un nombre de filiales très important et il héberge deux statuts : celui de fonctionnaire et celui de salarié, et ce sous une dizaine de conventions collectives. Certaines des nombreuses filiales du groupe en France en ont elles-mêmes plusieurs. Ses activités sont diverses, des télécoms traditionnelles jusqu’à la pose de câbles sous-marins via des flottes de bateaux, en passant par l’activité bancaire. C’est donc un groupe diversifié, portant un grand nombre des problématiques que l’on peut rencontrer dans le monde de l’entreprise comme l’organisation du travail bouleversée par l’irruption du numérique et la pression imposée par la dictature des marchés financiers.Sur quels périmètres portaient les élections ?Elles avaient lieu au sein de la maison-mère (plus de 80 000 personnes) mais aussi de façon concomitante dans certaines filiales comme Orange Business Service (filiale dédiée aux services d’intégration dans le domaine informatique, similaire à Atos, Cap Gemini), Business & Décision ou Orange Marine. L’ensemble des filiales représente à peu près 12 000 salariés et la maison-mère emploie 35 % de fonctionnaires et 65 % de salariés de droit privé. De façon assez atypique, les fonctionnaires participent chez Orange aux élections des CSE en vertu de la loi de privatisation de 2004 qui a étendu les prérogatives de représentation du personnel des salariés de droit privé aux fonctionnaires.
Notre programme correspond aux attentes des salariés »
Quels sont les principaux résultats à retenir ?Nous sommes en progression partout. Au sein de la maison-mère, les élections professionnelles n’ont lieu que depuis 2005 puisqu’auparavant, nous étions sous un régime dérogatoire sans CE. A cette époque, la CFE-CGC pointait à la sixième place des organisations syndicales (OS) avec un score de 2,3 %. Quatorze ans après, elle est devenue la première OS, légitimée par un fort taux de participation de 72 %.En 2005 nous ne réalisions que 1,1 % sur les fonctionnaires, aujourd’hui 16,5 %. L’arrêt de leur recrutement s’étant fait en 1997, ce n’est pas une quelconque évolution sociologique qui nous aurait favorisés. Les fonctionnaires de 2019 étaient déjà là en 2005. Nous avons su gagner leur confiance et les convaincre de voter pour vous. Notons que sur les seuls salariés de droit privé de la maison-mère, nous réalisons désormais 32,9 % tous collèges confondus.Dans les filiales, on peut citer les 48,4 % obtenus chez Orange Business Services (5 000 électeurs), les 57,5 % chez Business & Décisions (2 500 électeurs) ou encore les 49,4 % chez Orange Banque (800 électeurs), où les élections ont eu lieu un peu avant.Comment expliquez-vous cette forte dynamique de la CFE-CGC ?Nous avons proposé un programme qui correspond aux attentes des personnels. Cette élection s’est faite sur les propositions, le contenu, l’accompagnement des salariés, les services et les expertises dont nous disposons sur des sujets comme la gestion des carrières et des compétences, les activités sociales et culturelles, l’épargne salariale, l’actionnariat…La CFE-CGC d’Orange entend être une organisation force de propositions. Nous devons être dans la co-construction et non pas dans la co-gestion qui n’est que la gestion du passé et l’acceptation de ce que dit la Direction. Nous défendons aussi l’idée que le rôle d’une OS est de sortir de l’entreprise pour se préoccuper de l’écosystème de la filière. Nous allons plaider nos causes devant les ministères, les parlementaires, les collectivités locales. Nous sommes en conflit avec le régulateur (l’ARCEP) parce qu’il détruit chaque jour la filière des télécoms et ses emplois. Le secteur des télécoms a été marqué par la disparition d’Alcatel et de Sagem. Cela interroge sur la prétendue règlementation mise en œuvre depuis une vingtaine d’années. Si vous intervenez dans ces champs-là, vous rencontrez la fibre citoyenne des personnels d’un acteur incontournable de la souveraineté numérique de la nation.Pourquoi la CFE-CGC Orange n’avait-t-elle pas signé le protocole d’accord préélectoral du CSE en mai 2019 ?Pour de nombreuses raisons dont le fait que la Direction ait refusé dans ce protocole de fournir les listes d’électeurs ou de préciser le nombre de votants salariés de droit privé ou fonctionnaires. Sans ces infos, comment être certain de l’exactitude des résultats ? Comment connaître votre représentativité dans chacun des périmètres ? Autre point sensible : la Direction a retiré plusieurs centaines de cadres supérieurs, votant majoritairement pour la CFE-CGC, des listes électorales au prétexte qu’ils avaient précédemment été présidents des instances de représentation du personnel. Imaginons la même chose dans toutes les entreprises : ce sont des milliers de voix perdues pour la CFE-CGC au niveau national. Tout cela est en contestation devant les tribunaux.Je pourrais multiplier les motifs en parlant de l’organisation des CSE, des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), des représentants de proximité (RP) qui a été faite en dépit du bon sens ou du fait que la Direction a refusé qu’une partie des suppléants siègent en CSE, rendant le fonctionnement des instances très difficile. Nous avons une DRH dont le but est assurément d’affaiblir la représentation sociale et de refuser tout dialogue social constructif avec la CFE-CGC Orange, pourtant première organisation syndicale… C’est assez à contre-courant pour une entreprise du CAC 40 qui se veut digitale et humaine.
PROCÈS FRANCE TÉLECOM : RESTER VIGILANT
- Le jugement rendu le 20 décembre dernier par le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris a reconnu France Télécom, 3 de ses anciens dirigeants (Didier Lombard, PDG entre 2005 et 2010, Louis-Pierre Wenès, ex-numéro 2, Olivier Barberot, ex-DRH) et 4 collaborateurs directs (dont trois RH) des anciens dirigeants, coupables de harcèlement moral institutionnel, dix ans après une vague de suicides de salariés.
- Les 3 dirigeants ont été condamnés à un an de prison, dont 8 mois avec sursis, et 15 000 euros d’amende, les 4 complices à 4 mois avec sursis et 5 000 € d’amende, pour avoir mis en place une politique de réduction des effectifs « jusqu’au-boutiste » sur la période 2007-2008. Ils ont fait appel de leurs condamnations. France Télécom, devenue Orange en 2013, a été condamnée à 75 000 € d’amende, la peine maximale prévue. La société n’a pas fait appel.
- Dans un courrier adressé le 23 décembre au PDG d’Orange, Stéphane Richard, Sébastien Crozier (CFE-CGC Orange) a demandé expressément qu’Orange ne se substitue pas aux prévenus personnes physiques pour le paiement des indemnités civiles qui se montent à 5,7 millions d’euros. « La CFE-CGC Orange considère que notre entreprise est un bien commun et qu’elle n’a pas vocation à payer une nouvelle fois le prix de la politique de violence sociale des dirigeants de l’époque », argumente-t-il notamment.
- « Ni les victimes, ni les familles des victimes, ni les actionnaires, ni l’opinion publique ne comprendraient qu’Orange prenne en charge tout ou partie du montant des indemnités de ceux qui ont imaginé, décidé et mis en place minutieusement la crise sociale non seulement humainement dramatique mais aussi économiquement dévastatrice », peut-on lire par ailleurs dans la lettre de la CFE-CGC.