Chic ! Macron va créer une nouvelle branche de la sécurité sociale dédiée à la dépendance, c’est-à-dire au financement des EHPAD. Après le costume de chef de guerre et de médecin urgentiste, il enfile donc un nouveau déguisement : celui petit père du peuple qui étatise la prise en charge des personnes âgées. Il est tellement plus rentable politiquement de dépenser pour les gens malades que d’économiser en les gardant en bonne santé… Une fois de plus, la préférence française pour la maladie est au pouvoir.
La dépendance, dans le débat public, en est venue à se confondre, et même à se résumer, au financement des EHPAD. C’est particulièrement désagréable, puisque la plupart des personnes âgées qui ont besoin d’aide vivent chez elles. Le placement en maison de retraite concerne moins de la moitié des personnes dépendantes. Mais selon la bonne règle bercyenne et technocratique selon laquelle ce qui relève de la vie privée n’a pas de valeur, le débat sur la prise en charge de la dépendance s’est progressivement recroquevillé sur la seule question des EHPAD.
Et ce débat qui traînait depuis près de vingt ans, Macron a décidé de le trancher d’un coup de seul aidé par les coups de menton du très étatiste ministre Véran. Un projet de loi, élaboré sous la férule de nos deux idéologues en panne d’idées, a été transmis aux partenaires sociaux, relevé par les Échos, qui prévoit une affectation partielle de la CSG au « risque dépendance » à partir de 2024. Mais cette solution ne rapportera que 3 ou 4 milliards, quand il en faudra le double pour couvrir les besoins.
La dépendance, une nouvelle expansion de la sécurité sociale
Depuis près de 20 ans, la question d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à la prise en charge du vieillissement hante le débat public. Alors que la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans ne cesse d’augmenter en France, comme dans tous les pays industrialisés, le choix historique de confier les « vieux » à l’aide sociale, c’est-à-dire aux communes et aux départements, plutôt que les intégrer à la sécurité sociale, est largement débattu, combattu et pourfendu par les partisans de celle-ci.
La mise en place de l’Allocation pour Personnes Âgées, l’APA, en 2002, avait confirmé (alors que le Premier Ministre qui l’a mise en place était socialiste…) cette option de ne pas faire glisser le coût de la dépendance vers la sécurité sociale. Cette prestation versée par les départements, qui peut aller aujourd’hui jusqu’à 1.750€ mensuels, et des majorations selon les situations, n’est pas récupérable sur l’actif successoral. Il s’agit donc d’une vraie prestation d’aide, qui bénéficie à 1,3 millions de personnes, dont 500.000 environ en établissement d’hébergement, pour un coût annuel de 5,6 milliards €. Son absence de critères de revenus ouvrait la possibilité de la réserver aux plus pauvres, s’il s’agissait de la faire évoluer, et d’ouvrir la possibilité aux plus riches de souscrire à leur propre contrat, à leurs frais.
Pour ce faire, le CCNE propose notamment de : – Repenser la création d’un cinquième risque de la sécurité sociale, pour permettre une meilleure prévention et un meilleur accompagnement des personnes dépendantes.
Comité consultatif national d’éthique
Plusieurs pistes existaient donc pour apporter les moyens nécessaires. Il était imaginable de mobiliser la responsabilité individuelle à travers des contrats d’assurance (qui auraient pu être obligatoires, avec choix libre de l’assureur). Mais le gouvernement a tranché : ce sera un système obligatoire public appelé la sécurité sociale, financé par l’impôt, qui interviendra.
Un choix idéologique des élites parisiennes contre les acteurs du système
Comme le relève les Échos, la décision imposée verticalement sans concertation de « loger » la dépendance dans la sécurité sociale ne correspond pas au souhait des acteurs du système. En l’état, la prise en charge de la dépendance suppose de mobiliser des métiers très différents : entre l’assistance à domicile et l’hébergement médicalisé, les compétences sont très nombreuses et assurées aujourd’hui par des partenaires multiples, qu’il s’agisse d’entités privées ou de collectivités locales.
Marie-Anne Montchamp, ancienne ministre devenue présidente de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), plaide largement contre l’étatisation du système. Mais elle n’est pas la seule. On cherchera en vain dans le rapport de la députée France Insoumise Caroline Fiat (aide-soignante de son état, donc bon connaisseuse du dossier), un appel à une prise en charge du dossier par la sécurité sociale. Pour que la France Insoumise reste silencieuse sur une cinquième branche de la sécurité sociale, il faut vrai que celle-ci soit une mauvaise idée.
Les seuls à avoir plaider pour une solution de ce type appartiennent aux élites parisiennes. On y rangera l’avis du Comité Consultatif National d’Éthique de 2018 qui s’était ouvertement prononcé en faveur d’une intégration de la dépendance à la sécurité sociale. L’expansion continue du champ de la sécurité sociale depuis 1941 est donc accélérée par le coronavirus, au mépris de l’avis exprimé par la société civile.
Soigner la maladie plutôt que la prévenir
La logique de ce choix est bien connue : il faut « protéger » le peuple, ce ramassis de veaux réfractaires, contre ses propres excès, en le faisant entrer coûte-que-coûte dans un système de contrôle étatique qui permettra de tenir la société dans une main de fer couverte du gant en velours de la protection sociale. De ce point de vue, la maladie est une bénédiction : elle fournit le prétexte rêvé pour créer une grande machine bureaucratique nationale qui va corriger les défauts actuels du système : finies, les interventions à des niveaux parfois très différents, des départements. Finies, les initiatives privées qui règlent tel ou tel problème sans prétendre être « universelles ». On va enfin pouvoir traiter tout le monde de la même façon, comme la crise du coronavirus l’a montré avec les hôpitaux publics… Une Lada pour tout le monde (au rythme de la fabrication en économie soviétisée, bien entendu, c’est-à-dire avec parfois des mois et des mois d’attente pour une place en EHPAD), plutôt que des Mercedes pour certains et des Logan pour d’autres.
Et surtout, on met le paquet sur la réparation ou la curation des maladies, et non sur leur prévention. C’est à peine si la prévention est citée dans l’avis du comité national d’éthique sur le sujet. Cette réticence française vis-à-vis de la prévention, cette préférence pour la maladie, a des racines bien connues. La prévention repose sur la responsabilité individuelle, mot fasciste dans la pensée bobo parisienne, qui couvre forcément d’insupportables inégalités de traitement et une liberté individuelle dont les petites gens, les « blaireaux » lisais-je avant-hier sous la plume d’un camarade énarque qui déteste le peuple qui le nourrit, sont bien incapables.
La réparation repose sur une prise en charge assumée par la collectivité. Elle permet de rendre les individus dépendants au groupe. Et ça, le bobo parisien, sentir qu’il a un pouvoir sur les gens par la « protection », il adore. Avec la maladie, on tient le peuple. Avec la prévention, on le libère. Donc, mieux vaut une assurance maladie qu’une assurance santé. Mieux vaut une assurance dépendance qu’une assurance autonomie…
Pourquoi on vieillit moins bien en France qu’ailleurs
Moyennant ces calculs sordides, la France parvient à assurer une espérance de vie en bonne santé à 65 ans particulièrement médiocre à ses assurés sociaux, qui sont pourtant ceux qui dépensent le plus dans le monde industrialisé pour leur santé. Le diagramme ci-contre le montre clairement.
Alors que la France est le pays d’Europe où l’espérance de vie est la plus longue, l’espérance de vie en bonne santé, en revanche, se situe à peine à la moyenne de l’OCDE.
L’explication de cette distorsion statistique est simple : la France préfère des vieux malades et dépendants à des vieux autonomes et en bonne santé. Lesmalades, les grabataires, les déments, elle peut même les faire vivre très longtemps… En se glorifiant de leur consacrer une part grandissante de ses dépenses publiques.
Le Medef est d’accord pour faire de la prévention de la pénibilité, et de la reconversion. Mais pas pour réparer les dégâts! Cette attitude, si elle perdurait, mettrait par terre l’équilibre de la réforme. Il a fermé la porte pour l’instant. Je lui demande de la rouvrir.
Laurent Berger
Cette préférence pour la maladie structure l’ensemble de notre protection sociale, au point que même la très mutualisante et collectiviste CFDT a fini par souligner les méfaits de la réforme de la pénibilité pour laquelle elle a beaucoup milité. Si la CFDT continue à revendiquer une « réparation » pour les métiers pénibles, elle a compris qu’à force de réparer les dégâts, on n’incitait plus à les éviter.
En réalité, l’ensemble de la vie sociale est organisée en France autour de l’idée que ce n’est plus la peine de prévenir la maladie, puisqu’il existe une machine hyper-fonctionnée qui les répare gratuitement : la sécurité sociale.
En matière de dépendance, la logique est la même : continuez la malbouffe, continuez à vous abrutir devant France 2, l’État paiera lorsque vos neurones seront complètement déglingués. Soyez malades plutôt qu’en bonne santé ! Comme disait Hollande, c’est l’État qui paie.
Vers une nouvelle taxe pour financer la sécurité sociale
Dans les élites parisiennes, tout le monde s’accorde donc à dire, assez naturellement, que le financement de la dépendance doit désormais relever de la sécurité sociale. C’est un acte solidaire qui s’impose avec évidence ! Avec une évidence d’autant plus forte qu’on n’a pas un fifrelin pour payer. Qu’importe, on créera une taxe pour la solidarité envers tous les malades et toutes les victimes du monde moderne !
Alors que l’affectation d’une partie de la CSG devrait rapporter quelques 3 ou 4 milliards sur les 10 dont la dépendance a besoin, les idées n’ont pas tardé à fleurir pour trouver ces 7 milliards qui manquent. Laurent Berger a proposé de lever une taxe au premier euro sur l’héritage pour financer la prise en charge des personnes dépendantes. Nul doute que cette idée fera florès, et même qu’elle fera naître d’autres vocations. Le bonheur est dans la dépense publique.