Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.
Un tract syndical qui critique une clause de confidentialité totale imposée aux syndicats ou encore s’interroge sur les moyens alloués aux organisations syndicales, ne peut être considéré, comme diffamatoire, dès lors qu’il n’exprime que l’opinion de leur auteur (en l’occurrence la CFDT) sur l’organisation de ce dialogue dans un cadre de « polémiques syndicales » où une certaine « vivacité de ton est admise ». TGI de Paris, 15.05.15, n° 13/13434.
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Faits
Dans le cadre de réunions préparatoires à une réorganisation, la société Pages Jaunes a exigé que les échanges soient assortis d’une clause de confidentialité. La CFDT, jugeant que cette clause était contraire à sa mission d’informer les salariés, a quitté la réunion.
La CFDT a, par la suite, rédigé un tract dénonçant les pratiques menées par l’entreprise dans ce processus de dialogue social. Elle critique notamment la clause de confidentialité totale en rappelant que la CFDT « ne saurait renier ses engagements envers ses mandants et ne pourrait accepter ni les échanges secrets à l’insu des salariés » ni« l’interdiction de les informer et de communiquer avec eux ».
Elle a également pointé les moyens alloués aux organisations syndicales présentes lors des réunions (heures indemnisées, transport, paiement d’honoraires d’avocats et d’experts…) estimant que « Cela représente un investissement non négligeable » et s’interrogeant (en gras) : « Quel en est le retour sur investissement ? Qui en bénéficie ? ».
Suite à ce tract, la société a attaqué la fédération F3C CFDT et le délégué syndical pour diffamation.
Le TGI de Paris a donné raison à la CFDT en jugeant que les propos contenus dans le tract syndical sont non diffamatoires. Un jugement qui permet de poser les principes et les limites qui s’appliquent en matière de liberté d’expression syndicale.
Ne pas confondre avec la confidentialité de certains documents ultrasensibles qui peut être imposée par l’employeur aux représentants du personnel, quand il communique des documents au comité d’entreprise. Cette obligation de confidentialité est limitée et ne peut porter que sur les informations réellement confidentielles. L’employeur doit respecter l’équilibre avec le droit des salariés à être informés par l’intermédiaire de ses représentants.
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Liberté d’expression, garantie dans son principe, cadrée dans sa pratique
La liberté d’expression fait partie des libertés fondamentales garanties pour les salariés et leurs représentants. Toutefois, les propos utilisés dans un tract syndical ne doivent être ni insultants, ni injurieux, ni diffamatoires.
Le Code du travail (1) prévoit que le contenu des tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.
La loi sur la liberté (2) de la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation du fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Dans cette affaire, l’employeur attaque le tract au motif qu’il aurait « incité et conduit les organisations syndicales présentes dans l’entreprise à accepter de renier leurs engagements et de trahir les salariés qu’elles représentent ». De plus, l’imputation est aggravée « par l’insinuation qui l’accompagne selon laquelle lesdites organisations se seront laissées soudoyer ».
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Conditionnée par l’expression d’une opinion purement subjective
Le tribunal juge que les critiques formulées dans le tract sur l’organisation du dialogue social (clause de confidentialité totale, moyens alloués) ne sont pas diffamatoires puisqu’elles ne font qu’exprimer une opinion purement subjective de l’auteur du tract.
Pour les juges du fonds, les propos « formulés dans ce tract, quant à la clause de confidentialité (…) ne sauraient caractériser un propos diffamatoire (…) qu’elles ne font qu’exprimer une opinion purement subjective de leur auteur quant à la conformité de cette clause avec sa propre conception de la mission d’information des salariés d’un représentant syndical ».
Concernant l’interrogation des moyens alloués aux organisations syndicales, là encore il s’agit pour les juges « de l’expression sur un mode interrogatif d’une appréciation subjective de l’organisation de ce dialogue social».
Les juges ajoutent également que ces propos ne peuvent être jugés diffamatoires « tout particulièrement dans le cadre de polémiques syndicales où une certaine vivacité de ton, habituelle dans ce domaine est admise, de tels propos n’excèdent pas la liberté d’expression, ce que tout lecteur de ces propos ne saurait ignorer ».
Ce jugement va dans le bon sens et conforte l’objet même d’un tract syndical : exprimer l’opinion du syndicat. En l’occurrence, dénoncer une clause de confidentialité totale qu’il estime contraire à la mission d’information des salariés d’un représentant syndical. Espérons que les éventuels recours confirmeront la position des juges de première instance.
(1) Art. L. 2142-5 du Code du travail.
(2) Art. 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.