La conférence de presse donnée hier par François Hollande a donné lieu à un premier coup de scalpel dans la politique de santé si décriée de Marisol Touraine: François Hollande a posé une condition majeure à la mise en place du tiers payant: sa simplicité de mise en oeuvre pour les médecins.
Le médecin, payeur supplétif de la sécurité sociale?
En imposant un système d’administration simple de la généralisation du tiers payant, François Hollande répond en partie aux objections des médecins de ville, qui multiplient les mouvements de protestation contre le projet de Marisol Touraine. Après avoir mené une grève administrative en décembre, les médecins et leurs syndicats ont décidé de quitter les groupes de travail organisés par Marisol Touraine pour réécrire le projet de loi.
Depuis le début, les médecins protestent contre le rôle que la généralisation du tiers payant est supposée leur faire jouer. Ils craignent tout particulièrement de devoir “courir” après le remboursement par la sécurité sociale de l’ensemble des prestations dont ils auront fait l’avance. Ce rôle de trésorier de fait de l’assurance-maladie devrait leur prendre du temps et les détourner de leur métier.
François Hollande, dès le début de l’année avait rappelé l’importance de la simplicité dans la mise en place du disopositif de Marisol Touraine. Pour la première fois, il vient de mettre en cause la réforme si une solution n’était pas trouvée sur ce point.
Un prétexte pour arrêter une réforme contestée sur le fond?
Assez habilement, le président de la République s’est emparé de la simplicité pour remettre en cause une réforme que les médecins refusent pour d’autres raisons.
Depuis plusieurs mois, les syndicats de médecins soutiennent que la généralisation du tiers payant aura un effet négatif sur la consommation médicale. La suppression du reste à charge devrait pousser, assez logiquement, les patients à consommer plus qu’auparavant. C’est d’ailleurs l’objectif affiché par Marisol Touraine, qui propose la généralisation du tiers payant pour améliorer le taux d’accès aux soins.
Les médecins n’ont de cesse de dénoncer ce paradoxe qui veut que l’assurance maladie fixe des objectifs de dépenses aux professions médicales, alors que le gouvernement encourage à l’augmentation de ces dépenses. Pour les médecins, cette mécanique infernale vise à baisser de fait le prix de l’acte médical en favorisant un recours peu vertueux à la médecine. De fait, il est assez peu cohérent de fixer des plafonds tarifaires de toutes sortes dans le cadre des contrats responsables, et de rendre plus aisée la consommation médicale.
Comme François Hollande ne peut déjuger Marisol Touraine sur le fond, il n’est pas impossible que l’argument de la simplicité de la réforme cache une volonté d’en finir avec une démarche dont les syndicats de médecins ont démontré l’absurdité.
Les syndicats de médecin et les complémentaires santé
La précision du président de la République intervient la veille du jour où les organismes de complémentaire santé doivent présenter leur projet de plate-forme pour faciliter la mise en place du tiers payant généralisé. Cette plate-forme vise à faciliter les opérations administratives devant le médecin. Devant l’Association des Journalistes d’Information Sociale (AJIS), Etienne Caniard a présenté le projet comme ceci:
“il faut s’assurer au moment où le patient est dans le cabinet qu’il a des droits ouverts. Nous sommes en train de fabriquer un serveur en ligne qui sera opérationnel avant la fin de l’année 2015. Il permettra à l’instar du GIE carte bleue de vérifier l’ouverture de droits quand on est chez le médecin comme on qualifie la possibilité de payer par carte bleue quand on chez le commerçant”.
Pour les médecins, il s’agit d’un engrenage extrêmement dangereux, parce qu’il renforce peu à peu le contrôle que les complémentaires santé exercent sur l’activité médicale. Dans un argumentaire détaillé publié début janvier, le CSMF avait écrit:
Ensuite, dans un second temps, comme il ne sera pas possible de baisser indéfiniment la valeur des actes médicaux, les caisses et les complémentaires santé vont prendre le contrôle du système de soins et fixer des objectifs pour limiter les dépenses, les prescriptions et peut-être décider en fonction de l’espérance de survie d’un patient s’il convient, ou non, « d’investir » dans son traitement. « Qui paye commande » ! Les médecins seront aux ordres des payeurs et les patients subiront les diktats des caisses. Très vite, ces derniers ne pourront plus choisir librement leur médecin, puisque les complémentaires santé leur imposeront de se faire soigner dans leurs centres de santé et à l’intérieur de leurs réseaux chez les praticiens affiliés.
Enfin, les complémentaires santé qui peu à peu vont prendre la place d’une assurance maladie, sous-financée et qui va continuer à se désengager en l’absence de toute réforme de son financement. Elles vont ainsi s’emparer du secret médical des patients, leurs clients, pour leur appliquer une tarification « sur-mesure » selon leur état de santé. Et ce jour-là, sans qu’aucun débat public n’ait jamais eu lieu et alors que le gouvernement s’évertue à stigmatiser le combat de la CSMF sous l’angle de l’accès aux soins, notre système aura basculé dans un système à l’américaine piloté par les complémentaires santé et donc le privé !
Combien de médecins seront prêts à continuer leur mobilisation sur ces thèmes, dès lors que les complémentaires santé auront réglé la question de la complexité des opérations de généralisation du tiers payant? Toute l’inconnue du dossier est là, car il est peu vraisemblable que le gouvernement puisse tenir longtemps une ligne dure face à une profession rétive. En revanche, si le mouvement s’étiole, le gouvernement devrait pouvoir confirmer la réforme de Marisol Touraine.