L’association de la presse judiciaire (APJ) vient de déposer une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme contre la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Indépendamment du fond de la requête, la question de sa recevabilité se pose in limine litis à l’aune des articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
La notion de victime ou l’intérêt à agir
L’article 34 de la Convention désigne la ou les victimes directes ou indirectes de la violation alléguée.
Ainsi, « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. (–) ».
Le requérant doit donc pouvoir démontrer qu’il a été directement ou indirectement affecté par la mesure incriminée. Les « victimes potentielles » peuvent également (dans certains cas), avoir un intérêt à agir devant la Cour européenne, ce qui fait référence à l’actio popularis. Toutefois, selon la Cour, ces requérants doivent produire des preuves plausibles et convaincantes de la probabilité de survenance d’une violation dont ils subiraient personnellement les effets ; de simples soupçons ou conjectures ne suffisent pas à cet égard.
La règle de l’épuisement des voies de recours internes
Aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
Compte tenu du rôle subsidiaire de la Cour européenne par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme, la règle de l’épuisement des voies de recours internes permet aux autorités nationales, et prioritairement aux juridictions, de prévenir ou de redresser les violations alléguées de la Convention.
Ainsi, la saisine des juges strasbourgeois en l’absence de décision judiciaire interne est une cause d’irrecevabilité de la requête.
Conclusion
Il doit être précisé que la loi déférée à la juridiction strasbourgeoise n’est entrée en vigueur que partiellement le 3 octobre 2015. Elle n’a donc produit encore aucun effet de droit sur les justiciables français. De plus, l’aval du Conseil constitutionnel ne constitue pas une « voie de recours » au sens de l’article 35, dans la mesure où les juges constitutionnels n’étaient pas saisis d’une violation des droits de l’Homme.
En conséquence, il apparaît difficile d’envisager que la Cour européenne déclare recevable la requête de l’association de la presse judiciaire et décide de l’examiner au fond. Assurément, le gouvernement soutiendra en défense, que la requérante aurait pu invoquer directement la Convention devant les tribunaux nationaux avant la saisine européenne.