Cette publication est initialement parue sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Le décret du 9 février dernier précise les modalités de financement et de gestion quand les accords complémentaire santé, négociés au niveau de la branche, prévoient la recommandation d’un organisme (assurance, mutuelle, institution de prévoyance). Sans ce haut degré de solidarité, il n’y a pas de recommandation possible. Un texte attendu mais qui ne lève pas l’ensemble des interrogations. Décret n°2017-162 du 09.02.17
Ce texte d’application vient préciser les conditions dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent insérer des clauses de recommandation dans les accords de complémentaires santé et de prévoyance au niveau de la branche. Pour en saisir toutes les nuances, une mise en perspective et un rappel de l’histoire s’impose.
- Rappel du contexte : de la désignation à la recommandation
Assurer un montant relativement faible des cotisations pour les entreprises et les salariés, assurer une meilleure couverture aux assurés et une pérennité pour les organismes assureurs, voilà les enjeux de la mutualisation. En effet, une clause de désignation contenue dans un accord de branche confie à un organisme assureur la gestion du régime de protection sociale complémentaire de tous les salariés et de toutes les entreprises de la branche concernée. Elle permet ainsi la mutualisation des risques au sein de la branche.
De manière plus concrète, ces clauses de désignation ont pour objectif d’assurer une égalité entre les salariés des entreprises de la même branche. En effet, un contrat unique est négocié pour toute les entreprises de la branche avec un tarif et unique. Par conséquent, les entreprises ne se voient pas appliquer des tarifs qui pourraient être prohibitifs en fonction de la sociologie de leurs salariés.
Initialement prévues dans la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, les clauses de désignation ont été déclarées inconstitutionnelles par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 13 juin 2013. Motif invoqué : l’atteinte à liberté d’entreprendre (Lire article paru sur le site). Extrêmement critiquée par nombre d’observateurs et d’organisations syndicales dont la CFDT, cette décision d’inconstitutionnalité n’était pas sans poser un problème de mutualisation des risques au sein des branches.
Face à l’inconstitutionnalité des clauses de désignation, de nouvelles clauses sont nées : les clauses dites de recommandation.
Le système de la recommandation reprend les idées initiales de la désignation en les assouplissant et en donnant plus de liberté aux entreprises (pour éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnelle) : ces clauses n’ont pas de caractère contraignant (contrairement aux clauses de désignation). Ces clauses vont permettre aux partenaires sociaux des branches qui négocient des régimes de santé pour leurs salariés de recommander un ou plusieurs organismes d’assurance. Les entreprises resteront libres de souscrire la complémentaire santé des salariés auprès d’organismes, qu’ils soient recommandés ou pas. L’enjeu de la recommandation étant la mutualisation du risque.
- Qu’est-ce que le degré élevé de solidarité ?
Afin qu’un accord collectif puisse intégrer cette clause de recommandation, il faut que le contrat proposé présente un « degré élevé de solidarité ». Ce degré élevé de solidarité caractérise un contrat de protection sociale complémentaire lorsque ce dernier propose, par exemple, des actions de prévention, des mesures d’action sociale (ce que l’on désigne comme des prestations “non directement contributives”). Ces accords doivent également et impérativement financer 2 % ou plus de la cotisation du contrat.
A titre d’illustration, les accords présentant un haut degré de solidarité peuvent prévoir :
– la prise en charge, totale ou partielle, de la cotisation des CDD, apprentis ou salariés. Ce qui constitue une solution alternative aux dispenses d’adhésion dont peuvent se prévaloir ces catégories de salariés, lorsqu’elles sont prévues dans l’accord ; – le financement d’actions de prévention concernant les risques professionnels ou de comportements en matière de consommation médicale ; – la prise en charge de prestations d’action sociale (aides et secours individuels aux salariés, aides permettant de faire face à la perte d’autonomie, hébergement d’un adulte handicapé, prise en charge d’un enfant handicapé, soutien apporté à des aidants familiaux).
- Application et champ du décret
Le décret du 9 février va concerner les partenaires sociaux qui négocient au niveau de la branche et qui vont opter pour la recommandation. Le décret s’applique aux accords professionnels ou interprofessionnels qui, selon les termes du décret “ont défini des prestations de prévention ou des prestations d’action sociale financées et gérées de façon mutualisée, pour l’ensemble des entreprises”. (1)
A noter que les partenaires sociaux peuvent décider de ne pas mettre en place de fonds, mais pour pouvoir mettre en place des clauses de recommandation, elles devront impérativement passer par une procédure de mise en concurrence des organismes. (2)
Ce texte est d’application immédiate et concerne par conséquent l’ensemble des accords qui sont conclus ou renouvelés depuis le 9 février 2017.
- Ce que prévoit le décret
Le décret précise les modalités de gestion et de financement des accords de branches comportant un haut degré de solidarité. Les accords en question doivent :
– définir les prestations gérées de manière mutualisée qui comprennent des actions de prévention ou de prestation d’action sociale mentionnée à l’article R.912-2 ;
– déterminer les modalités de financement de ces actions pouvant prendre la forme d’un montant forfaitaire par salarié, d’un pourcentage de la prime de cotisation mentionnée à l’article R912-1, ou d’une combinaison de ces deux éléments ;
– créer un fonds finançant les prestations indiquées ci-dessus ;
– préciser les modalités de fonctionnement de ce fonds, notamment les conditions de choix du gestionnaire chargé de son pilotage par la commission paritaire de branche.
- Quelle analyse faire de ce décret ?
• Coexistence de deux types d’accord
A la lecture du décret, on comprend que deux types d’accord peuvent exister :
– d’une part les accords comportant uniquement des prestations présentant un degré élevé de solidarité (au sens du I de l’article L.912-1);
– d’autre part les accords visant expressément le IV de l’article L.912-1 du Code de Sécurité sociale comportant des prestations mutualisées dans un fonds géré par un gestionnaire choisi par la branche.
• Plusieurs modes de financement
S’agissant de cette deuxième catégorie d’accord, le décret prévoit la possibilité de financer les prestations de trois façons différentes : la première sous forme d’un montant forfaitaire par salarié, la seconde sous la forme d’un pourcentage de cotisation sur les 2 %, la dernière étant une combinaison des deux.
La combinaison des deux modes de financement pourrait avoir pour conséquence de complexifier le système et contribuerait, à nouveau, à dissuader les acteurs de la protection sociale de rentrer sur le marché.
• La création d’un fonds unique
Le décret prévoit également la création d’un fonds ayant vocation à financer les prestations. Est-ce à dire que l’ensemble des entreprises de la branche devront participer au financement de ce fonds mutualisé (y compris celles qui auront choisi de ne pas adhérer à un organisme assureur recommandé) ? Rien n’est moins sûr, le décret se montrant assez équivoque sur ce point…
• La possibilité d’un seul organisme de gestion du fonds
Concernant toujours la deuxième catégorie d’accord (ceux qui prévoient une gestion mutualisée), le décret prévoit la possibilité pour la commission paritaire de branche de choisir un seul organisme pour piloter un fonds social unique.
Faute de précision de la part du décret, on imagine qu’aucune mise en concurrence dans le choix de ce gestionnaire n’est requise. Néanmoins, le décret précise que les conditions de sélection devront être précisées dans l’accord. Du point de vue de la commission paritaire, cela semble être une bonne nouvelle : le choix d’un interlocuteur unique pour gérer les prestations de solidarité paraît en effet plus simple. Néanmoins, que va-t-il se passer si l’accord recommande un (ou même plusieurs) organisme et que la commission paritaire de branche sélection un gestionnaire autre ? Ce sera plus compliqué ! Si un assureur est privilégié pour gérer le fonds, cela risque de créer des problèmes de visibilité pour les autres assureurs recommandés par l’accord de branche.
Autre difficulté attendue, si l’assureur complémentaire, choisi librement par l’entreprise, est différent de celui choisi par la branche, qui gérera les prestations relatives au degré élevé de solidarité, les deux organismes devront s’entendre pour coopérer, ce qui ne semble a priori pas évident au regard de la concurrence accrue entre les entreprises d’assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance.
- Des questions en suspens
Si les acteurs de la protection sociale ne se sont pas trompé sur l’importance de ce décret, il demeure qu’il soulève nombre de questions : quelles seront les prestations gérées et financées dans le fonds mutualisé ? Quels types de structures peuvent gérer le fonds ? Va-t-on assister à une généralisation des prestations de “haut degré de solidarité” ? Autant de questions que la pratique viendra entériner !
(1) Le IV de l’article L912-2 du Code de sécurité sociale dispose que “Les accords mentionnés au I peuvent prévoir que certaines des prestations nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur sont financées et gérées de façon mutualisée, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat, pour l’ensemble des entreprises entrant dans leur champ d’application”.
(2) Le I de L’article L912-1 du Code de sécurité sociale dispose que “I.-Les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l’article L. 911-1 peuvent, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, prévoir l’institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif, pouvant notamment prendre la forme d’une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d’une politique de prévention ou de prestations d’action sociale.Dans ce cas, les accords peuvent organiser la couverture des risques concernés en recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l’article L. 370-1 du code des assurances, sous réserve du respect des conditions définies au II du présent article.Le ou les organismes ou institutions adressent annuellement au ministre chargé de la sécurité sociale un rapport sur la mise en œuvre du régime, le contenu des éléments de solidarité et son équilibre, dont le contenu est précisé par décret”.