La Cour des comptes a rendu public, le 22 mars 2016 un référé sur l’insertion professionnelle des jeunes docteurs français.
Le domaine a connu de nombreuses réformes afin d’être en cohérence avec les critères européens, et cela dès les années 1990. Malgré cette rénovation dont les universités se sont saisies, le résultat est décevant. De nombreux points sont à améliorer, parmi lesquels le financement ainsi que l’insertion professionnelle. Pour y remédier la Cour formule cinq principales recommandations à la ministre de l’éducation nationale au ministre des finances et des comptes publics ainsi qu’au secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une normalisation accrue du référentiel d’évaluation des écoles doctorales
Cette première recommandation est relative aux réformes conduites à partir des années 1990 permettant la consolidation du doctorat en cohérence avec les critères européens. En effet le doctorat universitaire français fait partie du processus de Bologne qui vise la mise en place d’un espace européen d’enseignement supérieur. Cette politique a été soutenue par les pouvoirs publics pour une préservation de la diversité des formations. Les universités ont su se saisir de cette rénovation comme d’un instrument d’attractivité face à la concurrence notamment des grandes écoles. Preuve que le système a bien fonctionné la part des doctorants étrangers en France ne cesse d’augmenter atteignant 40% des effectif en 2008, passant ainsi devant l’Allemagne et le Japon.
Les doctorants sont mieux encadrés, les thèses sont plus courtes et dans l’ensemble mieux financés notamment au moyen du contrat doctoral institué en 2009. Cependant la procédure d’évaluation pourrait être mieux référencée, en effet elle s’appuie sur des questionnaires appelant de la part des écoles une réponse sous format libre. Une grille d’évaluation homogène et quantifiée fait donc défaut et empêche une comparaison point par point des différentes écoles doctorales. Il faudrait alors, selon la Cour des comptes, fonder l’évaluation par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur sur un référentiel national normé.
Une clarification du cadre de collecte statistique sur le doctorat
La Cour juge la réalisation de statistiques laborieuse et le cadre de la collecte statistique semble flou.
En cause une trop grande dispersion des données recueillies, un manque d’unité méthodologique ainsi que des zones d’ombre notamment sur les conditions de financement des doctorants étrangers. Ce problème est d’autant plus gênant que ces informations sont indispensables pour se situer au niveau international. Le manque d’information est préjudiciable autant pour les institutions qui portent les politiques publiques que pour les étudiants face à leurs projets académiques et professionnels.
De plus la mesure du coût complet du doctorat est insuffisante, il peut être approché en additionnant différentes dotations parmi lesquelles on retrouve les subventions CIFRE et les contrats doctoraux financés par le ministère. La Cour estime à un peu moins de 600 millions d’euros la dépense consacrée au financement des doctorants, dépenses fiscales et frais de gestions administratives exclus. Enfin, peu d’établissements ont tenté de calculer le coût global de gestion du doctorat, la Cour l’estime globalement entre 700 millions d’euros et 1 milliard d’euros pour une année. Pour y remédier la Cour des comptes recommande l’élaboration d’un cadre national d’enquête sur les doctorants et l’insertion professionnelle avec la collaboration notamment de la Conférence des présidents d’université et de la Conférence des grandes écoles.
Un meilleur suivi des doctorants et de leur projet professionnel est préconisé
Corrélativement aux dépenses et moyens investis, les résultats en matière d’insertion professionnelles des jeunes docteurs sont décevants car le diplôme du doctorat ne protège pas du chômage et ensuite du fait des différences substantielles entre les disciplines. Le taux de chômage des doctorants français était de 9% en 2009 alors qu’il n’était que de 2% au Royaume -Uni, c’est quatre fois plus que dans d’autres pays de l’OCDE. Ils enchainent les CDD, quatre fois plus que les diplômés d’écoles de commerce, même trois an après diplomation. De plus le salaire net mensuel médian des jeunes doctorants (hors santé) est inférieur à celui des jeunes ingénieurs qui gagnent 2350 euros soit entre 150 et 70 euros de plus.
Les domaines rencontrant le plus de difficultés d’insertion sont ceux de la chimie, des sciences de la vie et de la terre, des lettres et sciences humaines. Face à ces difficultés, l’emploi public ne peut pas être envisagé comme la seule réponse satisfaisante, ses recrutements statutaires ne représentent plus qu’un sixième des docteurs. S’agissant de l’encadrement supérieur de l’Etat, l’ouverture aux doctorants, par voie de recrutement dans les corps de fonctionnaires concernés n’est qu’une réponse symbolique. Cette situation doit évoluer vers un recrutement accru de jeunes doctorants pour exercer notamment dans de grandes organisations internationales et européennes. D’après la Cour des comptes il faut systématiquement procéder, en cours de thèse, à une revue de leur projet professionnel et introduire des éléments de flexibilité dans leurs contrats pour plus d’expériences professionnelles.
Une meilleure explicitation et certification des compétences transversales acquises en cours de thèse
Le document rappelle que le peu de débouchés des docteurs en entreprise est dû à une méconnaissance réciproque des compétences disponibles et de l’intérêt de telles carrières. La place des docteurs au sein de la recherche en entreprise est très minoritaire, seulement 13% en 2009 alors que celle des ingénieurs est de 54%. Cela s’explique en partie par la méconnaissance des recruteurs nationaux souvent éloignés du monde de la recherche. Compte tenu de ces constats, la Cour estime qu’une grille de compétences transversales serait très utile, autant pour les formateurs que pour les recruteurs. Il est recommandé de reporter chacune des compétences et les formations complémentaires acquises au cours du projet de recherche, dans un document académique spécifique.
Pallier le manque de dialogue pour plus d’efficacité
Le dialogue semble faire défaut en matière d’insertion professionnelle, c’est pourtant une des missions de l’enseignement supérieur depuis 2007 qui a été réaffirmée en 2013. Malgré les mesures mises en place pour redonner visibilité et clarté au cycle doctoral l’articulation n’est pas encore efficace. Le dialogue de gestion avec le réseau des écoles doctoral doit être plus incitatif et doit prendre en compte les résultats au regard de leur politique de formation doctorale.
La réponse du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
Pour le ministère de l’éducation, les recommandations formulées se sont déjà vues apporter des éléments de réponses.
Pour l’évaluation périodique des écoles doctorales sur un référentiel normé par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), il précise que ce n’est pas de son ressort mais qu’il veillera toutefois à la qualité du travail du HCERES qui est compétent.
S’agissant de l’élaboration d’un cadre national d’enquête sur les doctorants et leur insertion professionnelle il est précisé qu’une enquête expérimentale a débuté en décembre 2015 : elle concerne la situation professionnelle des docteurs diplômés en 2012 et les retours sont attendus avant la fin du mois de mars 2016. L’enquête devrait devenir pérenne à partir de 2017 d’après le ministère de l’éducation nationale : l’enquête sera alors conduite tous les trois ans.
En ce qui concerne la revue systématique, en cours de thèse, avec les doctorants de leur projets professionnels, le ministère répond qu’il préconise déjà un suivi individualisé pour optimiser leur formation et affiner leur projet. Il rappelle que le projet d’arrêté soumis à concertation donne mission aux écoles doctorales de mettre en oeuvre un suivi poussé des doctorants.
Pour l’évaluation des compétences acquises à l’occasion du projet de recherche, la ministre de l’éducation avance que de multiples initiatives locales et nationales ont déjà été prises. Il existe un référentiel le « MyDocPro » qui est un référentiel de compétences en ligne, utilisable pour les docteurs et les entreprises.
Enfin s’agissant de l’amélioration du dialogue et de la prise en compte des résultats des communautés d’universités et d’établissements (COMUE) dans la mise en œuvre d’une politique doctorale, il est indiqué que cela est une préoccupation constante du département ministériel de l’éducation nationale. Depuis 2014 par exemple, chaque contrat pluriannuel de site intègre des objectifs stratégiques à atteindre.
La réponse du ministère de l’éducation nationale laisse donc espérer des améliorations à venir tout en rassurant sur le fait que des évolutions sont déjà en cours.