Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Lorsque vous êtes déclaré inapte par le médecin du travail, votre employeur a l’obligation de vous proposer un poste approprié à vos capacités. Mais avant cela, il doit consulter le CSE et ce, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non. En revanche, si le Code du travail sanctionne le défaut de consultation des élus par un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude est professionnelle, il ne prévoit rien lorsque celle-ci a une origine non professionnelle. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation est donc venue préciser ce point. Cass.soc.30.09.20, n°19-11974.
· Les faits
Déclaré inapte par le médecin du travail, et faute de pouvoir être reclassé, un salarié est licencié pour inaptitude. Cette inaptitude ne résultant ni d’un accident du travail ni d’une maladie professionnelle, elle a donc une origine non-professionnelle. Jusque là, la situation est relativement classique.
Mais le salarié va contester cette mesure devant le conseil de prud’hommes. Selon lui, son licenciement doit êre jugé sans cause réelle et sérieuse. En réalité, ce que le salarié reproche à son employeur ce n’est pas de ne pas avoir tenté de le reclasser, car son employeur l’a fait, certes en vain… Ce qu’il lui reproche, c’est de n’avoir pas avoir recueilli l’avis des DP avant de lui proposer un poste de reclassement approprié à ses capacités.
En effet, selon lui, l’obligation de reclassement de l’employeur ne peut être considérée comme satisfaite si le CSE n’a pas été consulté préalablement à la proposition de reclassement qui lui a été faite : le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.
Un salarié débouté. Malheureusement pour le salarié, la cour d’appel ne voit pas les choses du même œil et, tout en reconnaissant que l’employeur n’a effectivement pas consulté les élus, elle estime qu’il a malgré tout satisfait à son obligation de reclassement. Autrement dit, pour la cour d’appel, en cas d’inaptitude non professionnelle le défaut de consultation préalable des DP ne rend pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qui est prévu en matière d’inaptitude d’origine professionnelle. Elle rejette donc la demande du salarié, qui se pourvoit en cassation.
· Quelles sont donc les obligations de l’employeur en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle?
Depuis le 1er janvier 2017, l’employeur est tenu de consulter le CSE préalablement à toute proposition de reclassement d’un salarié déclaré inapte et ce, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle(1) ou non professionnelle (2). Il faut savoir que jusqu’à cette date, cette consultation préalable n’était de mise que lorsque l’inaptitude avait une origine professionnelle.
Depuis le 1er janvier 2017, les dispositions du Code du travail visant l’obligation de reclassement de l’employeur en cas d’inaptitude non professionnelle ont donc été modifiées.
- L’article L.1226-2 prévoit expressément l’obligation de recueillir l’avis du CSE (ou des DP) avant toute proposition de reclassement faite au salarié.
- De son côté, l’article L.1226-2-1 précise que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail».
· Quelles sont les sanctions applicables en cas de manquement de l’employeur ?
Des sanctions prévues pour l’inaptitude professionnelle seulement. Le Code du travail ne prévoit expressément de sanctions que lorsque l’inaptitude a une origine professionnelle (ce qui explique le raisonnement de la cour d’appel) : dans ce cas, le défaut de consultation des élus rend effectivement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et est sanctionné par une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire (3).
En d’autres termes, la consultation préalable des élus constitue une formalité substantielle lorsque l’inaptitude a une origine professionnelle.
En revanche, le Code du travail ne prévoit pas la sanction applicable au défaut de consultation préalable du CSE lorsque l’inaptitude a une origine non professionnelle.
Dans notre affaire, la Cour de cassation va donc se montrer beaucoup plus exigeante que la cour d’appel en interprétant de manière stricte le Code du travail : « La méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie dont celle imposant à l’employeur de consulter les délégués du personnel [conditions prévues à l’article L.1226-2], prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ».
Peu importe même que l’employeur ait par ailleurs complètement satisfait à son obligation de reclassement, il suffit qu’il ait omis de consulter en amont le CSE (ou les DP) pour que le licenciement prononcé soit jugé sans cause réelle et sérieuse et ce, quand bien même l’inaptitude se trouve pas sa source dans une maladie ou un accident professionnels.
· Pourquoi cet arrêt est-il important ?
Pour deux raisons !
- D’abord, parce que depuis que l’obligation de consulter le CSE préalablement à toute proposition de reclassement a été étendue aux cas d’inaptitude non professionnelle, c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la sanction applicable en cas de manquement de l’employeur. Ce qui est louable dans la mesure où, on l’a vu, le Code du travail est, sur ce point, complètement muet.
- Ensuite, parce que cet arrêt s’inscrit dans un contentieux de l’obligation de reclassement beaucoup plus large et à travers lequel la Cour de cassation, tout en en précisant les contours, en renforce finalement la teneur. En faisant de cette obligation une formalité substantielle, au même titre qu’en cas d’inaptitude professionnelle, le juge met l’accent sur la protection de salariés déjà fragilisés et ce, peu important l’origine de leur état.
D’ailleurs, le même jour, la Cour de cassation a admis que l’employeur devait consulter les élus, y compris lorsqu’à l’issue de ses recherches, il s’avérait qu’il n’avait aucun poste à proposer au salarié (4).
A côté de cela, et toujours le même jour, les juges ont aussi précisé que cette consultation pouvait se faire par conférence téléphonique (5). Il est vrai que le Code du travail ne prévoyant aucun formalisme particulier, les juges se montrent en revanche plutôt souples sur cet aspect de l’obligation (6).
Finalement, la seule circonstance qui pourrait faire échapper l’employeur à cette formalité préalable est l’absence de CSE dans l’entreprise – à moins qu’il ait eu l’obligation de mettre en place le CSE mais qu’il n’ait produit aucun procès-verbal de carence établi à l’issue du second tour de scrutin.
Quoi qu’il en soit toutes ces précisions sont utiles et bienvenues, n’oublions pas que les ordonnances Macron ont aussi “accessoirement” restreint le périmètre de recherche de reclassement par l’employeur…
(1)Art. L.1226-10 C.trav.
(2)Art. L.1226-2 C.trav.
(3)Art. L.1226-15 C.trav. Avant l’ordonnance n°2017-1387 du 22.09.17, cette indemnité minimale était portée à 12 mois de salaire.
(4) Cass.soc.30.09.20, n°19-16488.
(5) Cass.soc.30.09.20, n°19-13122.
(6) Par exemple : Cass. soc., 29.04.03, n°00-46477: l’employeur n’est pas obligé de recueillir un avis collectif de l’instance et peut consulter individuellement chaque élu.