La compensation pour harcèlement moral se cumule bien avec les indemnités d’AT-MP

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Reconnu victime d’un accident du travail suite à des agissements de harcèlement moral, le salarié peut bénéficier de dommages et intérêts au titre du harcèlement subi. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 4 septembre 2019 : la tentative de suicide d’un salarié ayant donné lieu à une rente accident du travail. Survenue postérieurement aux faits de harcèlement moral, elle ne fait pas obstacle à son indemnisation. Cass.soc. 04.09.19, n°18-17.329.  

  • Pas d’action possible en réparation d’un AT-MP – en principe…

Rappelons qu’en principe un salarié ne peut agir en réparation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sur le fondement de droit commun (1). Cela exclut a priori toute possibilité de rechercher la responsabilité de l’employeur pour obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cet accident ou de cette maladie. 

En cas d’AT-MP, la victime bénéficie de prestations et indemnités versées par l’assurance maladie (2), à savoir :1°) la couverture des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, des frais liés à l’accident, des frais de transport de la victime à sa résidence habituelle ou à l’établissement hospitalier et, d’une façon générale, la prise en charge des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle, le reclassement et la reconversion professionnelle de la victime – ces prestations étant accordées qu’il y ait ou non interruption de travail ;2°) l’indemnité journalière due à la victime pendant la période d’incapacité temporaire qui l’oblige à interrompre son travail ;3°) les prestations autres que les rentes dues en cas d’accident suivi de mort ;4°) pour les victimes atteintes d’une incapacité permanente de travail, une indemnité en capital lorsque le taux de l’incapacité est inférieur à un taux déterminé, une rente au-delà et, en cas de mort, les rentes dues aux ayants droit de la victime. 

 

  • … Sauf si l’accident est dû à une faute inexcusable de l’employeur !

Dans un tel cas, le salarié ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire (3). Cette faute inexcusable peut être caractérisée lorsque l’employeur n’a pas su préserver le salarié du harcèlement moral commis par un cadre, un collègue ou un supérieur hiérarchique de l’entreprise (4). 

Le pôle social du TGI (5) est alors compétent pour caractériser la faute inexcusable de l’employeur, et le cas échéant allouer des dommages et intérêts à la victime. 

Avant le 1er janvier 2019, la reconnaissance de la faute inexcusable relevait de la compétence du TASS. Depuis cette date, toute saisine par la victime ou ses ayant droits se fait auprès du pôle social constitué au sein du TGI spécialement désigné. C’est la juridiction désormais compétente pour traiter les contentieux de la Sécurité sociale en première instance (6). En appel, ce sont les chambres sociales de cours d’appels qui sont compétentes, à l’exception des recours relatifs à la tarification des accidents du travail (7). La CNITATT restera compétente pour juger les affaires dont elle aura été saisie avant le 1er janvier 2019, et sera donc maintenue jusqu’au 31 décembre 2020. 

 

  • Quid d’une demande en parallèle de réparation du préjudice pour des faits de harcèlement moral devant le CPH ?

Revenons aux faits de l’affaire… 

Un responsable de gestion a fait une tentative de suicide, prise en charge par la Sécurité sociale en tant qu’accident du travail. Il introduit devant les juridictions de la Sécurité sociale une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en invoquant un harcèlement moral à l’origine de sa TS. 

Parallèlement, il assigne l’employeur devant le conseil de prud’hommes afin d’obtenir l’octroi de dommages et intérêts pour harcèlement moral. 

Ce à quoi, pour faire échec à l’action prudhomale, l’employeur a fait valoir que cette demande réparait le même préjudice que celui indemnisé par l’assurance maladie (2), en l’espèce, la rente accident du travail. Suivant son raisonnement, les agissements de harcèlement moral auraient poussé le salarié à tenter de se suicider, conduisant alors à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident et débouchant sur l’allocation d’une rente. 

Dès lors, le pourvoir de l’employeur devant la Cour de cassation portait sur la question suivante : l’indemnisation du harcèlement moral devant le juge prudhomal est-elle cumulable avec la réparation attribuée au titre de l’accident du travail ? 

  • Les agissements de harcèlement moral et les conséquences de la tentative de suicide sont deux préjudices distincts…

Depuis 2006 (8), la Cour de cassation estime qu’une maladie professionnelle résultant d’agissement de harcèlement moral antérieur ne pouvait écarter la compétence du juge prudhommal. Demeurait donc une relative incertitude sur l’élargissement de cette position aux accidents du travail. 

Qu’à cela ne tienne désormais, pour la Haute juridiction, « la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail par la sécurité sociale » (9). Au résultat, la chambre sociale opère une distinction entre : 

– le préjudice subi pendant la relation contractuelle du fait du harcèlement moral, antérieur à la reconnaissance de l’accident du travail, dont la réparation relève du juge prud’homal ; 

– le préjudice postérieur, pris en charge au titre de la législation professionnelle, qui relève de la compétence du TASS. 

  • Ouvrant tous deux droits à réparation !

Il s’agit en somme de deux préjudices et de deux périodes distinctes. Ainsi, le cumul d’indemnisation ne vient pas contrarier le principe de réparation forfaitaire des accidents du travail par la sécurité sociale. 

En substance, la Cour nous dit : peu importe que ce harcèlement ait dans une large mesure contribuée à l’apparition de la lésion ou de l’affection prise en charge par la législation professionnelle, il constitue un préjudice distinct. 

Le salarié peut donc saisir le conseil de prudhommes pour obtenir une indemnisation au titre du harcèlement moral dont il a été victime pour autant que ces faits se situent pendant la période antérieure à la reconnaissance de l’AT-MP. 

Depuis un arrêt du 3 mai 2018, le licenciement pour inaptitude, qu’il soit ou non qualifiée de professionnel, est sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à une faute préalable de l’employeur (le harcèlement moral par exemple). (10) 

Victime(s) de harcèlement moral au travail, vous l’avez compris, ces agissements peuvent donc ouvrir droit à plusieurs chefs d’indemnisations ! 

 

(1) Art. L.451-1.CCS. 

(2) Art. L.431-1.CSS. 

(3) Art.L.452-1.CSS. 

(4) Cass. soc. 21.06.06, n° 05-43.914. 

(5) Tribunal de grande instance. 

(6) LOI n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. 

(7) Décret n° 2018-772 du 4 septembre 2018 désignant les tribunaux de grande instance et cours d’appel compétents en matière de contentieux général et technique de la sécurité sociale et d’admission à l’aide sociale. 

(8) Cass. soc. 15.11.06, n°05-41.489. 

(9) Cass. soc. 04.09.19, n°18-17.329. 

(10) Cass. soc. 03.05.18, n°16-26.306 ; n°17-10.306. 

 

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