Fin de l’interdiction de publicité pour les médecins : la décision retentissante du Conseil d’Etat

Le 6 novembre dernier, le Conseil d’Etat a rendu une décision importante pour tous les médecins et dentistes exerçant en France. La haute juridiction administrative considère qu’elle est fondée à “contraindre l’autorité compétente de procéder à [l’]abrogation” de l’interdiction de faire de la publicité.

 

Concrètement, c’est le refus implicite de la ministre de la santé d’abroger cette interdiction qui est annulé par le Conseil d’Etat. Ainsi, la ministre est tenue d’accepter d’abroger les règles interdisant aux médecins et dentistes de faire de la publicité. 

 

Le Conseil d’Etat force la fin de l’interdiction de publicité pour les médecins

La décision du 6 novembre est fondée sur l’évolution du droit de l’Union européenne. En effet, selon l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’UE “les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation“. De plus, la CJUE interprète cet article en indiquant qu’il “s’oppose à une législation nationale […] qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires” dans une décision du 4 mai 2017. 

Dans une décision plus récente du 23 octobre 2018, la CJUE a également donné son interprétation d’une directive datant de 2000 et selon laquelle elle “s’oppose à une réglementation nationale […] qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet“. 

Le Conseil d’Etat considère que “l’acte réglementaire [d’interdiction de faire de la publicité pour les médecins et dentistes] est devenu illégal en raison d’un changement de circonstances“. Les conséquences directes se feront d’abord ressentir sur le droit applicable et par incidence sur les nombreuses sanctions prises par les ordres professionnels. L’affaire n’est donc pas terminée. 

 

Voici la reproduction totale de la décision n°420225 délivrée par le Conseil d’Etat le 6 novembre 2019 :

Vu la procédure suivante : 

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 avril 2018 et le 11 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A… B… demande au Conseil d’Etat : 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande du 22 décembre 2017 tendant à l’abrogation des articles R. 4127-215 et R. 4127-225 du code de la santé publique ; 

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. 

 

Vu les autres pièces du dossier ; 

Vu :- le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment son article 56 ;- la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, notamment son article 8 ;- le code des relations entre le public et l’administration ;- le code de la santé publique ;- l’arrêt n° C-339/15 du 4 mai 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne ;- l’ordonnance n° C-296/18 du 23 octobre 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne ;- le code de justice administrative ; 

 

Après avoir entendu en séance publique : 

– le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire, 

– les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public. 

 

Considérant ce qui suit : 

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B…, qui est chirurgien-dentiste, demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande du 22 décembre 2017 tendant à l’abrogation de l’article R. 4127-215 du code de la santé publique, qui dispose que : ” La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont notamment interdits : / 1° L’exercice de la profession dans un local auquel l’aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale ; / 2° Toute installation dans un ensemble immobilier à caractère exclusivement commercial ; / 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ; / 4° Les manifestations spectaculaires touchant à l’art dentaire et n’ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif “, et de l’article R. 4127-225 du code de la santé publique, qui dispose que ” Le chirurgien-dentiste doit éviter dans ses écrits, propos ou conférences toute atteinte à l’honneur de la profession ou de ses membres. Sont également interdites toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque. / Tout chirurgien-dentiste se servant d’un pseudonyme pour des activités se rattachant à sa profession est tenu d’en faire la déclaration au conseil départemental de l’ordre “. Eu égard aux termes de sa demande d’abrogation, Mme B… doit être regardée comme n’ayant demandé que l’abrogation du 5ème alinéa de l’article R. 4127-215 et de la seconde phrase du premier alinéa de R. 4127-225. 

2. En raison de la permanence de l’acte réglementaire, la légalité des règles qu’il fixe, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l’ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger l’acte réglementaire, comme l’exprime l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration aux termes duquel : ” L’administration est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d’objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l’illégalité ait cessé (… ) “. 

3. L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus d’abroger un acte réglementaire illégal réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l’autorité compétente, de procéder à l’abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l’ordre juridique. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l’illégalité de l’acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l’excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l’abroger. A l’inverse, si, à la date à laquelle il statue, l’acte réglementaire est devenu illégal en raison d’un changement de circonstances, il appartient au juge d’annuler ce refus d’abroger pour contraindre l’autorité compétente de procéder à son abrogation. 

4. Il résulte du point précédent que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l’acte réglementaire dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision. 

5. En vertu de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : ” (…) les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation (…) “. Dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l’affaire C-339/15, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction belge, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que ” l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (…) “. 

6. Aux termes de l’article 2 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (“directive sur le commerce électronique”), ” Aux fins de la présente directive, on entend par : / a) “services de la société de l’information” : les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [98/34] ; […] / f) “communication commerciale” : toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. […] / g) “profession réglementée” : toute profession au sens, soit de l’article 1er, point d), de la directive 89/49/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionne des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans […], soit au sens de l’article 1er, point f), de la directive [92/51] […] “. Aux termes de l’article 8, paragraphe 1 de cette même directive, ” 1. Les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession ainsi que le secret professionnel et la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession “. Dans son ordonnance C-296/18 du 23 octobre 2018, rendue sur renvoi préjudiciel de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Midi-Pyrénées, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que ” l’article 8 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (” directive sur le commerce électronique “), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet “. 

7. S’il incombe au pouvoir réglementaire de définir les conditions d’une utilisation, par les chirurgiens-dentistes, de procédés de publicité compatibles avec les exigences de protection de la santé publique, de dignité de la profession de chirurgien-dentiste, de confraternité entre praticiens et de confiance des malades envers les chirurgiens-dentistes, il résulte des stipulations de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l’affaire C -339/15, ainsi que des dispositions de l’article 8 paragraphe 1 de la directive du 8 juin 2000, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son ordonnance rendue le 23 octobre 2018 dans l’affaire C-296/18, qu’elles s’opposent à des dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité, telles que celles qui figurent au 5ème alinéa de l’article R. 4127-215 et à la seconde phrase du premier alinéa de R. 4127-225 du code de la santé publique. 

8. Il résulte de ce qui précède que Mme B… est fondée à demander l’annulation de la décision qu’elle attaque rejetant sa demande d’abrogation du 5ème alinéa de l’article R. 4127-215 du code de la santé publique et de la seconde phrase du premier alinéa de l’article R. 4127-225 du même code. 

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. 

 

D E C I D E :————–Article 1 : La décision implicite de la ministre des solidarités et de la santé refusant d’abroger le 5ème alinéa de l’article R. 4127-215 du code de la santé publique et la seconde phrase du premier alinéa de l’article R. 4127-225 du même code est annulée.Article 2 : L’Etat versera à Mme B… une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A… B…, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.Copie en sera adressée au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes. 

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