Manuel Valls a annoncé hier qu’il utiliserait cette après-midi le 49-3 (une nouvelle fois) pour faire adopter la loi Macron en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. L’annonce n’a pas véritablement surpris. Elle a revanche confirmé que les frondeurs ne désarment pas et que l’élection à 70% de Jean-Christophe Cambadélis comme Premier Secrétaire du Parti Socialiste il y a une dizaine de jours n’a guère contribué à modifier le rapport de force interne au parti.
Ce passage au forceps lance plusieurs alarmes majeures sur l’état du pays.
La réforme impossible?
Première alarme: les réformes structurelles dont la France a besoin (si tant est que la loi Macron les exprime en tout ou partie, ce qui est très loin d’être le cas) ne recueillent aucune majorité en France. Alors que le travail du dimanche est une nécessité dans bien des secteurs, alors que la déréglementation de nombreuses professions est incontournable pour répondre à la révolution numérique, il n’est manifestement pas possible de réunir sur des idées de bon sens une majorité suffisante.
C’est évidemment un paramètre qui ne se dévoile pas aujourd’hui. En revanche… son acuité paraît exacerbée au moment où le pays devrait se mobiliser pour gommer les freins à la reprise économique.
Le système bi-partisan est devenu obsolète
Des esprits raisonnables auraient pu imaginer que Manuel Valls compense les défections à sa gauche par un ralliement à sa droite. Le système bi-partisan français ne le permet pas. Les députés de l’opposition ne veulent pas “faire le sale boulot” à la place du gouvernement en offrant à la majorité parlementaire le confort de réformer sans se “mouiller”. Ce blocage bi-partisan devient une véritable difficulté quand les intérêts économiques du pays sont en jeu. On voit que la bipolarisation politique repose sur un affrontement entre deux écuries ennemies pour qui le conflit des idées est secondaire par rapport aux calculs électoraux.
Les partis politiques, facteur de sclérose en France
Le fait que le 49-3 soit utilisé quelques jours à peine après le congrès du PS aggrave les charges contre le régime des partis. Le gouvernement se trouve en effet dans une impasse politique alors qu’une poignée seulement de députés fait défaut. Ce point est probablement le plus alarmant: la politique en France dépend de quelques parlementaires seulement, qui ont la faculté de faire ou de défaire les orientations au gré de leurs humeurs ou de leurs caprices, selon des calculs à courte vue dictés par une logique interne totalement déconnectée de la réalité du pays. Alors que le Parti Socialiste compte moins de 200.000 adhérents et que la motion hostile à la loi Macron a recueilli 60.000 voix (soit 0,15% du corps électoral français), ce sont pourtant ces 60.000 votants qui arbitrent les choix politiques…
La démocratie française est malade.
La présidentialisation du régime en accusation
Le recours au 49-3 constitue un élément de plus à charge de la présidentialisation du régime. Si Manuel Valls engage la responsabilité de son gouvernement sur un texte rejeté par une poignée de députés socialistes, c’est parce qu’il sait qu’une majorité de parlementaires ne s’organisera pas contre lui. Les frondeurs ont en effet une crainte majeure: retourner devant les électeurs et perdre leur siège. C’est pourquoi ils laisseront passer le texte et ne souscriront pas à la motion de censure de l’opposition qui leur permettrait de renverser le gouvernement.
Critiquer et ralentir un gouvernement dont on ne prononce jamais la mise à mort par crainte d’une dissolution de l’Assemblée, voilà le triste spectacle qu’offrent les frondeurs, drapés dans leur prétendue dignité de gauche. C’est bien l’effet de la présidentialisation du régime: ils sont arrivés à l’Assemblée dans le sillage d’un Président de la République qu’ils vomissent aujourd’hui, et ils ne veulent surtout pas renoncer à la soupe dans laquelle ils crachent par crainte de perdre leur siège. Ils attendent patiemment la prochaine présidentielle dans l’espoir de le conserver.
Décidément, ce 49-3 est bien le symptôme d’une France malade de ses institutions.