Le Conseil des Prud’hommes de Paris a condamné hier la SNCF pour avoir discriminé plusieurs centaines de cheminots marocains embauchés au début des années 1970. Chacun d’entre eux devrait toucher 200.000 euros de dommages et intérêts.
La tradition de la discrimination par la nationalité
La SNCF ne sait pas encore si elle fera appel de cette décision. Pourtant, la SNCF invoque le strict respect des dispositions légales en vigueur à l’époque: “Celles-ci excluent, aujourd’hui encore, l’embauche au statut SNCF de ressortissants de pays non membres de l’Union européenne”, écrit-elle. Cette règle a été réaffirmée par une loi de juillet 1991, ajoute l’entreprise.
De fait, la sphère publique a volontiers limité l’accès des étrangers, et spécialement des étrangers hors Union Européenne, à ses emplois. Cette particuliarité ne manque pas d’intérêt dans la mesure où cette discrimination légale s’appliquait non seulement aux emplois “régaliens” (policiers, militaires, juge), mais majoritairement à des emplois ayant très peu de rapport avec la sécurité nationale: manutentionnaires en tous genres, agents d’entretien, emplois d’exécution généralement ingrats.
Pendant plusieurs décennies, ces catégories de salariés ont même vécu une extrême précarité, le plus souvent dans le cadre de contrats à durée déterminée renouvelés à vie. Tous les services publics ont connu ces situations délicates, avec des salariés sans progression de carrière et des protections réduites au minimum.
Le précédent de la jurisprudence Berkani
En 1996, une première décision retentissante avait été rendue sur le sujet par le Tribunal des Conflits. L’arrêt Berkani avait tranché un différent entre le CROUS de Lyon et M. Berkani. Sans toucher à la question de la nationalité, cette jurisprudence avait conclu que les contrats applicables à des étrangers dans les services publics étaient bien des contrats de droit public et non des contrats relevant du Code du Travail.
La précision était d’importance puisque, très longtemps, les étrangers recrutés par le service public étaient cantonnés sur des contrats de droit privé. C’était par exemple le cas des personnels de ménage dans les préfectures qui étaient exclus des grilles salariales de la fonction publique.
La jurisprudence Berkani avait donc fait un premier pas vers la reconnaissance des droits de ces personnels, sans toutefois conclure à une discrimination qui n’était d’ailleurs pas invoquée par le plaignant.
L’Etat employeur a encore frappé
Le coeur du dossier est bien celui de l’Etat employeur. Toujours prompt à donner des leçons aux employeurs privés sur la protection du droit des salariés, une fois de plus, dans l’affaire SNCF comme dans d’autres, l’Etat montre toute sa capacité à ne pas appliquer à ses propres collaborateurs les grands principes humanistes qu’il proclame pour les autres. Sa condamnation pour discrimination souligne la capacité d’une entreprise publique à réserver à certains de ses collaborateurs des traitements qui seraient jugés inadmissibles et cause d’un scandale d’Etat dans une entreprise privée.
L’ironie de l’histoire veut que cette affaire de discrimination porte sur une période de plus de 40 ans, dans une entreprise où la CGT est le syndicat majoritaire et pratiquement investi d’un pouvoir de co-gestion.
Comme d’habitude, serions-nous tentés de dire, ce ne sont ni les donneurs de leçon ni les censeurs publics qui donnent l’exemple.