Le Président de la République ayant promis d’engager une profonde réforme des régimes de retraite en 2019, les propos que les représentants de l’Etat chargés du dossier peuvent tenir à ce sujet sensible sont épiés et donnent lieu à de nombreux commentaires. Ces dernières semaines, deux enjeux ont notamment fait parler d’eux : l’avenir des régimes spéciaux et celui des pensions de réversion.
Vers un maintien de régimes spéciaux
Emmanuel Macron l’a affirmé au printemps dernier : le principe fondamental de la future réforme des retraites qu’il entend mener sera d’assurer que chaque euro cotisé donnera lieu “aux mêmes droits” pour les cotisants. A priori, ce principe implique une uniformisation poussée, sinon totale, des régimes de retraite auxquels cotisent les Français, quel que soit leur statut professionnel. Dans le cas de la France, où coexistent depuis longtemps de nombreux régimes spéciaux de retraite, une telle évolution constituerait une remise à plat radicale de la politique des retraites.
Prenant peut-être peu à peu conscience des problèmes posés par l’harmonisation des régimes de retraite, les dirigeants de l’Etat semblent, depuis cette annonce du Président de la République, chercher à réduire quelque peu la voilure. Ainsi, dès la fin du mois de mai, Jean-Paul Delevoye, l’ancien président du CESE que le Président de la République a missionné afin préparer la réforme des retraites, a fait savoir dans un entretien au Parisien que des “spécificités” pourraient être maintenues dans un certain nombre de cas. Il a notamment cité ceux des militaires et des indépendants, permettant de concevoir sans trop de difficultés que d’autres professions ou statuts de travailleurs finiront par obtenir de ne pas rejoindre le futur régime dit “universel”.
Pour certains, comme Nicolas Lecaussin, de l’institut de recherches économiques et fiscales, ces déclarations sont claires : elles signifient que “les régimes spéciaux seront sauvegardés”. Ceci implique notamment, d’après ce partisan d’une uniformisation totale des régimes de retraite – également partisan d’une progression de la part du financement capitalisé de la retraite – que les Français continueront de partir à la retraite à des âges différents selon leur statut. “Ces différences scandaleuses risquent de rester dans le nouveau régime « universel »” estime M. Lecaussin. Hélas pour les tenants d’une réforme libérale des retraites, il est peu probable que M. Macron choisira finalement de suivre leurs préconisations, dans la mesure où elles auraient toutes les chances de relancer durablement la conflictualité sociale.
Quels risques pour les pensions de réversion ?
Que les défenseurs d’une retraite plus individualisée que socialisée se rassurent toutefois : la future réforme des retraites pourrait bien leur donner du grain à moudre dans un domaine tout à fait inattendu – inattendu, du moins pour ceux qui croyaient que la présence de Marlène Schiappa au gouvernement devait garantir que les “droits des femmes” étaient une priorité gouvernementale. Le gouvernement réfléchirait en effet à revoir assez largement le mécanisme des pensions de réversion. Dans un document remis aux partenaires sociaux, M. Delevoye aurait même, à n’en pas douter tout à fait naïvement, posé la question : “Doit-on maintenir les pensions de réversion ?”
Les représentants des organisations salariales se sont fortement émus d’une éventuelle remise en cause des pensions de réversion. Et pour cause : elles bénéficient à 90 % à des femmes et, d’après la Drees, près de 4 millions de veuves dépendent largement de ce revenu mensuel de 500 euros en moyenne pour vivre. Les pensions de réversion constituent d’ailleurs un puissant mécanisme de lutte contre les inégalités hommes-femmes du montant des pensions de retraite. Un gouvernement qui se veut si attaché à la défense de la condition féminine peut-il s’en prendre ainsi à un mécanisme si bénéfique ? Oui, semble-t-il. Il faut dire que, chaque année, la réversion coûte environ 36 milliards d’euros. Dans ces conditions, les beaux principes ont leurs limites. Après avoir jeté les mémés aux orties, Mme Schiappa pourra, certes, continuer à promouvoir la féminisation des CA du CAC 40 : c’est plus tendance.
Etant donné que la polémique enflait au sujet de l’avenir des pensions de réversion, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a tenu, mi-juin, à préciser sur RTL le point de vue gouvernemental. “On peut vraiment se poser la question de l’harmonisation. Il y a 42 régimes de retraite différents, certains ont des pensions de réversion très importants, d’autres pas, donc tout est sur la table, tout fait l’objet de concertations” a-t-elle en l’occurrence affirmé. Autrement dit : l’exécutif entend probablement aligner par le bas les pensions de réversion.
Au total, les mauvais esprits retiendront de cette double séquence des régimes spéciaux et des pensions de réversion que lorsqu’il est question d’harmonisation, l’exécutif semble préférer s’attaquer en priorité aux grands-mères. Il est vrai que c’est moins risqué.